Les relations de travail ne s’assimilent pas toujours à un « long fleuve tranquille ». Claude Thorin, viticulteur à Mainxe, a dû gérer des situations délicates – tensions, jalousie, climat délétère – avant d’arriver à stabiliser sa main-d’œuvre salariée. De manière plus ou moins empirique, le chef d’exploitation pratique, au quotidien, la gestion des ressources humaines.
« Le Paysan Vigneron » – Que s’est-il passé pour votre structure ?
Claude Thorin – Avec l’agrandissement, des salariés qui auraient peut-être bien fonctionné seuls avec moi, n’arrivaient pas à s’intégrer à une équipe. Tensions, jalousie, climat délétère… Rien n’allait plus. La situation devenait invivable. J’ai alors complètement changé d’approche. Auparavant, ma politique consistait à privilégier un nombre relativement élevé de salariés, pour ne jamais faire appel à de la main saisonnière. Chaque investissement matériel était mis en balance avec le coût de la main-d’œuvre. Et tant que le coût de la main-d’œuvre ne s’avérait pas nettement supérieur, je choisissais l’emploi. Aujourd’hui, j’ai totalement changé mon fusil d’épaule. Je suis reparti sur de nouvelles bases. Je travaille avec moins de personnel mais plus compétent et plus technique. Je mécanise tout ce qui est possible de l’être, relevage mécanique, épamprage chimique… J’essaie d’améliorer le processus de production en simplifiant une somme de détails. Surtout, je délègue le maximum de tâches manuelles, par le système du « prix fait » ou de la prestation de service. Ainsi, par exemple, je ne réalise plus les plantations. C’est le pépiniériste qui s’en charge. Les salariés permanents sont davantage affectés à la conduite des engins, à l’utilisation du matériel attelé, de plus en plus sophistiqué.
« L.P.V. » – Qu’appréciez-vous chez un salarié ?
C.T. – J’apprécie sa capacité à comprendre également. C’est peut-être un travers chez moi, mais je n’aime pas expliquer dix fois la même chose. Il est tellement plus agréable de travailler avec des gens percutants.
« L.P.V. » – Est-ce facile de trouver ce type de personnel ?
C.T. – Pas forcément. On s’aperçoit que la réalisation d’une simple règle de trois peut parfois poser problème. Les diplômes n’ont pas toujours la même valeur qu’il y a vingt ans, sauf exception qui confirme la règle. Une expérience de terrain peut s’avérer nécessaire, pour compléter la formation. Mais avant tout, c’est la motivation qui prime et aussi l’envie de se remettre en cause pour des personnes qui n’auraient pas suivi le cursus de l’enseignement agricole.
« L.P.V. » – Avez-vous résolu vos problèmes de main-d’œuvre ?
C.T. – Par le bouche à oreille, mes deux derniers recrutements concernent des jeunes, fille et garçon,, ayant reçu une très bonne formation. Aujourd’hui je peux dire que mon équipe s’est stabilisée même si je suis conscient que cette notion de stabilité est toute relative. Elle n’a pas la même connotation qu’il y a dix ou vingt ans. Mais cela ne me tracasse pas trop. D’un côté, je me rends compte qu’il en va de notre responsabilité de chef d’entreprise de gérer ce qu’il est convenu d’appeler les « ressources humaines », c’est-à-dire les rapports avec et entre les salariés. C’est un sujet sur lequel on ne peut plus faire l’impasse. De l’autre, je me dis que personne n’est marié à personne. C’est la vie. En tant que salarié, j’aurais certainement envie de changer à un moment donné. Maintenant, il ne faut pas devenir un « oiseau voyageur » comme ces salariés – toujours les mêmes – qui, en permanence, vont d’un endroit à l’autre.
« L.P.V. » – Vous attachez une grande importance au climat de travail.
C.T. – C’est fondamental. Une personne peut faire correctement son travail. Si elle n’arrive pas à s’entendre avec les autres, elle met en péril le fonctionnement de l’entreprise. La bonne entente entre salariés fait partie des données qui méritent le plus d’attention.
« L.P.V. » – A votre avis, quels sont les facteurs qui participent à l’éclosion d’un bon climat de travail ?
C.T. – En ce qui nous concerne, nous nous attachons à offrir de bonnes conditions de travail, avec des outils performants, en bon état de marche, des tracteurs climatisés, confortables… Les salariés bénéficient également d’une souplesse dans leur emploi du temps, dans certaines limites cependant. Au niveau des heures supplémentaires, nous leur laissons faire le nombre d’heures supplémentaires qu’ils veulent, dans le respect du droit du travail. Nous avions mis en place un système d’intéressement qu’à mon grand regret nous avons dû abandonner. Personne n’en comprenait la finalité. Surtout, les salariés n’acceptaient pas le principe de la fluctuation de l’intéressement à la hausse ou à la baisse selon les résultats de l’entreprise. Pour eux, les hausses se devaient d’être acquises. Ils voulaient des garanties. Nous avons donc tout revu et sommes passés à un système d’abondement. Le salarié dépose une somme sur un compte bloqué durant 4 ou 5 ans et l’entreprise s’engage à abonder cette somme de x %. En général, quand le salarié dépose 1 € l’entreprise donne 3 €. Avantage pour le salarié : au cours de sa carrière, il se constitue ainsi un capital.
« L.P.V. » – Quelle est votre politique salariale ?
C.T. – Globalement, en terme de salaire de base, nous nous situons dans la moyenne régionale. Avec l’abondement, nous nous retrouvons un peu au-dessus. L e passage aux 35 heures, qui a eu pour effet de bloquer les salaires, n’a pas été une bonne chose. Je dirais même que c’est une bombe à retardement. Les 35 heures ont introduit la pagaille partout dans le monde du travail. Si, à nous employeurs, elles nous ont permis d’annualiser, de mieux gérer le personnel, les congés, les salariés y ont perdu en terme de pouvoir d’achat. C’est pour ne pas les pénaliser que j’avais pensé mettre en place le système d’intéressement. Sans succès.
« L.P.V. » – L’embellie du Cognac introduit-elle une nouvelle donne en terme de salaire ?
C.T. – C’est vrai que la région va bien aujourd’hui et que les salaires pourraient progresser plus facilement. Mais qu’en sera-t-il demain ? Le souci, dans une région viticole comme la nôtre, c’est que la main-d’œuvre est difficilement compressible. Et quand la crise est là, impossible de revenir sur les augmentations une fois consenties. Pour ces raisons, la hausse des salaires trouve assez vite ses limites. Malgré tout, comment faire progresser les rémunérations ? Il existe la piste des avantages en nature. Dans un contexte de loyer élevé – qui ne devrait pas s’inverser de sitôt – mettre à disposition un logement représente sans doute une bonne formule. D’ailleurs nous n’inventons rien, nos anciens pratiquaient de la sorte. Les investissements se réalisent en période faste et le jour où la situation se dégrade, le logement, déjà payé, aide à traverser la mauvaise passe. Un loyer, aujourd’hui, atteint facilement 600 € par mois.
« L.P.V. » – Dialoguez-vous avec vos salariés ?
C.T. – Nous parlons à bâtons rompus, au coup par coup, lorsqu’on travaille ensemble, dans le chai ou ailleurs. Quant au dialogue proprement dit, les salariés ont la possibilité de s’exprimer librement. Je ne me plaindrais pas du climat actuel. Dans le passé, j’ai connu des échanges sous forme d’ultimatums et de rapports de force. C’était assez éprouvant.
« L.P.V. » – Y a-t-il des améliorations que vous envisagez d’apporter au niveau du personnel ?
C.T. – Oui, je pense équiper un coin cuisine, complété d’une salle de repos et de douches. Je sais déjà où je vais le faire. Nous encourageons beaucoup nos salariés permanents à pratiquer une coupure de 2 heures. Une petite sieste est un excellent moyen de retrouver la forme.
Erratum
Syndicat des maisons de Cognac : jamais sans Marnier
Dans le précédent journal, une malencontreuse omission s’est glissée dans la liste des sociétés constituant le Syndicat des maisons de Cognac (article page 10). La maison Marnier-Lapostolle, dont Patrick Raguenaud dirige le site de production de Bourg-Charente, fait évidemment partie des membres de ce nouveau syndicat, elle qui adhérait déjà au Syndicat des exportateurs. Sincères excuses.