André Delphin (1) a fait partie des tout premiers techniciens de la Chambre d’agriculture 17 à partir en mission avec J.-L. Forgeard dans le cadre du projet européen Tacis. Destination, la Russie, un pays et une population avec qui il s’est tout de suite senti en phase et dont il a retiré une grande richesse personnelle.
Le projet Tacis a été développé, à partir d’août 1998, dans trois régions de Russie (Yaroslav, Saratov et Chelyabinsk). Son principal objectif consistait à favoriser le développement des agriculteurs indépendants par la création de coopératives et d’un environnement institutionnel qui favorise l’agriculture privée. Le projet prévoyait de créer trois coopératives, une dans chaque région, et que ces dernières soient, à la fin du projet, viables financièrement et servent d’exemples à disséminer dans d’autres régions.
André Delphin – « A ceux qui auraient pu se revendiquer d’un libéralisme sauvage – “que le plus fort gagne” – nous avons essayé d’insuffler l’idée d’un rapport de forces négocié. Depuis 50 ans, ce fut tout le propos de nos OPA, qui tentèrent d’imposer un système semi-libéral entre capitalisme et système étatique. Le développement tel que nous l’avons vécu nous a appris à être proches des gens, à dégager un « feed-back » positif. La France est riche de cela. La Russie est un colosse en train de se relever. Il existe un décalage énorme entre eux et nous. Les petits groupes d’agriculteurs indépendants se rencontrent sur les décombres des kolkhozes. Ce sont tous des anciens cadres qui appartenaient au système : ingénieur, chef mécanicien, chef comptable… ”C’était ça ou l’alcool” disent-ils pour expliquer leur virage vers l’économie libérale. Comme de bien entendu, les leaders sont les plus malins, les plus intelligents, les plus volontaires aussi. Après 1991, ils ont souvent proposé à leurs cousins, à leurs voisins de louer les terres pour un fermage intéressant. Ils ne se sont pas à proprement parler enrichis mais ont constitué des unités parfois importantes, de 200 à 2 000 ha. Pendant ce temps, d’autres agriculteurs moins entreprenants ont conservé leurs petites sociétés fermées de 15-20 ha. Ceux-là s’étiolent et vivent au niveau du RMI. Des kolkhozes entiers, sous la forme de coopératives déguisées, sont également passés entre les mains de groupes industriels russes qui les ont achetés pour faire du “business”. Ils gardent les meilleurs ouvriers et licencient les autres. Une grande misère s’installe en Russie. Beaucoup de personnes au chômage regrettent l’ancien système : “on n’était pas libre, disent-ils, mais on mangeait.” »
« Sur les 212 millions d’hectares de la SAU russe, près de 30 % sont abandonnés faute de moyens suffisants pour leur mise en culture. Ces 18 millions d’ha représentent un manque à produire presque équivalent aux terres labourables de l’agriculture française. Avec une utilisation minimale d’intrants, l’agriculture russe produit tout au plus 30 à 40 % de ses besoins alimentaires. La Russie manque cruellement de lait et de viande, sous l’effet de la décapitalisation, qui touche autant le matériel que les troupeaux : 12 % sont perdus chaque année pour moins de 2 % de reconstitution. Dans ce contexte, la priorité devrait aller au développement de productions végétales, pour amorcer une réelle reprise de l’industrie des aliments du bétail. La reprise de la production ne se profilera que si des investissements étrangers peuvent se mettre en place massivement en s’orientant vers la production primaire et non plus, comme cela a été le cas jusqu’à présent, vers les industries de transformation. Jusqu’à présent, près des deux tiers des investissements ont été concentrés dans les secteurs à haute rentabilité comme la confiserie, le tabac, les boissons alcoolisées… L’agriculture n’a récupéré que 2 % de l’ensemble des investissements. Malheureusement, dans sa recherche de ressources financières, l’agriculture russe ne peut compter ni sur les prix intérieurs, maintenus très bas pour rester compatibles avec le niveau de vie moyen et donc très inférieurs aux prix des intrants, ni sur les ressources propres des structures agraires surendettées. Parmi les décisions stratégiques, la création d’une banque agraire de reconstruction et de développement devrait être la principale initiative car elle induit toutes les autres. Autre priorité, le machinisme agricole car le parc est marqué par une grande vétusté. Viennent tout de suite après l’appui technique aux producteurs dans de nombreux domaines ainsi que les mesures confirmant l’orientation de l’agriculture vers l’économie de marché (création de marché de gros, de coopératives de commercialisation)… »
0 commentaires