Les stigmates de la crise se perçoivent à plusieurs niveaux. Il y a bien sûr les chiffres dégradés livrés mois après mois par le service statistique du BNIC ; ou encore le différentiel entre le rendement Cognac prévu (8,12 hl AP/ha) et celui de l’an passé (10,85). Mais existe également des signes plus ténus, dont celui livré avec un brin de gouaille par Bernard Guionnet, président d’Alliance Fine Champagne : « C’est la vie d’une coopérative que d’enregistrer des départs et des arrivées. Après la campagne de distillation, Alliance compte dix nouvelles adhésions et très peu de démissions. J’ai l’impression que la vague de démissions s’est bien calmée. Je ne sais pas exactement pourquoi mais c’est un fait. » A coup sûr, les contrats « fermes et irrévocables » conclus par Alliance Fine Champagne sur une base triennale 2007/2008/2009 n’y sont pas étrangers. Ils seront respectés à la lettre lors de la prochaine récolte. Bernard Guionnet l’a dit et Vincent Géré, directeur des Cognacs Rémy Martin, l’a confirmé. « Vous l’aviez déjà entendu en février dernier, de la part de Jean-Marie Laborde, directeur général du groupe Rémy-Cointreau. Notre position reste la même six mois plus tard. Nous sommes engagés mutuellement sur trois ans. Bien sûr que nous allons honorer notre engagement contractuel et notre parole. La maison a toujours fonctionné de cette façon. Lisser les à-coups, c’est le modèle de sécurité d’Alliance Fine Champagne. C’est aussi afficher la confiance de fond qui nous anime, alors que nous mettons en place un nouveau réseau de distribution (la maison Rémy Martin a abandonné le réseau de distribution Maxxium – ndlr). Notre volonté, encore une fois, est de protéger le volume contractuel 2009. Ce n’est pas forcément le cas de tous nos concurrents. »
un constat sans concession
Faut-il tirer de ces propos que la maison Rémy Martin nourrit une vision « soft » de la crise mondiale ? Pas exactement. V. Géré s’est au contraire livré à un constat sans concession. « Il faut se dire les choses ». Et les choses qu’il a dites ne sont guère flatteuses. « A février 2009, sur 12 mois, le Cognac vendait 163 millions de bouteilles. Aujourd’hui, toujours sur l’année mobile, il en écoule 148 millions. La tendance est passée de – 8 % à – 13,6 %, ce qui signifie des expéditions à – 20/– 25 % sur les derniers mois. Dans un espace de temps assez bref, le Cognac a perdu 100 millions d’€. Et, ce qui est nouveau, toutes les zones sont passées en négatif. La crise, qui avait d’abord affecté les ventes aux Etats-Unis, a contaminé le marché européen. Maintenant, c’est au tour de l’Extrême-Orient d’accuser une chute. Même chose pour les qualités. Toutes les qualités sont dorénavant touchées et non plus les seuls VS. » Dans ce contexte, le directeur des Cognacs Rémy Martin n’a pas caché que pour « tenir le cap des achats 2009 », la société avait dû prendre certaines mesures, dont la première a consisté à arrêter tout achat non contractuel.
A l’aube de la révision des contrats, en 2010, Vincent Géré a ensuite évoqué la réflexion stratégique qui a animé la maison depuis presque un an. « A crise exceptionnelle, par sa brutalité et sa longueur, répondent des mesures exceptionnelles. Ainsi, devrons-nous sûrement revenir à un palier en 2010, ne serait-ce que pour afficher de la prudence. »
protéger les contrats individuels
Que faut-il entendre par là ? Le directeur des achats n’a pas tardé à préciser la vision de la maison : « Clairement, les contrats individuels bouilleurs de cru sont ceux que nous voulons le plus protéger. Pour ces contrats, l’engagement de trois ans correspond à un héritage sur lequel nous n’aimerions pas revenir. Cela nous semble le moyen le plus approprié pour sécuriser les meilleures propriétés de Grande et de Petite Champagne. Pour nous, il est important d’assurer une telle continuité. » Quid alors des contrats collectifs des livreurs de vin, l’autre versant de la politique contractuelle de Rémy ? Vincent Géré n’a pas laissé planer d’ambiguïté : « En 2003, ces contrats bénéficiaient d’une visibilité d’un an, puis l’engagement est passé à deux ans pour arriver, conjoncture aidant, à trois ans en 2006. Dans le contexte actuel, la moindre des sagesses consiste à ce que les contrats collectifs reviennent à une visibilité d’un an, en espérant rallonger la durée quand la situation s’améliorera. » Pour la maison de Cognac, cette manière de coller à la conjoncture va de pair avec une prudence sur les prix. Si le directeur des Cognacs Rémy Martin ne s’est pas montré très prolixe sur le sujet, il a tout de même indiqué qu’un groupe de travail avait commencé à réfléchir sur les prix des comptes d’âges comme sur ceux des eaux-de-vie nouvelles de la campagne 2009/2010.
Concernant les comptes d’âge « c’est un secret de polichinelle de considérer que les prix ne vont pas en augmentant, c’est le moins que l’on puisse dire. » V. Géré n’a pas cité de chiffres, préférant rappeler l’engagement de Rémy Martin à payer le cru, le compte d’âge et la qualité « ceci en toute transparence, ce qui constitue déjà un facteur de stabilité régionale ». « Dans d’autres situations a-t-il ajouté, ce sont parfois les crus qui ne sont pas payés, notamment aux livreurs de Grande Champagne ou bien les comptes d’âge ou encore les achats qui se trouvent différés. » C’est fin juillet que les prix des rassises devraient être connus.
Pour la « cote Rémy Martin » des eaux-de-vie compte 00, il faudra attendre un peu plus tard, en septembre ou octobre. « Ces prix dépendant beaucoup de l’environnement concurrentiel, les choses se décanteront d’autant plus vite que les autres maisons communiqueront sur leurs prix. » V. Géré a fait appel à une périphrase pour lâcher une bribe d’information : « Loin de nous l’idée de ne pas maintenir les prix ; mais je n’en dirai pas plus. »
Un peu avant, le président d’Alliance Fine Champagne s’était lui aussi exprimé sur les prix. Au chapitre des rassises, sans pouvoir éluder la nouvelle donne commerciale, Bernard Guionnet a argué d’un examen attentif des prix d’achat au 31 mars 2009, tant chez les autres grands négociants qu’au travers de la mercuriale BNIC. « Ces prix nous permettront je l’espère d’obtenir des cours acceptables et respectables. Le suspens prendra fin vers le 20 juillet. » Sur les prix des eaux-de-vie nouvelles de la prochaine récolte, il a cité l’étude du groupe de travail « Economie viticole » du BNIC qui conclut pour 2008 à une augmentation des coûts de production de + 2,65 % (coût moyen de 6 340 € par ha). « La discussion avec notre acheteur sera sans doute difficile. Du moins nous y préparons-nous. » Par contre, ce qui lui semble ne faire aucun doute, c’est le caractère tendu des trésoreries viticoles dans le proche avenir : « Avec un rendement Cognac de 8,12, les exploitants qui réussiront à équilibrer leurs comptes seront à coup sûr de très bons funambules. »
Au terme d’une approche plus « politique » – politique régionale s’entend – Vincent Géré s’est saisi de la proposition de rendement Cognac 2009 pour la commenter. « Pour nous, un des paramètres qui conditionne le plus le chiffre d’affaires des exploitations est sans conteste le rendement. Durant ces deux dernières années, la vigne a produit moins que le rendement fixé mais, précédemment, c’était l’inverse et, en 2009, le rendement sera inférieur au potentiel physiologique. Notre position consiste quand même à rappeler que cette situation de rendement inférieur au potentiel du vignoble n’est pas bonne. Elle ne profite ni au revenu ni à la qualité du produit. Nous devons faire tout ce que l’on peut pour obtenir des rendements pas trop faibles. Des études placent un point d’équilibre économique à 8,5 hl AP/ha en Fins Bois. Dans une perspective à long terme nous serions davantage partisans des 9/9,5 hl AP/ha. Mais pour arriver à un tel niveau, la région doit s’alléger d’environ 4 000 ha. Grâce au plan d’adaptation de 1998, la région a pu passer de 83 000 ha de cépages vins blancs Cognac à 75 000 ha. Reste un delta de 4 000 ha qui représente un fardeau pour tout le monde. A court, moyen ou long terme, il est illusoire de penser que des augmentations de prix pourront compenser ce poids. Nous savons que ce n’est pas facile mais nous pensons qu’il faut tout mettre en œuvre pour se positionner sur des rendements plus hauts que bas. »
Dans la salle, un viticulteur est revenu sur l’arbitrage entre livreurs de vin et bouilleurs de cru. « Plutôt que de raisonner en grandes masses, pourquoi ne pas privilégier les meilleurs apporteurs, dans chaque famille ? » Réponse de Vincent Géré : « C’est déjà ce qui se passe. Ce sont ceux qui livrent la meilleure qualité qui sortent le mieux leur épingle du jeu. Les primes qualité assurent non seulement un meilleur revenu mais, en phase de renouvellement des contrats, permettent aussi de meilleures allocations de volumes. Lorsqu’il y a ajustement sur les volumes, les livreurs les plus qualitatifs sont récompensés. »
Invitée à clôturer la réunion, Dominique Hériard-Dubreuil a souligné le rôle d’Alliance Fine Champagne. « Dans l’univers particulièrement perturbé que nous connaissons aujourd’hui, la coopérative joue comme un élément de stabilité. Elle offre une vraie visibilité et permet d’amortir les variations brutales. Il s’agit d’un gage de pérennité pour vos exploitations. Ce contrat qui nous unit depuis si longtemps, nous allons l’entretenir dans un esprit gagnant-gagnant. »
Alliance Fine Champagne – Les chiffres de la campagne 2008/2009
Les chiffres définitifs seront arrêtés au 31 août 2009. Mais, début juillet, la coopérative disposait de données suffisamment précises pour pouvoir les communiquer. Alliance Fine Champagne compte 1 162 fournisseurs. Par rapport à la récolte 2007, les volumes distillés progressent d’1,4 %. Les volumes sous contrats s’élèvent à 168 000 hl AP, répartis de manière presque égalitaire entre contrats collectifs et contrats individuels. En septembre-octobre 2008, Alliance Fine Champagne a rentré un total d’apports de 53 600 hl AP, dont 33 100 hl AP au titre des contrats collectifs et 20 500 hl AP au titre des contrats individuels. Sur les mises en stock collectives de la récolte 2008, les primes qualité ont représenté + 0,96 % en Grande Champagne et + 1,16 % en Petite Champagne, soit un total de 306 000 euros, payés en mai-juin 2009. Sur les mises en stock individuelles, les primes qualités se sont élevées à + 1,21 % en Grande Champagne et à + 1,45 % en Petite Champagne. Reste en stock 82 600 hl AP, pour une valeur de 79,4 millions d’€, contre 74,9 millions d’€ la dernière campagne. Au
31 août 2009, le chiffre d’affaires estimé de la coopérative atteindra 57 millions d’€ (53 millions d’€ l’an dernier). Le résultat prévisionnel est estimé à 2,3 millions d’€ (2,2 millions d’€ en 2007/2008). A 1,10/1,15 %, le taux bancaire Euribor 3 mois frôle son taux plancher historique, ce qui profite aux comptes de la coopérative. Le président d’Alliance Fine Champagne a remercié les partenaires banquiers, en relation avec la coopérative depuis plus de quarante ans.
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