Le syndicat invite le président de l’INAO

12 mars 2009

A la demande du SGV Cognac, Yves Bénard était en Charentes le 22 mai dernier, premier déplacement en région du nouveau président de l’INAO. Une venue justifiée par la vaste réforme des règles de l’INAO et par le prisme charentais de l’affectation parcellaire. Homme fort du négoce champenois, Yves Bénard a été sollicité sur les points de rapprochement pouvant exister entre le Cognac et le Champagne. Il a surtout souligné les différences entre les deux régions. Le SGV Cognac a exprimé son projet à moyen terme : maximiser les productions dans toutes les filières après avoir réussi à les encadrer grâce à l’affectation parcellaire.

sgv_bnard_3_opt.jpegDécidément, la table ronde est un exercice qui se porte bien en Charentes. Après le SVBC, le SGV a organisé la sienne autour d’un thème central, l’INAO. Il faut dire que l’actualité le justifie. A travers la réforme de l’agrément, l’INAO s’attaque, au plan national, à un chantier d’envergure : mise en place des ODG (organismes de défense et de gestion), nouvelles procédures de contrôles des conditions de production, création d’un conseil transversal « Agrément et contrôle », instauration d’une Procédure nationale d’opposition (PNO) pour l’adoption des cahiers des charges (autrement dit des décrets d’appellation)… En Charentes, l’application de l’agrément et l’affectation parcellaire devraient renforcer le rôle de l’INAO. D’où l’intérêt de mieux connaître le mode de fonctionnement de l’Institut. Invité majeur de l’assemblée générale du SGV, Yves Bénard a été rejoint à la table ronde par les « régionaux » qui siègent à l’INAO et à la CNAOC, Jean-Pierre Lacarrière, Philippe Boujut, Bernard Guionnet. Manquait Yann Fillioux, retenu à Paris pour la présentation du plan d’action Hennessy auprès d’LVMH. Jean-Bernard de Larquier a assuré le rôle d’animateur.

En guise de « mise en jambes », Laurence Guillard, directrice du centre INAO de Cognac, a brossé à grands traits la réforme de l’INAO, réforme justifiée « par une attente sociétale forte » consistant à dissocier, en gros, les contrôleurs des contrôlés. Auparavant, le syndicat de défense de l’appellation servait un peu d’interlocuteur unique à l’INAO, avec la suspicion latente qu’il soit « juge et parti ». Aujourd’hui, c’est à l’ODG que revient la charge de symboliser l’engagement collectif au service de l’appellation. L’organisme de défense et de gestion a notamment pour rôle « d’être une force de proposition sur le cahier des charges ». Par ailleurs il définit les points de contrôle, contrôle appelé à se décliner sous différents aspects, auto-contrôle, contrôle interne, contrôle externe.

« où voulons-nous aller ? »

Suite à cette présentation technique, les participants à la table ronde ont posé à Yves Bénard une série de questions à la fois générales et plus ciblées sur la région (voir encadré). Parallèlement, Jean-Bernard de Larquier a explicité le projet de son syndicat. « Où voulons-nous aller ? » Mais auparavant, il a pris la précaution oratoire de dire où son syndicat ne voulait pas aller. « Actuellement, a-t-il dit, nous sommes dans un régime de double fin. C’est la distillation de retrait de l’article 28 qui nous permet de fixer le niveau de la QNV Cognac. Demain, le cépage gardera sa spécificité de cépage double fin mais sans l’article 28. Si rien n’était fait, que se passerait-il alors ? Au mieux nous tomberions sous le coup du rendement vin de table des régions mixtes à 110 hl vol./ha, si tant est que ce rendement demeure. A 9,5 % vol., cela se traduirait par une production ha de 10,45 hl AP. Rapporté à la surface vin blanc Cognac – dans l’hypothèse où tout serait distillé – cela équivaudrait à la production de 772 755 hl AP, soit un excédent de 63 000 hl AP par rapport à l’estimation actuelle des besoins. Dans ces conditions, que deviendraient les cours ? Imaginons maintenant que le rendement vin de table soit déverrouillé. Sur la base d’un rendement agronomique moyen de 123 ha et d’un degré de 9,5 % vol., la production de Cognac atteindrait 863 000 hl AP soit 154 000 hl AP de plus que les besoins actuels. Ce serait proprement suicidaire. C’est pour cela qu’à l’unanimité, l’interprofession a choisi de soutenir l’affectation parcellaire comme la seule solution jouissant d’une validation juridique. » Revenant à la question de départ – « où voulons-nous aller ? » – J.-B. de Larquier n’a pas tergiversé. « Nous voulons augmenter les rendements du Cognac, du Pineau, des vignes autres. Mais tout cela n’est possible que si les productions sont encadrées grâce à l’affectation parcellaire. » Sans aspérité dans le discours, le chef de fil du SGV a tranquillement égrené les rendements qui lui paraîtraient souhaitables d’atteindre à terme. Il a commencé par le Cognac. « Notre objectif se situe aux alentours de 11 hl AP/ha. En 2007, nous sommes à 9,6 hl AP/ha avec 96 % des surfaces orientées au Cognac. Pour produire la même quantité de Cognac, un rendement à 11 de pur ne solliciterait que 65 000 ha, libérant d’autant des surfaces aux autres productions. » Pour le Pineau est visé un rendement de 37 hl vol./ha de produit fini, soit un rendement en moût de 70 hl vol./ha additionné à un rendement Cognac de 11 de pur. Quant aux vignes autres, le SGV les verrait bien bénéficier d’une libéralisation totale des volumes, de 200 hl vol./ha dans un premier temps pour évoluer vers 300 hl/ha par la suite. Ce rendement de 300 hl/ha, calculé sur une surface de 9 900 ha (ce qui resterait, une fois retirées des 75 500 ha les surfaces affectées au Cognac et aux moûts Pineau) déboucherait sur un potentiel de production de 2,9 millions d’hl vol. Inutile de dire que d’ici là le marché des vins de table aura besoin de se restaurer, sachant que la capacité d’absorption des jus de raisin est calibrée aux environs d’1 million d’hl vol. Poursuivant sa démonstration, le président du SGV est passé du volumique au financier. Valeur aujourd’hui, à 11 de pur ha et en retenant un prix du vin Cognac Fins bois à 617 € l’hl AP, le revenu tiré d’un ha de vigne équivaudrait à 6 787 €, le revenu d’un ha Pineau à 6 708 € et le revenu des vignes autres à 3 924 € dans un premier temps (200 hl vol./ha) et à 5 832 € l’ha dans un second temps (300 hl vol./ha). « Notre finalité, a-t-il martelé, est d’augmenter le revenu du viticulteur tout en conservant le potentiel des 75 500 ha. Bien sûr, rien ne s’obtient sans effort mais relativisons tout de même la taille des efforts. » Est-ce le débit rapide de J.-B. de Larquier ou le ton un peu monocorde qui accompagna ces informations ! En tout cas, la salle n’a pas réagi à l’énoncé des rendements. Pas une question ne fut posée à ce sujet. Il y a quelques années, dans la même enceinte, le public aurait « monté au rideau ». Signe des temps, preuve que les viticulteurs sont « mûrs » pour entendre ce genre de chose ? A l’issue de la réunion, le président du SGV a explicité ses propos. « Nous avons toujours laissé entendre qu’il allait dans nos intentions d’augmenter le rendement dans un régime d’affectation parcellaire. Aujourd’hui, nous le disons franchement, pour couper court aux rumeurs et aux fausses informations. Pour tous nos ha, nous souhaitons aller au potentiel maximum de valorisation, en sachant que sur un ha Cognac, on ne pourra faire que du Cognac et qu’un rendement élevé permettra de libérer des volumes pour le reste. Par ailleurs, un autre objectif consiste à avoir très peu d’excédents sur les ha Cognac, peut-être 0,30 ou 0,60 hl AP/ha pour le tri Cognac. A ce niveau-là, la destruction ne posera pas problème. Et ainsi on élude totalement la question des vignes éponges. » Si tel devait être le cas, à quand le rendement Cognac à 11 de pur ? Le président du SGV Cognac ne se prononce pas sur la date – 2009, 2010, 2011 – mais ce sera bien sûr après le changement de régime (depuis, l’assemblée plénière du BNIC s’est prononcée pour une QNV de 10,62 hl AP/ha – NDLR).

le message du « donnant/donnant »

Dans son rapport moral, le président du SGV a consacré une partie de son intervention aux rapports de la viticulture et du négoce. Sabre au clair parfois mais le plus souvent à fleuret moucheté, le président du SGV a essayé de faire passer le message du « donnant/donnant » : sens des responsabilités de la part de la viticulture en échange d’un meilleur traitement de la part du négoce. En laissant entendre si ce « deal » implicite était désavoué, la viticulture pourrait ne pas se montrer toujours aussi conciliante. « Nous avons fait preuve de rationalité sur la définition des besoins Cognac et leur approvisionnement. Cette étape étant franchie, il faut continuer à rationaliser les outils de production. J’entends par là qu’après avoir effectué un travail sur le volume, il faut effectuer un travail sur la valorisation de ce volume. La viticulture que nous sommes a accepté longtemps avec soumission et fatalisme les conditions du commerce. L’accaparement de toute la marge par le négoce au profit de la seule rémunération de l’actionnaire constitue aux yeux de la viticulture un abus. Aujourd’hui la viticulture est courtisée. Elle a les moyens de rendre au négoce la monnaie de ses spéculations. Mais recourir à la violence est aussi répréhensible que l’abus de puissance financière. Fort heureusement, un tel recours apparaît comme l’ultime moyen à n’employer qu’après l’échec de tous les autres. Si le partage plus équitable de résultats est réalisé, le vigneron devra aider à la conservation du commerce tel qu’il est aujourd’hui, car il est capable de vendre au mieux le Cognac. […] Le Cognac est capable de faire vivre tous ceux qui concourent à le produire. L’action du SGV en faveur des seuls vignerons serait une politique suicidaire qui détruirait la dynamique du négoce, avec comme conséquence une moindre performance en matière commerciale. […] La viticulture a le devoir de stocker pour assurer son avenir. Son assurance récolte vient de la capacité à voir son marché progresser. Pour cela, elle ne doit pas être obligée de tout commercialiser pour faire face à ses coûts de production et à sa marge. Par le refus d’une construction de la valorisation durable et raisonnée, n’obligeons pas la viticulture à se poser des questions sur le bien-fondé des efforts qu’elle a fourni pour la mise en place de l’outil de calcul des besoins du négoce. »

l’exemple de la champagne

Avec Yves Bénard, l’occasion était belle pour le syndicat viticole de demander à un Champenois comment la Champagne de Reims avait réussi à instituer un partage équitable de la valeur ajoutée. Avec l’intention évidente de pouvoir en tirer argument en Charentes. Le propos passa à peu près totalement à côté de sa cible. Yves Bénard ne s’est pas laissé entraîner sur ce terrain glissant. Il a essentiellement réagi en homme du négoce, avec des arguments qui, il faut bien l’avouer, faisaient mouche. On a beau être Champenois, on n’en reste pas moins fidèle à sa famille de pensée. « Si certains rapprochements peuvent être trouvés entre le Cognac et le Champagne, beaucoup de différences existent aussi. Le Champagne évolue tout de même dans une niche commerciale. Le marché mondial des vins effervescents représente à peine 5 % du marché mondial des vins et, dans sa catégorie, le Champagne occupe une position dominante. A l’inverse, à l’intérieur du marché des spiritueux, le Cognac est confronté à de lourds compétiteurs comme les Whiskies, Vodkas, Gins, Rhums, alcools blancs… Les marques doivent donc financer des campagnes de publicité et de promotion très puissantes. Maintenant, grâce à une belle croissance, les besoins d’approvisionnement du Cognac augmentent. Quand la demande est supérieure à l’offre, on peut imaginer une évolution de la négociation qui permette des avancées. Ce n’est pas une réponse de Normand mais je veux vous faire sentir qu’il existe une grande différence entre nos deux produits. » Malgré tout, J.-B. de Larquier a tenté d’enfoncer le clou en évoquant la nécessité d’une viticulture forte, ne serait-ce que pour financer des campagnes de promotion de l’AOC, appellation dont se revendique le négoce à travers ses ventes. « La viticulture représente le fondement du produit Cognac. » L’ancien président de l’Union des maisons de Champagne a saisi la planche qui lui était tendue. « Durant mon passage à la tête du CIVC – l’interprofession champenoise – durant 12 années, j’ai défendu le principe d’une communication autour du Champagne (1 million de $ dépensé aux Etats-Unis). Par contre je suis farouchement opposé à la publicité collective, qui débouche immanquablement sur la notion de marque collective. A qui profite le plus la marque collective ? A ceux qui vendent plutôt bon marché et tirent vers le bas l’ensemble d’une région. Je l’ai souvent dit à mes amis des Côtes-du-Rhône, de Bordeaux, de Bourgogne. Attention danger ! Avec la publicité collective, vous faites le lit des Bordeaux à 3 € la bouteille dans les linéaires de la grande distribution. En Charentes, vous semblez regretter que la vente directe ne représente pas plus de 1 % des ventes. C’est vrai que c’est peu. Ceci étant, en Champagne de Reims, la commercialisation réalisée par les vignerons et les coopératives ne dégage pas un taux de profitabilité formidable. Au contraire de vous, la Champagne est peut-être allée trop loin dans l’appropriation du commerce par la viticulture. L’objectif ne consiste pas à ce que le Champagne soit vendu à 98 % en France mais au contraire que l’exportation représente plus de la moitié des expéditions. C’est là où réside la source de profitabilité. Vous voyez, nous avons aussi nos éléments de faiblesses. »

cinq bouteilles de cognac/seconde

Comme en contrepoint, le directeur du BNIC, Alain Philippe, a présenté les chiffres du Cognac. Il a fait état d’un stock de 3,5 millions d’hl AP au 31 mars « tangenté » à 6 années de rotation. Mais plus significatif peut-être est le « pincement » de ce stock sur les comptes 2, 3, 4 et 5, années de production où les volumes ont été « immédiatement utilisés pour alimenter les comptes jeunes ». Au 31 mars 2007, le négoce détenait 50 % du stock, les viticulteurs à titre individuel 35 %, le solde allant aux coopératives. Le directeur du BNIC a relevé « le peu de stock détenu par les bouilleurs de cru sur les comptes 3 à 9, période durant laquelle il s’est distillé moins que les besoins. Chez les bouilleurs de cru, a-t-il dit, ces volumes n’atteignent même pas 10 000 hl AP par comptes d’âge ». A. Philippe s’est fait le relais de l’excellente performance du Cognac. Les seules expéditions de Cognac (hors mutation) s’élèvent à 157 millions d’équivalent/bouteille, en hausse de 10 % sur l’année mobile. « Toutes les secondes, il se vend 5 bouteilles de Cognac dans le monde. » Le directeur du BNIC a salué une hausse sur les trois continents et sur toutes les qualités, la seule « épine dans le pied du Cognac » étant peut-être le Japon.

Ces bons résultats « qui donnent du baume au cœur », le président du SGV n’a pourtant pas tardé à les tempérer par l’observatoire des prix présenté par Sylvain Guillet. A partir des mercuriales BNIC et sur les six campagnes allant du 1er avril 2001 au 31 mars 2007, le prix du vin Cognac Fins Bois départ propriété apparaît en baisse de 0,71 % en fin de la période. Le prix moyen des comptes 00 Fins Bois progresse, quant à lui, de 12,16 % sur les 6 ans soit un peu moins que l’inflation. Ce n’est qu’avec les comptes 2 qu’une revalorisation plus significative se manifeste – + 33,6 % – mais elle se concentre sur la dernière campagne. Pour les comptes 10 Fins Bois, d’avril 2005 à mars 2007, les prix des eaux-de-vie ont carrément doublé, passant de 900 à 1 800 € l‘hl AP. J.-B. de Larquier a rebondi sur ces chiffres. « Voilà deux ou trois ans que nous disons que le négoce a un effort énorme à fournir en terme d’augmentation de prix des vins Cognac et des eaux-de-vie 00, élément indispensable à la construction de relations durables entre viticulture et négoce. La viticulture s’est montrée responsable et soucieuse du long terme en acceptant l’outil de calcul de la QNV qui présente des avantages et des inconvénients. Maintenant, il faut aller jusqu’au bout du raisonnement et changer les comportements en matière de prix. »

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