La gestion kafkaïenne du millésime 2023
De mémoire de Charentais, jamais aucune récolte n’aura été aussi bureaucratique que 2023. En effet, les questions sont nombreuses, s’enchaînent au fil des règles nouvelles, insolites, inédites, édictées au fur et à mesure et bruissant dans la campagne avant d’être officialisées, pour des viticulteurs plongés malgré eux dans LA quête du « laissez-passer A38 ». S’il n’est point de potion magique ici, l’élixir charentais se mérite cette année et la campagne, parfois éreintante, n’est pas encore tout à fait arrivée à son terme. Du jus au vin, du vin à l’eau-de-vie, chaque règle jusque-là appliquée de manière presque automatique aura été pressée, triturée jusqu’à des taux d’hexanol, de cis-3-hexènol, de TDN et d’alcools sup. jamais vus jusque-là mais ayant in fine permis de trouver comment gérer tous les volumes de la généreuse vendange 2023. Jus de raisin/excédents, déploiement de leviers inédits pour le stockage et le financement de la RC, location de distillerie du bouilleur de cru au bouilleur de profession pour s’assurer que toute cette RC puisse être distillée et possiblement dérogation à la fin de la période de distillation au 31 mars, aucun détail n’aura été laissé au hasard, AUCUN, compliquant, et c’est le revers de la médaille, la gestion sur les exploitations. Prudence, le « syndrome Thévenoud » n’est peut-être pas loin…
Mais pourquoi tant d’énergie dépensée ?
Comme nous l’évoquions dans notre édito du mois dernier, les affres du passé, et avec eux les volumes plus que conséquents fléchés sur les autres débouchés et déstabilisant alors le marché national, sont toujours présents. Tous ne le savent peut-être pas, mais la réputation du vignoble des Charentes avait alors été écornée par cet épisode, nécessitant des efforts colossaux, de long terme et à tous les niveaux pour être restaurée. Entre autres outils, le business plan, modélisant les crises et permettant d’aider à les surmonter, faisait et fait encore figure de caution, de garantie, présentée à tous ceux qu’il fallait convaincre. C’est ainsi grâce à ce travail, conduit avec constance et conviction depuis la mise en place du régime des autorisations de plantations nouvelles, que ces dernières ont abondamment pu être adoptées et validées pour le bassin des Charentes, avec alors l’aval de tous les vignobles français (à noter et sur certaines années, la filière Cognac a consommé jusqu’à près de 40 % de l’enveloppe nationale).
Dans ce cadre et de la théorie à la pratique, de la parole donnée au respect de l’engagement pris, la gestion du millésime 2023 fait figure d’épreuve. Alors que les distilleries d’Etat chargées de détruire les excédents cognac sont cette année mobilisées pour la distillation de crise, alors qu’il fallait trouver une solution pour flécher ces excédents cognac dans ce cadre, alors qu’il fallait à tout prix éviter une production aux niveaux délirants sur les deuxièmes feuilles et les VSIG autres que le cognac, alors que la production de jus de raisin était cette année déficitaire dans de nombreux bassins de production de France et de Navarre, la solution des jus de raisin/excédents a émergé. Tous connaissent la suite.
Du vautour au corbeau, la biodiversité n’est pas que dans les vignes
Nous démarrions l’année avec un vautour, nous la finissons avec un corbeau. Un vocabulaire animalier qui n’est pas sans rappeler nombre de fables apprises au cours de notre enfance… Il était une fois, dans une vallée verdoyante, deux oiseaux sages et avisés : le vautour et le corbeau. Tous deux étaient des viticulteurs émérites, cultivant les vignes avec passion et dévouement. Si chacun produisait un vin d’une qualité exceptionnelle, leurs approches divergeaient cependant.
Le vautour, astucieux et rusé, avait une connaissance profonde des règles et des lois qui réglementaient le monde du vin. Il savait comment naviguer habilement à travers les dédales de la bureaucratie, tirant profit des moindres failles pour maximiser ses profits. Le corbeau, lui, était un esprit libre, profondément attaché à ses principes. Il voyait au-delà des parchemins de lois, dénonçant ouvertement les failles du système. Le corbeau défendait sa vision de la transparence et de l’équité, et il ne manquait jamais une occasion de pointer du bec les inégalités et les injustices dont il était le témoin.
Les deux oiseaux, représentant des courants plus que distincts au sein de la viticulture, avaient néanmoins soulevé des questions essentielles, nécessitant une réflexion profonde. Si le vautour avait révélé les failles du système légal, mettant en lumière la nécessité d’une révision et d’une évolution pour éviter les abus, le corbeau avait quant à lui souligné l’importance de la transparence pour la prise de positions éclairées, insistant sur la nécessité de ne pas sacrifier ses valeurs et son avenir au nom du profit.
Difficile de trancher. Point de blanc ni de noir, à la rigueur du gris, nécessitant d’embrasser la complexité du métier tout en faisant preuve de discernement. Une approche holistique de la communauté viticole où les noms d’oiseaux fuseraient peut-être moins.
A filière vaillante, rien d’impossible
En dépit des turbulences qui secouent et secoueront probablement encore quelques temps les cieux charentais, l’équipe du Paysan Vigneron reste résolument optimiste pour l’année à venir. Nous serons toujours là, vous aussi, et nous n’aurons d’autre choix que de passer le cap, tous ensemble. Puissent nos esprits être aussi robustes que vos vignes et que 2024 nous apporte collectivement autant de sérénité que nous sommes en mesure d’en attendre.
À tous les lecteurs du Paysan Vigneron, santé et bonheur dans chaque gorgée de cognac, de pineau des Charentes et d’IGP Charentais qui s’annonce !
De notre côté, on vous a préparé un copieux menu, dépassant les 100 pages pour la seconde fois de l’année. Ne vous habituez pas trop hein !
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