La phase de recours gracieux courait sur deux mois. Les deux mois étant largement écoulés et face au silence du Gouvernement, le collectif des Viticulteurs Charentais créé pour la circonstance a réuni à nouveau ses ouailles. Le premier rassemblement s’était déroulé à Merpins le 16 janvier 2009. Même mobilisation salle de la Salamandre à Cognac le 23 avril, comme si la viticulture charentaise, tous horizons confondus, s’était passé le mot. Mais, contrairement à la première prise de contact, cette fois la tension était montée d’un cran. Un viticulteur s’en est pris « à ces gens qui nous ont mis dans la m… » tandis qu’un autre dénonçait « ces politiques qui laissent des patates chaudes derrière eux. C’est une bande d’enf… Tandis qu’ils nous baladent de droite et de gauche sur un tas de nouveaux dossiers, ils gagnent du temps. » A la tribune, les responsables professionnels membres du collectif ont dû faire preuve de beaucoup de doigté et de diplomatie pour arriver à emmener la salle là où ils voulaient la conduire : vers un compromis juridiquement tenable, qui protège les intérêts des viticulteurs tout en étant recevable au niveau du droit. Car ce qui avait été à peine suggéré le 16 janvier 2009 se confirme six mois plus tard. Il v a falloir commencer de rembourser. Mais pas tout, pas n’importe comment et surtout pas tout de suite. C’est sur la mise en musique de cette action collective que les débats ont porté.
Combien payer ? C’est là que le collectif présidé par Philippe Guélin intervient pour rassembler les troupes et se mettre d’accord sur la conduite à tenir. Faut-il tout payer ? Certainement pas. « Si certains d’entre nous se mettent à tout payer, ça ne marchera pas ! » Donner un gage de bonne volonté suffit. Les viticulteurs présents à Cognac ont décidé de verser, dans un premier temps, un acompte de 5 % de la somme due.
Pourquoi lancer une action en justice ? D’un point de vue déontologique d’abord, il s’agit de faire reconnaître la responsabilité de l’Etat. « Nous ne sommes pas tributaires des fautes du Gouvernement. » Accessoirement, ou plutôt principalement, c’est aussi prouver l’existence d’un préjudice individuel et demander à l’Etat des dommages et intérêts pour ce préjudice, dommages et intérêt qui, éventuellement, pourraient couvrir voire dépasser les sommes à rembourser.
Le tribunal compétent : Le tribunal administratif de Poitiers.
La forme du recours : En l’occurrence, le collectif n’agit qu’en simple facilitateur. Ce n’est donc pas lui qui peut intenter une action en justice devant le tribunal administratif. Il appartiendra aux 631 viticulteurs concernés de déposer 631 recours en responsabilité de l’Etat devant le tribunal administratif. Naturellement, le collectif accompagnera et soutiendra les viticulteurs tout au long de la procédure, en leur indiquant au fur et à mesure la marche à suivre. Avant la saisine du tribunal administratif, chaque viticulteur aura préalablement déposé une réclamation auprès d’une autorité publique restant à choisir. C’est de cette réclamation que naîtra le droit à réparation du préjudice. Ainsi la réclamation constitue-t-elle le point de départ de toute la démarche.
Chiffrer le préjudice individuel : Pour obtenir réparation, faut-il encore apporter la preuve du préjudice subi. Et le préjudice, par définition, varie d’une exploitation à l’autre (exploitation pratiquant la vente directe, livrant à une structure collective, bonne ou moins bonne santé de cette structure…). Ainsi, l’estimation de ce préjudice relèvera d’un travail individuel même si des éléments récurrents se retrouveront sans doute dans tous les dossiers : densité de plantation supérieure à la moyenne de l’exploitation, écartement différent, frais de culture supérieurs, perte d’exploitation, mévente, manque à gagner… Un viticulteur a même signalé un préjudice moral. « Personnellement, ce qui m’affecte le plus, c’est le préjudice moral. Nous n’avons rien fait de mal, nous avons été corrects. Et l’on nous traite comme des voleurs ! » Le thème du préjudice moral laisse cependant sceptiques les avocats : « On peut toujours le demander mais il a peu de chance d’être reconnu. »
Les chances de succès : Sur la forme comme sur le fond, les avocats disent « avoir bon espoir » de voir consacrer à terme la responsabilité de l’Etat. « Nous avons plus d’une chance sur deux de parvenir à nos fins. » Toutes les personnes au contact du dossier, y compris dans les couloirs ministériels, estiment l’affaire « surréaliste », « rocambolesque » depuis dix ans qu’elle couve dans l’ombre. Et à qui normalement reviendraient les intérêts de retard ? A l’Etat français, celui-là même qui a commis la faute. « Mieux qu’au loto ! » s’est exclamé un avocat.
Le délai : Au moins deux ans de procédure devant le tribunal administratif et sans doute plus en comptant les procédures d’appel. Un professionnel a parlé de dix ans. Le GIE Merpinois se situait à peu près dans ces eaux, pour un résultat positif au final. −
L‘aide juridictionnelle : Enclencher une procédure contentieuse suppose de trouver le financement. Comme pour le GIE Merpinois, l’idée consiste à actionner la clause de défense juridique et fiscale proposée par la majorité des contrats d’assurance. Le collectif envisage de rencontrer le pool d’assureurs pour négocier collectivement la prise en charge des frais.
Les intérêts : Ils continuent de courir jusqu’au paiement, à l’actuel taux légal de l’Etat de 3,70 %.