De Segonzac, Archiac, Jarnac, Pons, Burie… Tels de gros hannetons, des files de tracteurs ont conflué vers Cognac. Première belle journée « où les tracteurs pouvaient rouler » après une période pluvieuse, la tentation étaient grande d’aller traiter. Environ 800 viticulteurs ont néanmoins résisté à la pression maladie pour apporter leur soutien au jeune syndicat. Réaction viscérale des vignerons : « Si l’on reste chez nous, l’on commettra sans doute une faute. » Sortir de chez soi pour s’en sortir tous ensemble… confusément, c’est ce qui rassemble les gens ce jeudi 30 mai, sans trop savoir quel autre sens donner à cette ébauche de sursaut collectif. Sauf à être d’accord avec les revendications exprimées par les dirigeants, assez consensuelles : le calendrier précis d’une évolution réglementaire allant vers une affectation des ha aux différents débouchés – un arrêté de campagne avant la récolte – le maintien du rendement agronomique à 120, calculé sur les vignes plantées – le paiement rapide de la distillation obligatoire. Les pancartes brandies par les viticulteurs se font un peu plus explicites. « Vigneron ruiné, actionnaire affamé », « Viticulteur = esclave », « Vignerons pressurés / emplois supprimés », « Viticulteur en colère, ne veut pas crever ». On comprend bien la tonalité. « Le problème, c’est les prix » résume un viticulteur. Le niveau de QNV alimente aussi les conversations. « Tout le monde peut vivre avec 6 hl de pur » prétend l’un. « Y en a qui croit encore au père Noël » lui rétorque un autre. « C’est pas le moment de s’engueuler » conclut le troisième. Le « pique-nique géant » de la Croix-Montamette, un peu surréaliste en temps de manif., est pourtant un moment de franche convivialité (normal, c’est fait pour cela). Il y a bien des petits groupes qui se forment par affinités mais les langues se délient, quelques passerelles sont lancées, le temps d’un sandwich et d’un carafon. Les candidats députés se sont invités à la fête mais comme ils sont tous là, ça n’est pas un problème.
Intraitables
Il y a les encornifleurs, les entarteurs et les emm… De toute évidence, le Modef se revendique de cette dernière catégorie, en toute trashitude assumée. En ce mois de mai 2002, il a la métaphore scatologique, le syndicat. C’est sa façon à lui de dire les choses. En toute provocation, peut-être pour pallier la briéveté de ses troupes. « Ne vous laissez pas berner comme en 1998 » lance-t-il aux viticulteurs qui défilent avec le SGV Cognac. « Votre manif, c’est du pipo. C’est ici que ça se passe, devant les maisons de négoce. Il faut s’attaquer aux prix. On a des murs en face de nous. » Après les dénonciations d’usage – « tous pourris » – il s’interroge sur la disparition de la double fin. Pour la remplacer par quoi ? « On nous dit que nous sommes dans un système libéral et que l’on ne peut obliger à rien. Mais le système libéral se transforme en système totalitaire pour le viticulteur. » D’où l’idée, récurrente, de faire imploser le système de l’intérieur, en prenant l’exemple de la production de vins. « Il faut vraiment être bête pour se donner des contraintes de production à 60 hl/ha pour vendre un vin 8 F. Les Australiens ne s’embêtent pas avec de telles limites. Donnons-nous les mêmes armes et qu’on nous laisse tranquille ! » Sa politique de la chaise vide à l’interprofession ? « De toute façon, on n’aurait pas pu y rester. » « Vous savez, notre indépendance nous coûte cher. C’est peut-être pour cela que nous ne sommes pas nombreux. Tous les ans, 700 à 800 déclarants passent à la trappe. Nous sommes tombés en dessous des 8 000 viticulteurs. Dans 4-5 ans, ce sera fini de la petite exploitation. »