Didier Renaud est maître d’apprentissage depuis 2002. Régulièrement, il accueille des stagiaires du CFPPA du Renaudin, lycée agricole en lisière de Jonzac, le seul établissement scolaire de Charente-Maritime à proposer des formations viticoles. Ces stagiaires, lestés d’un contrat de travail, ont le statut d’apprentis. Ils préparent en deux ans le CAPA (Certificat d’aptitude professionnel agricole). Durant chaque année scolaire, ils passent treize semaines au lycée et le reste du temps sur les lieux de travail. A Allas-Bocage, Didier Renaud met en valeur une exploitation polyvalente, dont l’activité se décline ainsi : 13,5 ha de vignes, 5,20 ha de tabac et 36 ha de céréales. A un moment donné, il s’est dit : « pourquoi ne pas prendre un apprenti ? ». Ses motivations étaient à la fois d’ordre général et personnel. « Sans patron, il n’y a pas d’apprenti. Notre métier est un métier de passionnés. Pour le transmettre, il faut bien que certains y consacrent du temps. Et puis c’est agréable de communiquer son savoir. » Comme producteur tabacole, D. Renaud était déjà rompu à l’emploi saisonnier et le contact passait bien avec les jeunes. Et puis, par tempérament, l’exploitant est tout sauf un solitaire. Il l’avoue d’ailleurs volontiers. Seul, dans ses vignes, il s’ennuie. « A l’époque ma femme travaillait encore à l’extérieur. Les journées me semblaient très longues. Travailler avec des apprentis m’est apparu comme le moyen de rompre la monotonie. » Pour s’informer, il prend rendez-vous avec le CFPPA du Renaudin et obtient assez rapidement le statut de maître d’apprentissage. Partageant un salarié avec trois autres exploitants au sein d’un groupement d’employeurs, D. Renaud ne se positionne pas en tant qu’employeur potentiel. Son rôle s’arrête à la formation des apprentis. Depuis 2002, il en a formé plusieurs, filles et garçons. « Je ne suis jamais allé chercher un seul apprenti. Ils sont toujours venus à moi. C’est un peu ma force. Si ça ne va pas, je peux leur dire : « prenez vos cliques et vos claques ! » Des propos bien sentis que la réalité dément. L’exploitant n’emploie pas la manière forte avec ses stagiaires. Il est plutôt enclin au dialogue. « Quand ça ne marche pas en affrontant le problème de face, on le contourne. » Au fil du temps, il a appris à développer des qualités de pédagogue. « Il convient de s’adapter aux personnes en face de soi, leur faire comprendre les choses sans les brusquer. Les messages, on peut les faire passer de différentes façons. Il y a des erreurs que l’on ne recommence pas. Par contre, clairement, les relations avec les apprentis, ça se gère en permanence. Pour être maître d’apprentissage, il faut être patient et accepter de perdre du temps. A ce titre, c’est vrai que tout le monde n’en est pas capable. Si l’on n’est pas prêt à donner un peu de son temps, il ne faut pas le faire. » Le viticulteur s’est vu confier des jeunes en grande difficulté. « Pour certains cas difficiles, je dois dire qu’ils pensent à moi. » Il ressent une certaine fierté à avoir conduit ces jeunes jusqu’à l’examen. « Humainement, c’est très enrichissant. » Comment l’environnement professionnel perçoit-il cette forme d’engagement ? « Cela dépend des personnes. Certaines se demandent pourquoi s’em….-t-il avec ça ? » D’autres sont quand même bluffées par les évolutions constatées. Des apprentis qui, au départ, ne savaient ni lire ni écrire, qui manifestaient une timidité extrême, en fin de période, faisaient plus d’heures de tracteur que moi, étaient capables de manœuvrer tout type d’engins. » Mais, pour Didier Renaud, les vertus de l’apprentissage vont plus loin. Elles dépassent largement le simple catalogue des acquis techniques. C’est une école de la vie. « L’apprentissage permet de rentrer dans le monde professionnel plus en douceur. Les jeunes apprennent à embaucher à l’heure et, progressivement, à respecter les cadences. » Sur les horaires, le maître d’apprentissage se montre d’emblée inflexible. « C’est une question de respect d’autrui. » Quant à la rapidité d’exécution des tâches, elle vient avec le temps. Certes le métier l’impose. « En agriculture, nous sommes exigeants. Dans la tête des employeurs, les 35 H signifient 35 H de boulot effectif. Petit à petit, il faut préparer les jeunes à cet objectif. » Ceci dit, il y a la manière. « C’est tout bête mais je sais que si je laisse un apprenti tout seul, le rendement déclinera. Alors je m’arrange pour être le plus souvent avec lui. Et j’essaie d’introduire de la variété dans les tâches. La polyvalence de l’exploitation m’y aide. Je n’aime pas spécialement tailler. Je peux donc comprendre qu’un stagiaire se lasse après plusieurs jours. A sa place, j’en ferai autant. » Après l’indispensable période de tutorage, le jeune apprendra à voler de ses propres ailes, en progressant sur le chemin de l’autonomie.
des salariés autonomes
Le viticulteur-formateur en est convaincu : « De plus en plus, les agriculteurs rechercheront des salariés autonomes. Ce critère d’embauche est appelé à se développer. » Aujourd’hui, Didier Renaud a deux jeunes sur son exploitation : Nicolas, 17 ans et demi, en première année de CAPA vigne et vin (diplôme préparé normalement en deux ans), et Mathilde, en BTS axe à l’IREO de Richemont, après un bac scientifique obtenu au lycée agricole Georges-Desclaude à Saintes. Ni l’un ni l’autre sont de milieu agricole. Nicolas aurait préféré embrasser la carrière de mécanicien auto. Mais faute d’avoir trouvé un maître d’apprentissage dans cette branche, il a dû se rabattre sur un autre domaine d’activité. Un professeur de Jonzac lui avait dit qu’il le verrait bien en agriculture. Va pour l’agriculture. Il est venu en voisin chez Didier Renaud, qui ne le loge ni le nourrit. A 10 mn de son domicile, le jeune rentre chez lui midi et soir. Il en va différemment pour Mathilde, hébergée sur place durant sa période d’alternance en entreprise (15 jours sur le terrain/15 jours à l’école). Mathilde aimerait s’installer en apiculture ou en tout cas pratiquer la diversification d’activités. Tentée « à la base » par les métiers liés à l’écologie et à l’environnement, elle s’est aperçu assez vite qu’elle était plus intéressée par tout ce qui touchait à la production et à la vente, avec l’envie de « mettre la main à la pâte. » En optant pour un BTS axe, elle y a vu l’intérêt de ne pas s’enfermer trop vite dans une filière. « J’ai pris une clé assez grosse. » Entre Nicolas et Mathilde, le viticulteur n’adopte pas le même comportement. « Je ne manifeste pas le même degré d’exigence technique. Je sais que je dois amener Nicolas à un certain degré d’acquisition alors qu’avec Mathilde, c’est plus de l’ordre de la sensibilisation. Si j’influe directement sur le diplôme de Nicolas – quand je dis non c’est non – je n’influe pas sur l’examen de Mathilde. » Pour autant, dans l’un et l’autre cas, un lien uni le praticien à l’équipe pédagogique, matérialisé par le cahier de liaison pour Nicolas et le cahier d’alternance pour Mathilde. « S’il y a problème, je sais que les enseignants sont ouverts à la discussion même si, de leur côté, ils courent aussi après le temps. » Des rencontres entre maîtres d’apprentissage sont régulièrement organisées. A la toute fin d’entretien, le viticulteur a eu une jolie phrase pour qualifier son action de formation : « Je trouve que cela finit le métier. »
un pacte de formation
Christophe Bonafous, le directeur de la Maison familiale rurale de Triac-Lautrait, aime raconter comment, un jour, il a vu rentrer dans son bureau ce qu’il appelle un « binôme », en l’occurrence Serge Renaud et Kevin. « C’est la première fois que cela m’arrivait : voir un viticulteur arriver avec un gamin pour signer une sorte de pacte de formation qui lui ouvrira les portes de l’entreprise. »
Comment le « binôme » en est-il arrivé là ? Avec son fils Damien, Serge Renaud est co-gérant de l’EARL Renaud, à Boutiers-Saint-Trojan. L’exploitation, 100 % Cognac, compte 40 ha de vignes, dont beaucoup de parcelles étroites et de vieilles vignes. D’où un appel assez massif à la main-d’œuvre salariée. En plus des deux chefs d’entreprise, sont présents sur l’exploitation un salarié à plein-temps et deux salariés à mi-temps. Bientôt, Serge Renaud va arriver à la retraite et, en homme prévoyant, il a souhaité préparer son départ. « Je ne voulais pas que mon fils se retrouve seul devant l’obstacle, alors qu’il allait avoir besoin de s’appuyer sur un apport de main-d’œuvre supplémentaire. C’est pourquoi j’ai souhaité un peu anticiper les choses. » S’offraient à l’EARL plusieurs possibilités : soit l’embauche directe d’une personne formée, mais sans trop y croire, sauf à « voler le personnel aux voisins » ; soit former un jeune. » Cette voie a tout de suite eu la préférence de Serge Renaud. « J’ai considéré qu’à la veille de la retraite, ce serait ma dernière action de formation. J’ai dit à mon fils : celui-ci, je me le garde ! » On l’aura compris, Serge Renaud et la formation ont partie liée, depuis longtemps. Plusieurs fois, le viticulteur a accueilli des stagiaires sur des périodes plus courtes de 500 h ou 800 h. « J’ai toujours été content de faire participer les gens à mon activité, communiquer sur ce que je savais faire. » Cette sensibilité personnelle, Serge Renaud l’a également hérité de son parcours. Lui-même fut salarié pendant 18 ans sur les domaines Ricard de Lignière d’abord en tant que jardinier chargé de l’entretien – jeune homme, avait fait un BTS arboriculture – puis comme second du chef de culture. Le manque de promotion interne l’a conduit à monter sa propre affaire à partir de 1991 – d’abord sur 15 ha de vignes familiales puis par agrandissements successifs – mais il reconnaît l’influence de cette expérience première. « Avoir soi-même été employé vous rend plus sensible aux problèmes des salariés. » « Là-bas, se souvient-il, j’y ai fait du syndicalisme et fut même délégué du personnel. » « Paul Ricard, poursuit-il, était un précurseur en matière d’économie participative. A ma petite échelle, j’avais toujours rêvé mettre en place un plan d’épargne entreprise. Dès que j’ai pu, je l’ai fait, même si l’on aimerait toujours donner plus. » Serge Renaud a demandé à son fils de poursuivre l’effort en faveur des salariés même si, reconnaît-il, « cette approche-là n’est pas naturelle ; il faut l’avoir vécue. »
un job d’été
C’est par un job d’été – le chantier de palissage 2009 – que la connexion entre Kevin et les Renaud père et fils s’est faite. A l’occasion de ces trois petites semaines en CDD, le jeune homme de 17,5 ans avait montré de la motivation. Ainsi, quand la piste du recrutement par la voie de la formation s’est dégagée, les co-gérants de l’EARL ont pensé à Kevin. Serge Renaud est allé le voir chez lui, pour lui présenter le projet ainsi qu’à sa mère. « Je leur ai expliqué que nous nous engagions à embaucher Kevin à l’issue de sa formation. C’est un contrat moral mais j’étais prêt à l’écrire. Ce fut très bien compris et fait devant témoins même si, naturellement, quelques petites réserves furent émises, en cas de disparition de l’exploitation par exemple ou si Kevin souhaitait changer son fusil d’épaule. Chacun conserve sa liberté. » L’adolescent avait interrompu sa scolarité à 16 ans, en 4e, mais était prêt à reprendre un cycle d’étude normal. Par apprentissage, par alternance ? Le choix de la proximité a fait pencher la balance pour la MFR de Triac-Lautrait et donc l’alternance. « Kevin est un peu casanier, il veut pouvoir rentrer tous les soirs chez lui » sourit S. Renaud. Ainsi, depuis septembre, Kevin vit au rythme d’une semaine de cours, une semaine de pratique, avec des vacances scolaires quelque peu écourtées (une semaine à la Toussaint, deux semaines à Noël, une semaine à Pâques…). Pour son travail, l’exploitation lui verse une gratification équivalente à 30 % du Smic. « Ces jeunes en Bac pro par alternance sont destinés à devenir des professionnels, souligne le viticulteur. Ils ont trois ans pour apprendre à distiller, tailler, conduire des engins. C’est suffisamment long et progressif pour apprendre les bonnes bases. L’acquisition d’un métier, ça ne s’invente pas. »
« mon dernier challenge »
Pour Kevin, les « hostilités » ont vraiment démarré avec les vendanges. Il s’en ait bien tiré. Pourtant chez lui l’agriculture ne s’apparente ni à une culture familiale ni à une vocation. Kevin envisageait de travailler dans la vente, dans des magasins de vêtements ou de produits frais, comme les trois quarts de ses copains. « Au départ, j’aimais pas vraiment être dehors et maintenant ça me plaît bien. J’arrive assez bien à me débrouiller. » Il faut dire que Kevin profite d’un traitement de faveur. Avec Serge Renaud, il a à faire à un maître de stage cinq étoiles, très présent et attentif « Me rapprochant de la retraite, je me libère davantage. J’ai donc plus de temps à consacrer à Kevin. Qui plus est, j’en ai fait mon dernier challenge » avoue le viticulteur qui reprend à son compte l’expression du « binôme gagnant » chère à Christophe Bonnafous. « L’apprentissage, moi j’y crois. C’est peut-être parce que les employeurs ne retroussent pas davantage leurs manches aux côtés des futurs salariés que le métier rebute. Il faut accepter de perdre du temps avec des jeunes pour en gagner davantage plus tard. » Sans parler de démission, il pointe « la carence professionnelle dans la transmission des savoir-faire techniques ». « Nous devons arriver à faire comprendre aux jeunes que notre métier est une profession comme une autre et, qui plus est, avec des rémunérations pas si désastreuses que l’on veut bien dire. » Ce que le sexagénaire attend de ses salariés ? « En premier lieu, de l’honnêteté » répond-il. Cette « honnêteté » passe essentiellement, selon lui, par la capacité à savoir communiquer. « Quand on a besoin d’un conseil, on le demande, quand on a cassé quelque chose, on le dit. Ne pas cacher les choses, c’est ça l’honnêteté dans le travail. » Mais il sait aussi que « les bons patrons font les bons salariés ». « Les bonnes relations avec ses salariés, ça se cultive. Si les salariés défilent chez certains, c’est sans doute pas sans raison. » L’EARL Renaud entretient une grande proximité avec le service prévention de la MSA. Stockage phyto aux normes, passerelles avec garde-corps équipant conquets, cuves et pressoirs, vestiaires pour les salariés, douches, kitchenette… tout est à « l’étiquette », rien n’est négligé. « Nous ne sommes pas à 100 % au top mais dès que nous pouvons apporter une amélioration, nous le faisons, même si ça réclame un effort financier supplémentaire. » Dans ces domaines aussi, l’exemple de la grande entreprise a fait école. Surtout, fort de son passé de salarié, Serge Renaud sait qu’un bon état d’esprit au sein de l’équipe de travail vaut tous les encouragements.