Le millésime 2011 a marqué les esprits par un contexte climatologique complètement atypique du 1er janvier au 31 décembre : excès de chaleur, sécheresse prolongée, pluies trop abondantes au moment de la maturation et des températures très élevées pendant toute la phase de conservation. Un contexte climatique aussi contrasté a bien sûr eu une incidence sur la structure qualitative des eaux-de-vie 2011. La nature s’est montrée moins coopérante qu’en 2010 ou en 2009, mais, au final, le sens de l’observation et la mise en œuvre d’un savoir-faire véritable ont souvent fait la différence. Olivier Paultes, le directeur des distilleries et de la communication Savoir-Faire Eaux-de-vie de la
société Hennessy, et Jean Pierre Vidal, responsable des distilleries, nous ont fait part de leur analyse de la qualité du millésime 2011. Leurs propos sont pleinement en phase avec le vécu des viticulteurs et des distillateurs de la région : « 2011 a été un millésime difficile à maîtriser, où la technicité a fait la différence. Au final, beaucoup d’eaux-de-vie nouvelles ont une structure intéressante et certaines sont vraiment d’un bon niveau qualitatif. »
En cette fin de campagne de distillation, quelle appréciation portez-vous sur la qualité des eaux-de-vie 2011 ?
Cette année, la qualité des eaux-de-vie est directement liée à celle des vins. Les vins bien en phase avec les attentes de la typicité Cognac ont permis d’élaborer de belles eaux-de-vie. Nous avons dégusté des échantillons associant grande finesse, élégance et structure en bouche complexe. Par contre les vins moyens n’ont pas permis la révélation d’un potentiel aromatique aussi équilibré qu’en 2010. L’impact aromatique des lies semble avoir été moins fort même si, dans certaines distilleries, de beaux arômes sont sortis. Notre démarche de sélection qualitative des vins a permis d’identifier les cuves présentant des défauts qui n’ont pas été distillées. Au global, nous sommes plutôt satisfaits de la qualité des eaux-de-vie même si la structure aromatique globale est moins généreuse que celle de 2010. Ce n’est d’ailleurs pas une réelle surprise car le millésime a été marqué par des séquences climatiques que l’on peut qualifier aujourd’hui d’exceptionnelles mais qui, dans 20 ou 30 ans, seront peut-être courantes.
Les conséquences de l’évolution climatique dont tous les observateurs parlent se sont donc fait sentir au niveau de la qualité de la récolte 2011
De mémoire de viticulteurs charentais, voir fleurir les premiers ugni blancs autour du 25 mai est assez exceptionnel. Dès la fin mai, l’avance considérable du développement de la vigne annonçait des vendanges très précoces et la perspective d’obtenir des raisins ayant une forte maturité. La chaleur et la sécheresse ont fortement malmené les vignes jusqu’à la mi-juillet mais, ensuite, rien ne s’est déroulé comme on l’avait imaginé. La protection du vignoble a été réduite à son strict minimum jusqu’à la mi-juillet, mais par la suite quelques traitements de fin de saison se sont avérés indispensables pour maintenir un feuillage fonctionnel. La réalisation d’une protection anti-botrytis sérieuse aurait également été bienvenue, compte tenu de l’abondance des pluies pendant la phase de maturation. Les viticulteurs qui l’ont fait sur une partie de leur vignoble ne l’ont pas regretté. Les pluies tant attendues sont arrivées à la mi-juillet, et fraîcheur, humidité et ambiance chaude ont persisté de début août à la mi-septembre. Les raisins (portant souvent des baies échaudées par le soleil) ont commencé leur véraison dans un contexte d’hygrométrie abondante dont le botrytis a su tirer profit. La maturation s’est poursuivie dans des conditions inhabituelles à cette époque de l’année. Pas de forte chaleur, mais un climat assez chaud et surtout très humide ; bref, un mois d’août « pourri ». Avec le recul, on peut dire aujourd’hui que les vendanges précoces ont toujours été bénéfiques à la qualité finale des eaux-de-vie. Cela a permis d’éviter les problèmes liés à la pourriture qui engendre des défauts majeurs : exemple nez de champignon. Attendre la maturité idéale représentait une prise de risque majeure vis-à-vis de la détérioration de l’état sanitaire. Le suivi du comportement de la maturation du parcellaire durant la deuxième quinzaine d’août a été déterminant pour bien appréhender l’époque de vendange. Sur certains sols, les raisins ont bien tenu alors qu’ailleurs les attaques de pourriture se sont développées beaucoup plus rapidement. Les vendanges étaient pratiquement terminées le 20 septembre et les vinifications se sont déroulées dans une ambiance chaude. Il fallait tout maîtriser dès la cueillette des raisins pour maintenir ensuite une hygiène parfaite.
L’arrière-saison chaude au cours des mois d’octobre et de novembre n’a-t-elle pas été la cause de problèmes de conservation ?
Les niveaux de températures très élevés des mois d’octobre et de novembre sont l’élément qui a souvent défait la qualité des vins. Globalement, les vinifications se sont déroulées correctement avec tout de même des vitesses de fermentation très rapides (ne dépassant pas 3 à 4 jours) dans beaucoup de situations. Ensuite, les fermentations malolactiques se sont enclenchées naturellement dès la fin de la dégradation des sucres avec parfois des montées d’acidités volatiles. Dès la mi-octobre, la qualité des vins de certaines cuves s’était nettement dégradée au point de rendre leur distillation préoccupante. A l’inverse, certaines ont bien supporté le climat chaud de l’automne et de l’hiver et se sont conservées sans problème pendant plusieurs mois. Globalement, les vins analysés par le laboratoire Hennessy avaient cette année 1 point d’acidité totale de moins que ceux de 2010. La persistance d’un climat chaud en octobre et novembre a empêché le refroidissement des vins et de nombreuses cuves (beaucoup à l’extérieur) sont restées à plus de 20 °C pendant plus de deux mois. Après la réalisation des pleins à l’issue des fermentations, la surveillance des cuves ne devait pas être relâchée. Refaire les niveaux, déguster les vins, faire une analyse supplémentaire étaient en 2011 essentiel pour bien suivre l’évolution du contenu qualitatif des cuves. Ce sont tous ces petits détails de la vigne à la mise en chaudière des vins qui ont été déterminants. 2011 était une année où l’on n’avait pas droit à l’erreur. D’ailleurs, les propriétés qui ont fait preuve de ce professionnalisme ont élaboré des vins d’une qualité irréprochable et de belles eaux-de-vie. C’est un millésime qui met en évidence l’importance d’avoir une réflexion globale sur tous les maillons de la chaîne technologique.
La relation entre la structure qualitative des vins et celle des eaux-de-vie est donc très forte en 2011 ?
Dans l’approche de sélection qualitative des vins d’Hennessy, les aspects analytiques et la dégustation des vins se sont révélés très complémentaires en 2011. Globalement, les déviations qualitatives les plus nettes ont concerné d’une part l’éthanal (provenant de la conservation des vins ; des pleins pas faits régulièrement) et des marqueurs de mauvaise conservation comme l’acétate d’éthyle, l’alcool allylique, le butyrate d’éthyle et les composés associés. La dégustation des vins émanant de ces cuves non qualitatives extériorisait des défauts marqués. Ces lots ont été détournés de la filière de production eaux-de-vie. Beaucoup de vins qui ne présentaient pas de défauts caractéristiques avaient une structure aromatique et gustative plus simple et sans grande complexité. Leur analyse révélait souvent des teneurs un peu limites en certains constituants dont la présence a eu des incidences négatives lors de la distillation. Ce n’est pas un hasard si un certain nombre d’échantillons d’eaux-de-vie manquent de matière et de longueur. Parfois quelques notes de verdeur et des nez de champignon sont apparus après la distillation de ces lots de vins jugés limites au niveau des analyses. A l’inverse, on a aussi dégusté des vins ayant de l’intensité aromatique et un beau fruité en bouche. Ces produits disposaient d’une belle matière qui était confortée par des analyses parfaites. Lors de la distillation, de belles eaux-de-vie ont été obtenues et bizarrement les lies ont joué leur rôle de bonificateur aromatique. L’objectif de la distillation est de bonifier la qualité des vins et de sortir la meilleure typicité. L’enseignement n°1 de l’année, c’est que seuls les bons vins ont fait les belles eaux-de-vie.
Les eaux-de-vie intéressantes que vous avez dégustées proviennent donc d’un univers de production parfaitement maîtrisé ?
C’est vrai que cette année la qualité de certains lots était équivalente à celle de grands millésimes comme 2010 ou 2008. On a eu vraiment de grands plaisirs en dégustant des eaux-de-vie à la fois très aromatiques, fines, élégantes et structurées. Ces échantillons nous ont interpellés et nous nous sommes interrogés. Les viticulteurs qui ont fait bon cette année sont, en général, des viticulteurs qui font généralement bon tous les ans, ce qui atteste de leur savoir-faire global de la vigne au porte-alcoomètre. Ensuite, la plupart des beaux échantillons proviennent de vins plus acides titrant 8,5 à 9 % vol. de TAV qui sont produits sur de beaux sols charentais ; des coteaux calcaires exposés sud. Enfin, le point commun de tous ces producteurs est leur grande maîtrise personnelle au vignoble, à la récolte pendant les vinifications et la conservation des vins. Chez eux rien n’a été laissé au hasard et le résultat est là. L’un des enseignements que l’on retire de tous ces témoignages est l’importance de la structure acide des vins qui est un facteur d’équilibre propice à la révélation de la typicité des eaux-de-vie. Il faut revenir aux fondamentaux de la maturité Cognac et surtout ne pas rechercher des TAV élevés pour assurer l’alcool pur. Un vrai travail de réflexion sur la recherche de typicité des eaux-de-vie doit être engagé en ne sous-estimant pas l’importance des terroirs et de la conduite du vignoble, cela a peut-être eu des conséquences pas forcément recherchées dans la rationalisation des méthodes de production il y a quelques années. Il faut aujourd’hui revenir à des méthodes culturales mieux en phase avec les attentes qualitatives Cognac.
Le millésime 2011 met donc en évidence l’importance du savoir-faire global et de l’origine de la production ?
Indiscutablement, les meilleurs échantillons ont été élaborés par des viticulteurs rigoureux et sur les meilleurs secteurs. Revenir aux fondamentaux de la filière de production charentaise nous paraît être essentiel vis-à-vis de notre démarche qualité. Les viticulteurs doivent prendre soin de leur vignoble pour s’investir dans la production de raisins riches en typicité Cognac. Ensuite, l’attention et le soin au niveau de tous les maillons de la chaîne bonifient cette qualité d’origine. Les exigences qualitatives fortes d’Hennessy au niveau des eaux-de-vie nouvelles sont en phase avec notre volonté d’élaborer des rassises de longue garde incarnant le style de notre maison. Nous constatons une proportion favorable d’eaux-de-vie intéressantes. La recherche de qualité au niveau des eaux-de-vie nouvelles et rassises repose avant tout sur la volonté d’Hennessy de proposer à ses consommateurs des Cognacs de qualité. Le Cognac est pour nous le spiritueux le plus fin et le plus élégant du monde. L’exigence qualitative fait partie des valeurs importantes d’Hennessy. C’est son gage de développement depuis toujours et pour l’avenir.