Interview de Jean-Louis Barraud

26 février 2014

Dans un contexte compliqué pour les Vins de pays charentais – série de petites récoltes, concurrence du Cognac – le syndicat ne baisse pas les bras. Le Vin de pays reste important pour les producteurs fortement impliqués dans la filière (vendeurs directs, coopératives) et l’IGP charentaise est en train de gagner la bataille de la notoriété. Persuadé que la diversification est importante pour le bassin Charentes-Cognac, le Syndicat des vins de pays s’apprête à demander 100 ha de droits nouveaux. Jean-Louis Barraud s’exprime sur la question. Aujourd’hui vice-président du syndicat, il en était jusqu’au 21 janvier 2014 son président (interview réalisée en décembre 2013).

 

 

p24.jpgComment se porte le Syndicat des producteurs et de promotion des Vins de pays charentais ?

Il est clair que deux petites récoltes successives – 2012 et 2013 – ne facilitent pas la tâche. Nous nous apprêtons à asseoir notre budget prévisionnel sur 55 000 à 60 000 hl vol., ce qui reste conjoncturellement très bas. Même si notre cahier des charges est volontairement restrictif – 90 hl vol. + 10 hl vol. de non-vin* – les surfaces revendiquées en Vins de pays charentais – environ 1 500 ha – nous permettraient de produire plus du double, autour de 140 000 hl vol. C’est dire le déficit.

Comment allez-vous faire ?

Cette année encore, nous allons réduire un peu la voilure en terme de promotion. Nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas puiser dans les réserves au-delà d’un certain seuil.

Quelle attitude les producteurs nourrissent-ils à l’égard des Vins de pays charentais ?

Reste aujourd’hui les gens très impliqués dans la filière. Ce n’est pas un scoop de dire que les vendeurs directs – ceux qui pratiquent les circuits courts – gagnent très bien leur vie avec les Vins de pays charentais. A la marge, certains viticulteurs pourraient encore avoir envie de se reconvertir en Cognac mais, à mon sens, il s’agit d’une infime minorité. En viticulture, on ne change pas de stratégie d’entreprise « comme de chemise ». On garde le cap. A fortiori, sur les 1 600 hectares affectés en 2013 aux Vins de pays charentais, seulement 54 ha portent sur des cépages doubles fins.

Et les coopérateurs ?

C’est vrai qu’il existe une tension peut-être un peu plus forte chez eux, et encore. Nos coopératives sont très impliquées dans la filière des Vins de pays. Elles ont investi dans des structures de vinification spécialisées, leurs équipes techniques sont formées à ce type de produit. La politique des coopératives est vraiment de maintenir la production de Vins de pays charentais. Pour l’île de Ré, c’est évident, pour Oléron ça ne se discute pas davantage et pour Charentes Alliance, le Vin de pays est quelque chose d’éminemment stratégique. Nous possédons quatre caves, réparties sur tout le territoire dont une, Saint-Sornin, ne produit que du Vin de pays charentais. C’est pour cela qu’à Charentes Alliance nous mettons tout en œuvre pour fidéliser nos producteurs, en leur assurant une rémunération décente en vin de pays. Par ailleurs, j’imagine que les viticulteurs n’ont pas la mémoire trop courte. Au premier coup de semonce sur le Cognac, ils savent que les crus périphériques se retrouveront en ligne de mire. Or, où produit-on des Vins de pays charentais ? En grande partie dans les crus périphériques. Plus globalement, pour une exploitation viticole, c’est une aberration économique, une aberration stratégique de n’avoir qu’une seule production, qu’un seul client. C’est très dangereux.

Sur quoi repose la politique du syndicat ?

Depuis trois ans, elle n’a pas changé. Nous avons toujours cherché à mettre en avant le Vin de pays charentais, considérant qu’il s’agissait d’un produit de qualité mais qui manquait de notoriété, de reconnaissance sur son territoire. Avec l’agence Outdoo, nous avons essayé de faire bouger les
lignes, estimant que cette recherche de notoriété collait parfaitement avec la volon-té du conseil d’administration d’aller vers plus de premiumisation pour les Vins de pays charentais. D’où un cahier des char-ges plus exigeant. Nous avons opté pour de nouvelles formes de communication – communication événementielle, communication sur les réseaux sociaux – en résonance avec un public plus jeune, plus exigeant, qui fait de l’épicurisme un art de vivre. Notre région regorge de beaux produits, huîtres, fromages… Les Vins de pays charentais ont développé beaucoup de campagnes croisées, pour profiter des dynamiques de chaque filière.

Est-ce payant ?

Je crois que la notoriété des Vins de pays charentais est en train de s’affirmer. Maintenant, il faut vendre la bouteille de vin à son juste prix. Ce n’est pas encore tout à fait le cas. Les Vins de pays charentais ne se vendent pas assez chers. Même si l’on voit quelques bouteilles à 15 €, en moyenne, nous sommes entre 4 et 5 € pour les vins les plus qualitatifs. Il y a certainement toute une réflexion à mener sur la segmentation de la gamme : cuvées premium, cuvées prestige… Un prix moyen de 7 € en caveau serait sans doute un objectif parfaitement atteignable. C’est là dessus que nous nous battons.

En 2016, va se mettre en place la réforme des droits de plantation. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

A partir de 2016, il n’y aura plus de droits de tirage sur la réserve nationale – comme c’est le cas aujourd’hui – pour les AOP et les IGP. Toutes les productions devront donc se mettre d’accord sur la répartition de l’enveloppe, équivalente à 1 % au plan national mais qui pourra se décliner entre 3-4 % dans tel bassin, 0,1 ou 0,2 % dans tel autre. A ce moment-là, il sera important de définir une politique globale au niveau du bassin. Et qui dit politique globale dit échanges équilibrés. Or, que se passe-t-il aujourd’hui ? A travers le CIMVC, les Vins de pays charentais siègent bien au Comité de Bassin Charentes-Cognac mais ont-ils véritablement droit de parole ? Tout se passe comme si les grandes orientations étaient prises sans véritable concertation. C’est vrai que nous sommes les « Petits Poucets » de la fable mais est-ce une raison pour ne pas nous associer plus étroitement aux discussions ? Non seulement je pense que la région aurait tout intérêt à prendre conscience du bonus de la diversification mais elle devrait être convaincue qu’il vaut mieux avancer groupé. Si chacun monte au national négocier son dossier, nous aurons toutes les chances de perdre. Cela ne passera pas. Déjà que la région a un passif un peu lourd ! Au lieu d’un système de millefeuilles comme aujourd’hui, il serait certainement plus astucieux d’avoir une seule interprofession, avec des sections spécialisées. Mais je m’égare.

Pour la campagne en cours, comment se positionnent les Vins de pays charentais vis-à-vis des droits de plantation ?

Cette année, nous allons demander 100 ha de droits nouveaux. Jusqu’à présent tous les ha que nous avons demandés ont été consommés. Dans cette région, il y a des gens, et notamment des jeunes, que le métier du vin passionne. Cette surface de 100 ha de droits va non seulement nous permettre de compenser l’érosion des surfaces mais encore nous aider à nous projeter dans l’avenir. La diversification reste pour nous une vraie valeur ajoutée. Malheureusement, dans cette région, des personnes très engagées dans la diversification ont « retourné leur veste ». Ce n’est pas notre cas. Bien au contraire. C’est quand la situation est favorable qu’il faut penser à se diversifier et non dans l’urgence, pour répondre à une situation de crise.

Lors de l’assemblée générale des Vins de pays charentais, à Archiac le 9 décembre dernier, vous avez indiqué que vous ne solliciteriez pas un nouveau mandat de président.

Dès ma prise de fonction, en mars 2011, j’avais indiqué qu’il me semblait normal que l’alternance joue au poste de président entre coopérateurs et vendeurs directs. Les deux créneaux drainent grosso modo la moitié des volumes. Naturellement, je resterai au conseil d’administration. Mais il est bon que de nouvelles idées émergent, même s’il n’y a pas de « révolution dans l’air ».

Bio express
Sur la commune de Colombiers, Jean-Louis Barraud met en valeur une exploitation de polyculture à dominante viticole. Entré en 1990 comme admi-nistrateur stagiaire à la coopérative Océane, administrateur de la coopérative Syntéane, il est aujourd’hui vice-président de Charentes Alliance et président d’Unicognac, sa filiale de distribution viticole. Marié, Jean-Louis Barraud a trois enfants
.

 

 

 

Thierry Jullion, nouveau président du Syndicat des Vins de pays charentais

Depuis 3 ans, il s’occupait de la commission communication au syndicat. Aujourd’hui, il succède à Jean-Louis Barraud à la tête du
SPPVPC. Avec Thierry Jullion, c’est l’histoire « d’un mec de la base, remonté à bloc et qui y croit ». Les Vins de pays charentais et lui, un compagnonnage fusionnel, de longue date.

Installé sur le Domaine de Montizeau, commune de Saint-Maigrin, en 1981, Thierry Jullion produit des Vins de pays charentais depuis 1983. Autant dire tout de suite après son installation. « J’y ai toujours cru » confirme le viticulteur. Très tôt engagé dans la vente directe, il consacre un tiers de son vignoble (d’une superficie totale de 45 ha) aux VDPC, les deux autres tiers se partageant à égalité entre Pineau et Cognac. Pour lui, le vin de pays représente, par excellence, le sésame permettant d’accéder à une commercialisation en bouteille un tant soit peu significative. « Le vin est toujours attrayant, attirant. Les clients viennent et reviennent chez vous. Ils ne se contentent pas d’acheter une bouteille mais plusieurs, un carton voire deux. Le vin de pays crée un flux, quelque chose d’essentiel pour celui qui veut vendre. » Quand proposition lui est faite d’accéder à la présidence des VDPC, il y réfléchit à deux fois. « A 56 ans, j’avais bien l’intention de prendre un peu de recul, partir plus souvent en vacances. » Puis il accepte. Car l’homme est un passionné, énergique et déterminé. Les challenges lui font « se friser les moustaches ». « Chez moi, pas de cumul ! dit-il en riant. Les Vins de pays représentent mon seul mandat. Je suis serein dans ma tête, gonflé à bloc. »

Il a déjà eu le temps de réfléchir à deux ou trois petites choses qui lui tiennent à cœur. « Rien de révolutionnaire là-dedans, dit-il mais j’ai envie que les projets avancent. » Il cite d’emblée la place du Syndicat des Vins de pays charentais dans la région. « Le syndicat n’a pas à être tenu pour quantité négligeable. Bien sûr, il ne va pas dicter sa loi mais il a vocation à être un interlocuteur respecté. Aujourd’hui, on l’entend mais l’écoute-t-on ? Ce n’est pas parce qu’il représente 1 600 ha sur 73 000 qu’il doit être considéré comme un minus. » « Je ne pratique pas la langue de bois » prévient en aparté le nouveau président des VDPC. Si Th. Jullion ne surprend pas son auditoire en soutenant que le Syndicat des Vins de pays a envie de travailler en synergie avec les autres produits – Pineau et Cognac – il aborde avec fougue le chapitre de la vie syndicale. « L’idée est de rendre les liens avec les adhérents plus forts. Moi, je suis un producteur, pas un diri-
geant ; un mec de la base, avec toute la noblesse attachée à cette expression. Je défendrai les producteurs. Je veux qu’ils trouvent leur compte dans les Vins de pays charentais. »

Que les VDPC accèdent à la catégorie d’AOP, c’est une autre idée qui trotte dans la tête de Th. Jullion et de quelques autres. À coup sûr, il saura lui donner l’impulsion nécessaire. Au final, il souhaite « remonter les volumes avec des surfaces supplémentaires (voir interview de Jean-Louis Barraud), professionnaliser toujours davantage la filière et rendre les prix plus rémunérateurs pour les producteurs. »

« Des prix à 2,50 € c’est fini ! » s’exclame le viticulteur. « Enfin je l’espère » glisse-t-il dans la foulée. Passionné mais lucide.

Le nouveau Bureau du Syndicat des Vins de pays charentais
Renouvellement du Bureau de l’association à l’issue du conseil d’administration du 21 janvier 2014.
Président : Thierry Jullion, viticulteur à Saint-Maigrin.
Vice-président : Jean-Louis Barraud, viticulteur à Colombiers.
Vice-présidente : Caroline Quéré-Jélineau, viticultrice à Chaniers.
Trésorier : Jean-Claude Courpron, viticulteur à Saint-André-de-Lidon.
Trésorier adjoint : Damien Fradon, viticulteur à Réaux.
Secrétaire : Hugues Chapon, viticulteur à Ozillac.
Secrétaire adjoint : Pierre Merlet, négociant vinificateur à Saint-Sauvant.
Membres du Bureau : Jean-Jacques Biteau, viticulteur à Le Gua ; Jean-Jacques Enet, viticulteur à Saint-Clément-des-Baleines ; Lionel Gardrat, viticulteur à Cozes ;
Philippe Guélin, viticulteur à Pérignac ; Eric Häuselmann, viticulteur à Sablonceaux ; Hervé Pogliani, négociant vinificateur à Saint-Savinien.

 

 

 

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