« L’avenir passe par la réforme de la réglementation »

8 mars 2009

La Rédaction

Le syndicat présidé par Philippe Boujut reste tendu vers un but, la réforme de la réglementation. Il y met toute son énergie et lors de son assemblée générale a reçu l’appui des pouvoirs publics via le sous-préfet de Cognac, Rozy Farges. Le credo du SGV : parvenir à ce que les « autres débouchés » deviennent rentables pour que le Cognac le soit à son tour. Dit autrement, si plus d’ha sont affectés aux débouchés « industriels », il y en aura moins au Cognac et la production hectare du Cognac pourra augmenter. En clair, demander au marché de réaliser ce que la restructuration n’a pas réussi à faire. Une stratégie subtile, digne de Sun Tse (443-421 av. J.-C.) qui disait, dans son ouvrage traitant de l’Art de la guerre : « le général avisé soumet l’adversaire sans livrer bataille ».

salle_sgv_cognac.jpgSalle comble pour le Syndicat général des vignerons qui avait réuni, ce 4 mai 2004, plus de 200 viticulteurs salle de la Salamandre à Cognac. Philippe Coste, président du Syndicat de cru Minervois, figurait comme invité d’honneur et les questions fusèrent à son endroit, pour savoir comment ce petit vignoble du Languedoc, niché entre Carcassonne et Béziers, s’y était pris pour résoudre son problème de mixité (voir article page 16 et suivantes). Quand les cours des AOC montaient, les viticulteurs du Minervois se portaient massivement sur ce débouché, ce qui entraînait sans coup férir une chute des prix, avec retour massif vers les vins de table et de pays et « rebelote » quelques années plus tard ! En stabilisant la production, l’affectation parcellaire et l’engagement pluriannuel ont réglé ce phénomène de yo-yo sans forcément résoudre le problème de marché des appellations, dont les déterminants dépassent de loin le seul contexte de l’aire de production. Par contre, le système de l’engagement triennal a réussi à faire faire un bond qualitatif à l’appellation, en tordant le cou aux vignes « éponges » et aux déclarations « papier ». Membre de la commission d’enquête INAO qui s’est redéplacée plusieurs fois en Charentes – et pas plus tard qu’il y a quelques semaines – Philippe Coste parle du « millefeuille » charentais qui n’est pas sans lui rappeler les ha « baladeurs » du Minervois. Simplement, ce que les Charentais empilent à la verticale – où plutôt empilaient avant le passage du rendement agronomique – les vignerons du Minervois le juxtaposaient à l’horizontale, avant d’y remédier en partie et en partie seulement. Car Ph. Coste n’a pas caché que l’engagement des surfaces n’était pas un remède miracle, loin de là mais « faisait partie d’une panoplie d’instruments de régulation ». Et devant ses collègues charentais, il a même fait son mea culpa pour ne pas avoir suffisamment « anticipé les courbes de ventes » et réduit à temps la voilure. Le Minervois, comme beaucoup d’autres appellations, n’a pas échappé au déséquilibre de l’offre et de la demande, suite au « télescopage » entre une production en hausse, consécutive au boom des appellations au début des années 2000 et le resserrement des ventes depuis deux ans. « On ne peut pas prôner un système verrouillé en tant que tel. Il faut se donner suffisamment de liberté pour ajuster l’offre à la demande. »

« Ne pas figer les choses »

Philippe Boujut a saisi la balle au bond. « Nous sommes en train de créer une nouvelle réglementation mais il ne faut pas figer les choses. Nous devons réfléchir à notre propre système et ne surtout pas le calquer sur le dispositif du Minervois. Il y a de bonnes choses à prendre mais, à l’évidence, tout n’est pas transposable. » Le président du SGV Cognac est revenu sur l’ossature du Schéma d’avenir viticole. « Certains, a-t-il dit, font le choix d’attendre que des ha disparaissent dans la région. Notre choix n’est pas celui-ci. Nous avons des terres à vignes et des débouchés spécifiques bien adaptés à notre région. Nous avons des acheteurs de ces produits, jus de raisin et vins de base, qui sont là et d’autres susceptibles de venir s’approvisionner en Charentes parce que nous avons la qualité qu’ils souhaitent… Il suffit de leur assurer la pérennité de leur approvisionnement et non des productions en dents de scie. » Et Philippe Boujut d’en venir au cœur de son propos : « Par des incitations plus fortes (rendements différenciés) la nouvelle réglementation permettra, sur chaque exploitation, d’affecter des hectares aux autres débouchés et diminuera donc le nombre d’ha affectés au Cognac. Et qui dit moins d’ha au Cognac, dit la possibilité d’augmenter la production Cognac de chaque ha. » CQFD. Cette conviction, le Syndicat général des vignerons la porte très fort. « Depuis la création du SGV Cognac, nous avons pris la mesure des enjeux. Je ne crois pas qu’on puisse mettre en doute notre volonté de construire et notre sens de l’intérêt général. Nous entendons bien prouver que le schéma d’avenir amènera plus de trésorerie, plus de sécurité, la possibilité de restructurer efficacement notre vignoble et relancer l’installation des jeunes dans notre région en préparant un avenir durable. » Au passage, Ph. Boujut a rappelé « que l’affectation parcellaire et l’engagement pluriannuel des ha furent l’alternative retenue par tous les professionnels de la région, viticulteurs comme négociants ». Ne répugnant pas à administrer ici et là quelques coups de griffes, il a pointé du doigt « ces négociants qui s’intéressent d’un seul coup à l’avenir des viticulteurs et à leurs revenus ». « Ils craignent une baisse très prochaine de nos revenus mais il faudrait avoir la mémoire courte pour oublier douze années de crise, douze années entraînées par la crainte hypothétique de manquer de vieux comptes pour alimenter des marchés en pleine euphorie. Voilà sept ans que nous nous serrons la ceinture pour résorber un stock inadapté et, pendant ce temps-là, nous aurions bien aimé que les négociants se soucient un peu plus des revenus des viticulteurs en évitant de baisser leur prix d’achat en même temps que nous baissions la production. »

Une restructuration qui s’essouffle

Si le président du SGV reconnaît qu’il y a bien un problème structurel à Cognac, le syndicat nourrit sa propre vision pour le résoudre. « Le Plan d’adaptation viticole a permis de restructurer par la reconversion ou par l’arrachage mais tout le monde reconnaît que ce n’est pas suffisant. La réforme de la réglementation est le seul moyen de continuer une restructuration du vignoble qui s’essouffle. » Autre sujet de discussion, la suppression de l’article 28. Programmée, pas programmée ? Pour le SGV, il n’y a pas de doute, on s’achemine vers une remise en cause inéluctable de l’article 28. « Nos productions sont spécifiques. Nous devons donc avoir une réglementation charentaise et non le régime général des vins de table, avec 90 hl plus 10 hl de non-vin pour tous les débouchés, y compris le Cognac ou les jus de raisins. » « Veillons à maintenir tous nos débouchés » a conclu Philippe Boujut.

Au chapitre des commentaires et des questions, Alain Bodin, président de la coopérative Prochacoop, a noté la difficulté d’anticipation, dans un mode économique de plus en plus aléatoire. « Dans une optique d’engagement triennal et compte tenu de notre spécificité eaux-de-vie, il faudrait presque savoir cinq ans à l’avance ce qui se passera. Est-ce possible ? » Par contre, il estime « qu’il y a de l’intérêt à ce que négociants et viticulteurs retrouvent des relations suivies » et, en ce sens-là, l’affectation parcellaire peut y contribuer. S’exprimant au nom de la Chambre d’agriculture de Charente-Maritime, Jean-Marie Arrivé a confirmé que son département était favorable au Schéma d’avenir viticole mais qu’il souhaiterait que ce système s’accompagne d’un mécanisme butoir à l’affectation des ha au Cognac. « Il ne faut pas pouvoir mettre toutes les vignes au Cognac. Car, à la différence des autres régions viticoles, le Cognac en stock garde sa valeur, ce qui peut inciter à des comportements qui s’exonèrent d’une certaine rationalité. » Didier Braud, président du SVC (Syndicat des viticulteurs charentais), a demandé à Philippe Coste comment il gérait la question du rendement annuel dans un dispositif où les gens s’engagent trois ans à l’avance. Très clairement, le président du Minervois lui a répondu que le syndicat d’appellation s’interdisait de bouger le rendement. « Depuis la mise en place du système, nous n’avons jamais varié du rendement de base de l’appellation, qui est de 50 hl/ha. » Un viticulteur l’a interrogé sur l’évolution des exploitations. Philippe Coste a confirmé que la course aux hectares sévissait aussi en Languedoc, dans la mesure où 75 % des surfaces sont affectées aux vins de table et de pays. Par contre, cette course aux ha a été stoppée sur les exploitations voulant mettre en place une politique de qualité. « On ne peut pas courir plusieurs lièvres à la fois. » Si dans un département comme l’Aude, l’installation concernait bon an mal an 130 à 140 jeunes, ce chiffre a baissé de moitié depuis deux ans, suite à la crise viticole.

Un syndic de copropriété

« Avez-vous une recette pour réaliser l’unité syndicale ? » a lancé un viticulteur. Réponse de Ph. Coste : « L’unité syndicale se fera le jour où chacun de vous sera conscient que l’AOC lui appartient. » Ph. Coste va jusqu’à estimer que la vraie nature juridique d’un syndicat d’appellation n’est pas celle d’une association loi 1901 mais d’un syndic de copropriété. « Que vous participiez ou pas à l’A.G. de copropriété, quand il s’agit de refaire la façade, tout le monde paie. » Il a souligné le fait que dans le Minervois, c’est le syndicat d’appellation qui organisait l’agrément, que les cotisations « volontaires obligatoires » étaient fixées au maximum de ce que la loi permettait et que les exploitants qui n’adhéraient pas au syndicat « n’avaient que le droit de se taire ». « Ils n’ont plus d’infos, plus droit au chapitre. Au bout de trois ans, on les voit revenir. » Dans les Corbières, a-t-il indiqué, il existe deux syndicats d’appellation et un troisième constitué « par des gens qui ne sont pas syndiqués ! Malgré tout, l’unité syndicale est en train de se refaire ». « Si le SGV avance sur un certain nombre de dossiers, l’unité syndicale progressera de concert. Tout le monde ne sera pas d’accord sur tous les sujets – c’est la vie syndicale – mais pour participer au débat, il faudra bien trouver une enceinte commune. »

Un discours engagé

Après une bonne heure d’échange, est venue le temps de la conclusion, une tâche toujours dévolue au représentant de l’Etat. Et là, oh surprise, au lieu du discours convenu et quelque peu anodin servi habituellement en pareilles circonstances, le sous-préfet de Cognac, Rosy Farges, a « décoiffé l’auditoire » en apportant un vibrant appui au SGV et à son projet. Après avoir rendu hommage au syndicat et à son président « pour avoir sensibilisé l’ensemble de la profession aux enjeux du projet » – « vous avez touché plus de mille viticulteurs au cours d’une douzaine de réunions et je tiens, au nom de l’Etat, à vous remercier de cette initiative » – Mme le sous-préfet n’a pas manié la langue de bois, préférant l’affirmation à l’euphémisme. Morceaux choisis : « Le vignoble charentais est aujourd’hui à un tournant » – « L’abandon de la double fin est inéluctable compte tenu de la menace européenne » – « Le projet de réorganisation du vignoble charentais est positif puisqu’il lui permettra de lui assurer un avenir économique et un avenir social » – « Continuez à faire avancer ce projet historique » – « Le dispositif proposé offre une perspective d’avenir à la viticulture charentaise et inscrit cette production dans une dynamique durable. » Mme Farges a par ailleurs indiqué que le ministère de l’Agriculture organisait depuis le début de l’année des réunions de travail « nécessaires à la concrétisation réglementaire du projet. Les décisions avancent mais pas aussi vite que nous le souhaiterions en raison de questions en suspens qui n’ont pas trouvé de réponses consensuelles de la part de la profession ». Aussi le représentant de l’Etat a-t-elle signalé que le préfet de Charente avait demandé au ministre de l’Agriculture de tenir une réunion « en présence des représentants de la filière en vue de faire le point sur l’avancée des travaux de mise en œuvre du nouveau dispositif ». Et de terminer son intervention par ces mots : « Vous pouvez compter sur le représentant de l’Etat pour être à vos côtés et faire en sorte que ce dossier avance auprès des instances ministérielles. Pour ma part, j’y veillerai personnellement. » Le discours engagé de Rosy Farges, sous-préfet de Cognac et la référence au préfet de Charente n’a pas laissé planer d’ambiguïté sur l’implication des pouvoirs publics dans le projet, même si l’on sait qu’en ces matières, l’échelon politique est au moins aussi important que l’échelon technique. Et les politiques, en règle générale, veulent ce que veulent leurs électeurs ou, pour le moins, désirent la paix sociale.

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