Si la table ronde du 20 mars à la Salamandre avait réuni 400 personnes, l’assemblée générale n’a pas réussi à faire le plein, loin s’en faut. A Jarnac, les rangs étaient plutôt clairsemés, la faute peut-être à l’épisode ensoleillé du début de printemps, précipitant les viticulteurs dans leurs vignes. Et pourtant, à travers un exercice plus ramassé, le syndicat s’est livré à un gros effort d’explication. Jusqu’à maintenant, on voyait à peu près où il voulait aller mais les moyens pour y parvenir restaient assez flous. Cette fois, le voile a été levé sur le « corpus théorique » qui accompagne la vision du SVBC. C’est Bernard Gauthier, ancien président du CRINAO, qui s’est chargé de l’exposer après avoir sans doute contribué à le conceptualiser. En gros, le syndicat défend l’idée que l’on peut conserver l’existant, sans rien changer (notamment les jus de raisin sur les ha Cognac ou encore les conditions de production actuelles) tout en intégrant un système INAO sur les ha Cognac (dont le principal intérêt, rappelons-le, est d’offrir un cadre juridique incontestable au rendement Cognac après disparition de l’article 28). Par quel tour de passe-passe ? En fait, Bernard Gauthier, maniant l’art du contre-pied et du renversement dialectique, propose sa propre grille de lecture des réformes en cours. Pour lui, la réglementation européenne des AOP et des IGP, elle-même inspirée des accords ADPIC de l’OMC, nourrit et supplante désormais les réglementations nationales et notamment celles des AOC. Dans ces conditions, inutile de se laisser enfermer dans les vieux schémas de pensée qui faisait des règles INAO quelque chose d’incontournable.
« une page blanche »
« Avec la nouvelle OCM viti-vinicole, s’ouvre à nous une page blanche » soutient-il. Cette réglementation européenne, que dit-elle ? Elle privilégie la notion de cahier des charges, déjà applicable au label rouge et autres signes de qualité. Et qui est chargé de rédiger ce cahier des charges ? « L’ODG » répond Bernard Gauthier. A Cognac, il est prévu que cet Organisme de défense et de gestion soit « adossé » à l’interprofession. L’ancien président du CRINAO y voit un gage de bonne gouvernance. « Le cahier des charges sera élaboré par l’ODG suivant les usages locaux, loyaux et constants. » D’où implicitement, le choix de l’affectation de surface contre l’affectation parcellaire, la possibilité de maintenir les jus de raisin sur les ha Cognac ou encore de ne rien changer aux conditions de production (écartement des allées de vignes, densité de plantation…). Car B. Gauthier considère que si le cahier des charges doit être entériné par l’INAO, il ne doit pas être imposé par l’INAO. Et, d’ajouter, un brin provocateur : « Si l’INAO ne veut pas reconnaître la prééminence des usages locaux, loyaux et constants tirée de sa propre doctrine, cela peut relever des tribunaux ! » Le syndicat a dénoncé « la tentative de faire passer à la hussarde une réforme ». En disant cela, pensait-il à la réforme du décret d’appellation Cognac, en cours d’instruction. Car le temps ne s’arrête jamais. C’est à Christian Baudry, nouvellement promu personnalité qualifiée à l’INAO, qu’il est revenu le soin de rappeler cette dure réalité. « Vous parlez de cahier des charges. Mais en bon français, il ne s’agit pas d’autre chose que du décret d’appellation. Or, à ce sujet, les choses sont plus avancées que vous ne semblez le dire. Le décret Cognac est en cours de révision, pour intégrer notamment le principe d’affectation parcellaire. Va s’appliquer à lui la nouvelle procédure d’opposition (ouverte depuis le 4 mai dernier – NDLR) qui, à travers une mise à l’enquête, permettra à tout un chacun de réagir dans les deux mois suivants. » A Christophe Véral qui paraissait se méprendre sur le sens de son intervention, Ch. Baudry a répliqué vertement : « Mon petit, s’il y a quelqu’un dans cette salle qui s’est montré critique vis-à-vis du projet INAO c’est bien moi. D’autres le furent beaucoup moins, y compris parmi ceux qui siègent aujourd’hui à cette table. Je vous apporte seulement un point de vue technique sur ce qui va se passer. Je ne dis pas que la décision définitive est prise mais la mécanique est enclenchée. »
des jus de raisins « accrochés » aux hectares cognac
Avant cet échange et la présentation de B. Gauthier, des éléments plus classiques étaient venus étayer le discours du SVBC. Se sont chargés de les exprimer Christophe Véral, président du SVBC, Olivier Louvet, vice-président et Stéphane Roy, de Birac, qui fait partie, dixit B. Gauthier, « de cette nouvelle génération qui a une autre formation, une autre façon de voir les choses » (Stéphane Roy est géologue de formation, son frère Guillaume ingénieur des Mines. De retour sur l’exploitation familiale, ils adhèrent tous les deux au SVBC). Le syndicat a redit sa volonté de défendre les jus de raisin « accrochés » aux ha Cognac. « Dan cette région, on a toujours pratiqué de la sorte. C’est un gage de qualité pour maintenir un niveau de production qui garantisse des degrés et une acidité compatible avec la distillation des vins Cognac. Pour continuer à exercer la faculté de tri nécessaire au Cognac, si nous devions tout vinifier, tout garder, il nous faudrait investir dans de la cuverie ! » Olivier Louvet a critiqué un projet qui, aujourd’hui, consisterait à « jeter 68 % de la production si tout était affecté au Cognac » (destruction des excédents au-dessus des ha Cognac). « Dans ces conditions, peut-on parler d’un système viable ? » Il a dénoncé les « dangers de l’affectation parcellaire qui a pour conséquence de rigidifier l’outil de production. En régime de croisière, l’affectation se fera l’année N – 1, c’est-à-dire en 2009 pour la récolte 2010. Et même s’il y a un coup de grêle entre les deux, pas question de rectifier comme ça. » Bernard Gauthier a insisté sur l’importance « de garder la consistance de l’appellation, les acquis de la région ». « Le futur décret d’appellation, a-t-il dit, prévoit d’interdire les vignes larges, au-delà de 3,60 m d’écartement. Or lors de la dernière crise, beaucoup de gens ont arraché un rang sur deux. En tant que chefs d’entreprise, nous allons toujours là où la rentabilité est la meilleure. Nous ne sommes pas des rêveurs ! Dans cette région, pour s’adapter, il faut toujours garder de la souplesse, afin d’être réactif. Voilà déjà trois fois que nous voyons passer le train. A quand la quatrième ! Tout le monde sait que le Cognac répond à des cycles de 18-20 ans. Cette année, pour la première fois depuis longtemps, le système de double fin assure une rentabilité à nos ha, entre la composante Cognac et la composante jus de raisin. Pourquoi aller dans un autre système, dont on sait qu’il ne marchera pas ? Le marché des vins de table nous échappe, sous le coup de la concurrence de l’Espagne, de l’Italie. Il n’y a pas de contrôle possible sur les prix et, avec le Pineau, nous savons que ce n’est pas l’affectation parcellaire qui fait le marché. On ne peut compter que sur le Cognac pour réaliser notre chiffre d’affaires, avec le débouché supplémentaire jus de raisin. C’est nous prendre pour des imbéciles que de vouloir nous faire avaler autre chose ! » Stéphane Roy est reparti des chiffres du SGV pour attaquer le système d’affectation. « Le SGV nous dit qu’il faut augmenter artificiellement la QNV Cognac de 0,75 hl AP/ha pour compenser la perte des excédents sur les ha Cognac et aussi libérer des surfaces aux autres débouchés. Sur une exploitation de 20 ha, le différentiel de 0,75 hl AP/ha libère en effet 2 ha. Pour ne pas perdre de chiffre d’affaires par rapport au Cognac sur ces ha, le viticulteur devrait produire 300 hl/ha. L’incapacité matérielle de réaliser de tels rendements va-t-elle engager la région dans un système de triche institutionnalisée ? Une fois de plus, le SGV fait des promesses dont il sait très bien qu’elles ne marcheront pas. » Le jeune viticulteur a indiqué que le syndicat avait ouvert un blog sur internet – www.svbc.over-blog.com – pour que chacun puisse donner son avis. Christophe Véral a confirmé que le syndicat avait remis un moratoire au sous-préfet de Cognac pour geler temporairement l’avancée du projet d’affectation parcellaire. Présent à la réunion, Jean-Pierre Lacarrière a une nouvelle fois souligné que le projet d’affectation parcellaire avait été ratifié par l’ensemble de la filière et, qu’à l’époque, aucune autre proposition n’avait affleuré alors même que la question avait été mainte et mainte fois posée : « existe-t-il d’autres projets » ? Par ailleurs, J.-P. Lacarrière a émis des doutes sur un vignoble sous AOP – IGP (indication géographique de provenance) qui ne ferait pas l’objet de contrôles INAO à la vigne. Réponse de Bernard Gauthier : « C’était l’ancienne formule. Dorénavant, il faut bien voir la puissance que confère l’ODG à l’appellation. »