Vignoble champenois : tempête dans un verre de champagne

20 avril 2010

Le feu couvait depuis juillet 2009. Il a atteint son paroxysme entre novembre et janvier 2010. En quelques mois le SGV Champagne a tout connu : démissions, vote de défiance, révocation, A.G. extraordinaire, nouvelles élections… Au centre de la contestation : la « gouvernance » du président du syndicat. Aujourd’hui, Pascal Ferat a remplacé Patrick Le Brun à la tête du SGV. Au final, la crise a révélé « une très forte appropriation syndicale par les vignerons ».

 

 

ferat.jpgSon bilan ? Il était bon. Patrick Le Brun n’était pas contesté sur ses actes mais plutôt sur sa « méthode de gouvernance », c’est-à-dire sur sa manière de concevoir et d’exercer le pouvoir. A la tête du puissant Syndicat des vignerons de Champagne depuis 2004, confortablement réélu à chaque renouvellement, il se serait peu à peu enfermé dans une « gouvernance réduite au président et à un petit nombre d’élus ». Les vignerons ont eu la « trouille » que sa méthode dérape et entraîne le syndicat là où il ne voulait pas aller. Cette relation des faits est en tout cas celle servie par la « doxa » champenoise. Vérité « vraie » ou langage de circonstance ? A 600 km de distance, difficile de vérifier. Et après tout, peu importe. Le fait majeur, c’est que la famille viticole champenoise ait eu la capacité de régler une situation qu’elle considérait pouvoir devenir un problème pour elle. Quelqu’un a utilisé l’expression de « démocratie participative. » Pas faux. On pourrait aussi parler de maturité syndicale.

 

enchaînement

En quelques mois, les épisodes vont s’enchaîner à un rythme assez décoiffant. En juillet 2009, lors des élections qui renouvellent tous les deux ans la moitié des 46 administrateurs du SGV Champagne, Patrick Le Brun est réélu à une majorité extrêmement étriquée. Manifestement, le problème de confiance se pose déjà. Mais les événements vont connaître une tournure paroxysmique à partir de novembre 2009. Le 25 novembre, une grande majorité des membres du bureau vote une motion de défiance à l’égard du président Le Brun. Le 30 novembre, sa révocation est demandée. Le 8 décembre, le conseil d’administration élit un nouveau président, Jean-Marie Tarlant qui, depuis quelque temps, apparaissait comme le principal challenger de P. Le Brun. Pourtant la « tête » de l’ancien président ne suffit pas à éteindre la braise. Début décembre, les partisans de Patrick Le Brun réclament la tenue d’une assemblée générale extraordinaire. Elle a lieu le 22 décembre et réunit 1 200 à 1 300 vignerons. Reste que l’organe exécutif du SGV continue de se débattre dans de graves difficultés. Comme si le fossé se creusait « entre le sommet et la base ». Sous la pression des vignerons – pilotés ou non par P. Le Brun ? – le conseil d’administration jette l’éponge, démissionne et J.-M. Tarlant se retire à son tour. Son mandat n’aura duré que l’espace d’un souffle, le plus court de toute l’histoire du SGV Champagne. Une procédure exceptionnelle est alors lancée, que l’on peut dire de « refondation ». Elle va consister à organiser de nouvelles élections, pour remplacer les 46 administrateurs démissionnaires. Le scrutin a lieu le 15 janvier, dans les 9 régions syndicales du SGV. Dans chaque commune, dans chaque section, les vignerons se mobilisent en masse, avec au moins deux candidats par postes, parfois trois. Au final, ce sont 18 nouveaux administrateurs qui rejoignent le syndicat, assurant un taux de renouvellement de 38 % des sièges. Arrive le temps de la désignation du nouveau président. Le 27 janvier, se présentent devant le conseil d’administration trois candidats : Pierre Cheval, Pascal Ferat, Patrick Le Brun. Le premier obtient 14 voix, le deuxième 30 et le troisième 4. Pascal Ferat est élu. Cet homme de 53 ans, marié, deux enfants, est un homme de la coopération. Depuis 1990, le viticulteur préside la coopérative La Goutte d’Or à Vertus (Marne). Le viticulteur vertusien exploite également 11 ha de vignes sur la prestigieuse côte des Blancs, au sud d’Epernay. Un coopérateur – Pascal Ferat – remplace donc un vigneron en cave particulière, Patrick Le Brun. Faut-il en conclure « que la coopération reprend la main en Champagne » ? Certes la coopération a toujours joué un rôle majeur en Champagne. Le monde coopératif maîtrise plus de la moitié des surfaces et tous les présidents du SGV – à l’exception du dernier – était issus de la coopération. Quand à dire qu’il s’agit d’une « reprise en main », l’actuel directeur du syndicat, François Alvoet, ne va pas jusque-là. « La volonté du président Ferat est d’être le président de tous les vignerons, sans exclusive. Qu’ils soient indépendants ou coopérateurs, tous les vignerons font le même métier et le SGV associe très étroitement les uns et les autres. Les Vignerons indépendants sont rattachés au comité de direction comme l’est la Fédération des coopératives. Chaque entité dispose du même droit d’expression pour débattre des grands sujets. » Hasard ou déterminisme, François Alvoet est lui-même issu de la coopération. Agé de 62 ou 63 ans, il était à la retraite quand on est venu le chercher pour exercer les fonctions de directeur par intérim du syndicat, en attente de la nomination d’un nouveau directeur. Il faut dire que Nicolas Ozanam, qui dirigeait les services du syndicat depuis quelques années, a quitté la structure depuis le 18 novembre dernier. Tout en étant totalement indépendant des récents événements, son départ n’a pas dû aider à aplanir les choses. Auparavant, F. Alvoet était à la tête de la coopérative Covama à Château-Thierry (Champagne Pannier). Depuis le 15 décembre, c’est lui qui anime les équipes du SGV.

Sans ambition personnelle – sa carrière est derrière lui – il est un peu perçu comme « l’homme de la situation ». La recherche de consensus semble sa ligne de conduite. Il en veut d’ailleurs aux médias locaux d’avoir profité du désordre ambiant pour « monter en épingle des affaires qui n’en étaient pas » : départ de Roland Chaillon, directeur « historique » du SGV, opérations immobilières qualifiées de « frauduleuses ». « Tout ceci est faux » s’insurge le directeur. Pour lui, l’accès de fièvre qui a saisi le syndicat n’a qu’une explication : la « crise de gouvernance », le « problème de confiance » à l’égard de l’ancien président. De cet épisode, François Alvoet préfère retenir « la très forte appropriation syndicale par les vignerons ». « Le nouveau président, assure-t-il, veut revenir à une gouvernance transversale où les sections, les administrateurs, les commissions de travail seront consultés et auront leur mot à dire. » « Face à des dossiers extrêmement lourds comme la délimitation de l’aire géographique, la libéralisation des droits de plantation, nous devons créer les conditions d’un débat contradictoire entre les 9 régions syndicales, afin de présenter une ligne claire et l’image d’une viticulture unie. » Les relations viticulture/négoce ? Il les estime bonnes. « Entre le SGV et l’UMC (l’Union des maisons de Champagne), présidée par M. de Montgolfier, chacun défend sa partition, c’est normal. Les débats sont parfois vifs à l’interprofession mais un accord arrive toujours à émerger. Il n’y a jamais eu de situations de blocage. » Inutile donc d’essayer de voir dans l’affrontement de ces derniers mois l’expression d’un bras de fer viticulture/négoce. « Non, c’est strictement une querelle de famille. » Même chose pour la crise économique. Passez, il n’y a rien à voir. « Nous sommes tous d’accord sur le fond. »

Diables de Champenois ! Ils se seraient donc offert une crise majeure pour un simple problème de méthode, c’est-à-dire de forme. Et si, après tout, c’était ça le syndicalisme. L’art de décider ensemble. Plus de cent ans après sa naissance – il a été créé en 1904 – le SGV Champagne affiche décidément une belle verdeur.

SGV Champagne : La culture du collectif
« Collectivisme », certes non mais « jeu collectif », oui, à 200 %. Depuis plus de cent ans, les Champenois ont compris qu’ils seraient plus fort ensemble que désunis. Sur les 15 600 vignerons que compte l’appellation, 95 % adhèrent au SGV. Véritable « état dans l’état », le syndicat est au cœur du fonctionnement de la viticulture champenoise. Structure pyramidale, il repose sur 250 à 260 sections locales (une par commune). Ces sections locales élisent la petite cinquantaine d’administrateurs (46 exactement) qui représente les 9 régions viticoles. Ces administrateurs constituent le « parlement » du syndicat, d’où émergent le président et les 3 vice-présidents (un pour chaque département, la Marne, l’Aine et l’Aube). Bien sûr, le syndicat est reconnu ODG. Ses missions ? Défendre, accompagner, représenter et promouvoir. C’est ainsi que depuis 10 ans, le SGV Champagne a créé la marque collective « Les Champagnes de vignerons ». La structure syndicale emploie 65 collaborateurs dont plus d’un tiers (20 personnes) intervient sur le créneau des prestations de services (juridique, social, fiscal).

 

 

 

 

 

Une crise conjoncturelle

« Même pas mal » chantonnent les enfants. Les Champenois, eux, disent que « c’est moins pire qu’attendu ». La crise les a touchés, certes, mais pas jusqu’à remettre en cause la confiance dans le produit.

9 % en volume, – 17 % en valeur. En 2009, les chiffres du Champagne ne sont pas sans présenter certaines similitudes avec ceux du Cognac. Normal ! Produits à résonance mondiale, Champagne et Cognac affichent la même sensibilité à une crise « globale ». Comme le Cognac, le Champagne a connu un pic de ses ventes en 2007. Il s’était alors écoulé 339 millions de bouteilles. En 2009, les ventes ont porté sur 293 millions de cols, contre 322 millions en 2008. Et le bilan aurait pu être encore plus dégradé si un rattrapage ne s’était opéré sur les deux derniers mois de novembre et décembre.

Si les ventes sur le marché domestique (le marché français) ont relativement bien tenu, c’est le grand export qui a le plus souffert. Habituellement, en Champagne, le marché intérieur absorbe 55 % des volumes (45 % à l’export). En 2009, il a représenté 62 % des ventes. De même, les baisses ont davantage touché les négociants (- 9,7 %) et les coopératives (- 16,5 %) que les vignerons-récoltants (- 4,7 %). Mais plus encore que la perte de volume, ce qui inquiète la filière, c’est la perte de valeur. En Champagne, on admet « que la chute limitée des volumes s’est faite au détriment de la valeur ». Alors qu’en 2008 le chiffre d’affaires du Champagne atteignait 4,4 milliards d’€, il a rétrogradé de 750 millions d’€ en un an. Face aux difficultés rencontrées sur le grand export, le négoce champenois a eu tendance à se retourner sur le marché français, ce qui s’est parfois traduit par une « bataille des prix ». En Champagne, on estime qu’en grande distribution 10 millions de bouteilles se sont vendues à un prix inférieur à 10 €. Commentaires des professionnels : « Le phénomène a connu beaucoup de résonance médiatique mais il faut le relativiser. Cela ne représente que 3 % des ventes. » Toutefois chacun admet qu’il faut « résoudre rapidement le problème de la baisse des prix. Sinon, cela nous fragiliserait sur nos entrées de gamme ». Du côté d’Epernay, on veut croire que la grande distribution a bien compris le message. « Elle sait que la fête est finie. »

Si la Champagne s’attend à une « reprise molle » en 2010, elle ne perd pas confiance dans l’avenir. « Nous sommes loin de la catastrophe des années 1991-1993. Aujourd’hui, la Champagne est gérée bien plus finement. Il n’y a pas de surstockage ou alors un très léger, résorbé en partie en 2009. » Il faut dire que le nombre de kg de raisin (le rendement) est passé de 13 000 kg en 2008 à 9 700 kg en 2009. Les prix moyens d’achat ont eux aussi diminué, d’environ 3 %. Quelques situations difficiles se rencontrent au vignoble, sur des exploitations qui avaient beaucoup investi et que pénalise davantage la baisse des volumes que la baisse des prix. Pour le reste, la Champagne n’affiche pas de doute sur son avenir. « Notre image n’est pas détériorée. Notre produit est demandé partout. »

 

 

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