Une interview de Patrick Béguin, président du Syndicat des courtiers de la région délimitée Cognac

2 octobre 2009

Après au moins deux années de « tout Cognac » où le seul souci était de savoir si la nature pourvoirait suffisamment au débouché majeur de la région, les Charentes renouent avec l’idée d’affectation hors Cognac. Et se tourne vers ses courtiers, acteurs « impactants », en terme de rapprochement et de connaissance des marchés. Président du Syndicat des courtiers de la région délimitée Cognac, Patrick Béguin fait partie de ceux qui travaillent le plus à introduire clarté et cohérence dans le dédale économico-réglementaire charentais.

« Le Paysan Vigneron » – Quel rôle peut jouer le courtier dans une période charnière comme celle-ci ?

Patrick Béguin – Avant vendanges, nous consacrons une grande partie de notre temps à expliquer la nouvelle réglementation, les différentes manières d’appréhender la récolte, l’impact de la réserve climatique, les possibilités d’affectation aux « autres débouchés ».

« L.P.V. » – Par rapport à l’an dernier, quelles sont les nouvelles données ?

P.B. – La proposition de rendement Cognac à 8,12 hl AP/ha représente bien sûr un changement significatif. C’est 25 % de moins que l’an dernier. Ceci dit, avec la récolte qui a tendance à se concentrer au fil des semaines, en raison de la sécheresse, nous ne devrions pas être très loin des capacités physiologiques de la vigne. C’est d’ailleurs fort dommage pour l’affection. A vrai dire, plus la date des vendanges se rapproche, plus le potentiel d’affectation se réduit. Ce n’est pas avec un battement de 0,5 hl AP/ha que les viticulteurs pourront réellement jouer le jeu d’affectation.

« L.P.V. » – Reste la réserve climatique.

P.B. – Cette année, dans nombre de situations, faire de la réserve climatique paraît en effet incontournable. Techniquement, comment tomber « pile poil » sur les 8,12 sans recourir à une variable d’ajustement ? S’il reste quelques centaines d’hl vol. dans le chai, il faudra bien en faire quelque chose. C’est pourquoi, je dis à mes interlocuteurs : « Pensez à avoir une cuve inox dans un coin. De toute façon, cela pourra vous servir un jour ou l’autre. » Par contre, j’essaie de présenter tous les tenants et les aboutissants de la climatique, en terme d’investissement, de distillation, de frais de stockage. Quand la situation financière est saine, il n’y a pas de problème. Par contre, si le viticulteur est déjà dans l’orange cette année, la climatique risque de le faire basculer dans le rouge l’an prochain, en lui retirant un peu de ses facultés de rebond.

« L.P.V. » – Cette année, comment la viticulture perçoit-elle les intentions d’achat du négoce de Cognac ?

P.B. – Sur la base du rendement de 8,12, beaucoup de viticulteurs estiment, aujourd’hui, être couverts contractuellement à 75 ou 80 %. Pêchent-ils par optimisme ? Au vu des premières informations qui filtrent, cela paraît crédible. Selon les maisons, se profilent soit un maintien sans changement des achats, accompagné même de la signature de quelques contrats supplémentaires dans certains crus ; soit des baisses, parfois plus importantes que ce qui avait pu être pressenti (de l’ordre de 10 %). Des achats différés s’opéreront sans doute, complétés, peut-être, de diminutions de volume, variables selon les situations. Nous traversons une période mouvante, où interfèrent moult facteurs difficilement cernables. Tout le monde croise les doigts pour que les courbes de vente s’inversent très rapidement. Quelques indices amènent à penser que les chiffres des prochains mois iront en s’améliorant.

« L.P.V. » – Malgré la récolte sans excès qui s’annonce, restera-t-il tout de même de la place pour les « autres débouchés » ?

P.B. – Je l’espère. Dans les secteurs ni grêlés ni gelés, les rendements affichent une certaine hétérogénéité entre petites régions ou même exploitations. Une chose est sûre, les différentes destinations seront tout à fait capables d’absorber les volumes disponibles. Dans cette mesure, les prix devraient s’avérer corrects, voire très corrects. Comme toujours, on risque de les connaître à la dernière minute, au moment de la retiraison des moûts. A titre personnel, je prends le risque de pronostiquer des prix autour de 20 € l’hl vol. départ propriété, en espérant qu’ils se situent dans la fourchette haute. Aux viticulteurs intéressés par l’affectation, je dis qu’il vaut mieux l’envisager avant et pendant les vendanges, en l’anticipant un minimum. Peu ou prou, le marché se réalisera sur des moûts, sans connaître forcément leurs destinations finales, vins aptes, vins pays tiers, vins vinés… Cette année, il ne se fera certainement pas beaucoup de vins de table enrichis ou à la marge. Mais, même pour ces vins, il conviendra d’avoir des vins de qualité, donc sulfités dès le départ. A priori, ce sont les moûts de vinification qui lanceront le marché « autres débouchés ». Dans la mesure où ces moûts ont une fermentation à faire, si les opérateurs veulent tenter d’effectuer deux tours, ils devront démarrer très tôt. Cela répond aussi à une logique de marché. Plus rémunérateurs, les moûts de vinification orientent traditionnellement le prix des autres destinations.

« L.P.V. » – Qu’en sera-t-il des jus de raisin ?

P.B. – Tout va dépendre du rendement. Ceci dit, structurellement, nous avons besoin de ce marché jus de raisin dans la région et c’est bien dommage de ne pas pouvoir le satisfaire. Le moment est peut-être mal choisi pour aborder ce point mais les opérateurs doivent absolument donner confiance aux viticulteurs, en contractualisant des volumes et en communiquant sur de vrais prix. A ces conditions, des surfaces Ugni blanc s’alloueront sans problème aux jus de raisin.

« L.P.V. » – Une distillerie agréée – le groupe Douence – a adressé un courrier à ses livreurs, leur demandant de participer aux frais de collecte des prestations viniques. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

P.B. – La nouvelle est effectivement tombée. Jusqu’à maintenant, j’avais cru comprendre que la gratuité s’appliquerait. Il paraît tout de même dangereux de mettre le doigt dans l’engrenage. Si les prestations viniques relèvent normalement de l’épiphénomène – elles ne représentent que 2 % du volume de la récolte et ont vocation à intervenir quand tout le reste est réglé – elles ont souvent tendance à occuper le devant de la scène en Charentes. On peut d’ailleurs le comprendre. Pour établir la déclaration de récolte, il faut connaître précisément le volume de prestations viniques. Le diable se cache souvent dans les détails.

« L.P.V. » – Comme toujours mais peut-être plus encore cette année, votre Journée du Courtier du 14 septembre a embrassé à la fois l’actualité réglementaire et l’actualité marchés.

P.B. – A la veille de la récolte, nous avons l’obligation d’apporter des réponses fiables à nos clients en matière de réglementation viticole. D’où la grande attention portée à ses aspects. Heureusement, nous bénéficions de l’expertise de toutes les instances régionales, BNIC, INAO, Chambres d’agriculture. Quant à l’approche marchés, il s’agit de notre cœur de métier. Au cours de la Journée des Courtiers, ce qui nous intéressent, c’est d’ailleurs moins d’obtenir des prix des acheteurs que de les faire s’exprimer sur leurs attentes, leurs cahiers des charges, les opérations déjà réalisées en Europe. L’idée consiste à faire circuler l’information, le plus largement possible. C’est pour cela que nous avons abandonné un peu l’aspect « courtage » de notre réunion pour ouvrir nos débats à un public plus étendu. Les intervenants du matin, sur la partie réglementaire, sont cordialement invités à participer aux échanges de l’après-midi, sur la partie marchés.

« L.P.V. » – Cette dimension « communication », vous allez pouvoir la mettre à profit l’an prochain.

P.B. – En effet, les 6 et 7 mai 2010, nous accueillerons nos collègues des autres régions viticoles, dans le cadre du Congrès national des courtiers en vins et eaux-de-vie. A Cognac, la dernière rencontre remonte à une vingtaine d’années. Nous mettrons à profit ce temps pour réfléchir sur notre métier, dans un univers soumis à de grandes mutations

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