A la fois lointaine et familière, la Commission européenne modèle le devenir de l’Union. Les agriculteurs en savent quelque chose. Qu’attendre de la nouvelle Commission, dont l’investiture a été votée le 18 novembre dernier par le Parlement européen ? Azziz Allam, directeur du département juridique du BNIC, livre quelques clés de compréhension, dans le domaine d’activité qui est le sien.
A côté des autres instances de l’Union (Conseil, Parlement, Cour de justice), la Commission joue un rôle déterminant. On dit d’elle qu’elle est le « moteur » du système européen. Elle propose la législation, les politiques et les programmes d’action. Et si les décisions relèvent du Conseil et du Parlement (voir article pages 15 à 19), c’est encore elle qui est chargée de leur mise en œuvre. Elle intervient donc en amont comme en aval. C’est dire son pouvoir. Après avoir été retoquée en octobre, la Commission Barroso (du nom de son président) a obtenu son investiture le 18 novembre 2004. L’ensemble du collège des vingt-cinq commissaires fonctionne depuis le 22 novembre 2004 (voir la liste des commissaires et leurs portefeuilles). Le terme « Commission » désigne non seulement les commissaires – généralement des hommes politiques importants dans leurs pays d’origine – mais aussi le corps de fonctionnaires européens qui préparent, orientent, appliquent les décisions. A elle seule, la direction générale de l’Agriculture et du Développement rural – sous la direction du commissaire européen Mariann Fischer Boel – compte environ mille fonctionnaires.
De quelle latitude disposent les commissaires européens dans leurs sphères d’intervention ? Réponse d’Azziz Allam : « La marge de manœuvre des commissaires européens n’est pas illimitée. Ils ont une ligne politique à respecter, définie à l’occasion des Conseils européens. Celui de Lisbonne en 2000 a dégagé les perspectives générales de l’élargissement. Tous les thèmes furent abordés, aussi bien dans leurs aspects financier que thématique. Ce plan de travail va circonscrire les frontières à l’intérieur desquelles la Commission devra travailler au cours des années à venir. »
Azziz Allam, directeur du département juridique du BNIC.
« Dans le droit fil de l’omc »
Au portefeuille de l’Agriculture et du Développement rural, Mariann Fischer Boel a remplacé Franz Fischler. Dans son pays, le Danemark, la commissaire européen appartient à l’aile libérale. Elle fait partie du bureau du Parti libéral (VS), la formation politique qui compose le gouvernement d’union de la droite avec les conservateurs, les sociaux-démocrates ayant été défaits lors des dernières élections, après une décennie au pouvoir. Peut-on tirer du profil politique de la nouvelle commissaire européen une orientation pour les années à venir ? « Le fait qu’elle soit libérale va lui permettre d’être dans le droit fil de la politique de l’OMC », commente le juriste du BNIC qui rappelle que l’Organisation mondiale du commerce chapeaute en quelque sorte l’Europe et borne son action. Mais à côté de ces contingences macro-politiques, il y a aussi des aspects plus organisationnels qu’il convient de ne pas négliger. « Mme Fischer Boel hérite d’une restructuration des services de la direction générale de l’Agriculture, entamée par ses prédécesseurs. Il faudra déjà attendre la fin de cette restructuration pour se faire une idée de la manière dont seront abordés les problèmes. »
En ce qui concerne le secteur viticole, A. Allam explique qu’antérieurement, l’Europe possédait une unité exclusivement consacrée à la gestion du marché des vins ainsi qu’à la réglementation des spiritueux et des produits dérivés. Désormais, cette unité va s’intéresser à la fois aux alcools et au tabac. « Ce cantonnement des produits délivre en lui-même un message : celui de l’abus qui pourrait porter atteinte à la santé des consommateurs », note le juriste. « Se profilent à l’horizon tous les problèmes liés à l’alcoologie et au tabagisme. » Cette inflexion autour de la santé publique, Azziz Allam l’a voit confortée par les déclarations liées à la PAC. Une newsletter de la Commission européenne datée d’octobre 2004 n’indiquait-elle pas « que la PAC devait assurer en priorité la qualité sanitaire et la sécurité des produits alimentaires ainsi que le respect de l’environnement ». « Nous sommes loin de l’organisation de l’aide à l’agriculture et de la prise en compte des problèmes structurels », résume l’ancien haut fonctionnaire de la DGCCRF.
Mariann Fischer Boel,
« Mme agriculture »
Mariann Fischer Boel est né en 1943 à Aasum (province de Fionnie). Après des études d’économie, de langues et de commerce, elle travaille pour une société d’exportation à Copenhague. Inscrite au Parti libéral, elle entre au conseil municipal de Munkebo, préside la circonscription de Keterminde puis le secrétariat des Hautes écoles populaires. Elue au Folketing (Parlement) elle fera partie du bureau du Parti libéral et présidera plusieurs commissions parlementaires. En 2001, elle entre au gouvenement du Danemark comme ministre de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche.
Des ocm à réviser
Si l’UE a procédé à la refonte de plusieurs OCM (Organisation commune de marché), il reste encore quelques secteurs à examiner, comme le sucre ou le vin. Pour ce qui est de l’OCM vin, Azziz Allam rapporte que la nouvelle commissaire européen a déjà parlé à plusieurs reprises non seulement d’amendements mais carrément de réforme de l’OCM vin. Son prédécesseur F. Fichsler avait initié une étude sur la politique agricole commune dans le secteur des vins. Ce travail, réalisé par un groupe de chercheurs italiens et allemands, va bientôt être disponible sur le site internet de l’UE. Dans l’esprit, il s’agit d’un inventaire, d’une photographie à l’instant T, plutôt conçu pour révéler les carences que pour fournir des solutions. C’est pourtant au vu de ces résultats que la Commission devra décider si, oui ou non, il y a lieu de réformer l’OCM vin (le règlement R 1493-99). Beaucoup d’experts pensent cependant que la cause est entendue et la décision déjà largement actée. Côté délai, les mêmes livrent leur opinion : « Il ne faut sans doute pas s’attendre à voir un projet de modification de l’OCM vin intervenir avant la fin de l’année 2005. » Pour les Charentes, ce timing signifie qu’il va falloir reconduire une demande de dérogation portant sur la QNV pour la campagne 2004-2005. Peut-on imaginer faire de cette dérogation un principe général, en clair conserver l’article 28 aux Charentes ? Azziz Allam exprime ses doutes en la matière. « La région des Charentes est aujourd’hui une région entre parenthèses. Alors que le régime de la double fin de l’article 28 a été supprimé dans un certain nombre de pays, on voit mal comment ce régime pourrait se pérenniser en France. Ceci n’est d’ailleurs qu’un élément de la réflexion. Il faut aussi compter sur l’architecture globale dessinée à Lisbonne et la volonté d’orienter les produits agricoles vers le marché des consommateurs plutôt que vers le marché artificiel de la destruction ; sans parler des contraintes budgétaires. »
A. Allam indique que le chef de la division vin au sein de la direction générale de l’Agriculture a changé.A été nommé à ce poste un français, Emmanuel Jacquin. Ce haut fonctionnaire européen, exerçant au sein de la Commission depuis de nombreuses années, a le mérite de connaître parfaitement le secteur des vins et, qui plus est, d’être non seulement un X (un polytechnicien) mais aussi un IGREF, c’est-à-dire un ingénieur du Génie rural et des Eaux et Forêts. « Il cerne bien la politique agricole. C’est un gros avantage. On aurait pu avoir un juriste ou un ingénieur en mécanique… »
En ce qui concerne les spiritueux, le chef du département des affaires juridiques du BNIC révèle l’existence d’un document en cours d’examen, qui devrait préfigurer une nouvelle réglementation en matière de boissons spiritueuses. Ce projet de document modifiant le règlement R 1576-1989 sur les boissons spiritueuses sera probablement sur la table du Conseil dans le courant de l’année 2005. Des changements importants sont-ils à attendre pour le Cognac ? A. Allam répond par la négative. Par contre, si la refonte ne joue pas sur la définition du Cognac, il y a de fortes chances qu’elle modifie les règles de présentation des boissons spiritueuses et donc qu’elle interfère sur la concurrence entre produits. La profession suit cela de très près au sein de groupes de travail, afin de faire remonter ses propositions à l’Administration chargée de négocier à Bruxelles.
Commission européenne 2004-2009
Président : José Manuel Barroso (Portugal).
Relations internationales et stratégie de communication : Margot Walleström (Suède).
Administration, audit et lutte anti-fraude : Scïm Kallas (Estonie).
Entreprise et industrie : Günter Verheugen (Allemagne).
Justice, liberté et sécurité : Franco Frattini (Italie).
Transport : Jacques Barrot (France).
Affaires économiques et monétaires : Joaquim Almunia (Espagne).
Agriculture et développement rural : Mariann Fischer Boel (Danemark).
Commerce : Peter Mandelson (Royaume-Uni).
Concurrence : Neelie Kroes (Pays-Bas).
Développement et aide humanitaire : Louis Michel (Belgique).
Education, famille, culture, multilinguisme : Jan Fingel (Slovaquie).
Elargisssement : Olli Rehn (Finlande).
Emploi, affaires sociales et égalité des chances : Vladimir Spidia (République tchèque).
Energie : Andris Piebalgs (Lettonie).
Environnement : Stavros Dimas (Grèce).
Fiscalité : Laszlo Kovacs (Hongrie).
Marché intérieur et services : Charlie McCreevy (irlande).
Politique régionale : Danuta Hübner (Pologne).
Pêche et affaires maritimes : Joe Borg (Malte).
Programmation financière et budgétaire : Dalia Grybauskaite (Lituanie).
Relation extérieures et politique européenne de voisinage : Betina Ferrero-Waldner (Autriche).
Santé et protection des consommateurs : Markos Kryprianou (Chypre).
Société de l’information et médias : Vivianne Reding (Luxembourg).