Pineau des Charentes : des règles de production étoffées

15 mai 2018

La modification du cahier des charges du vin de liqueur régional devrait intervenir en 2018. Les nouvelles règles serviront, pour la plupart, à mieux segmenter l’offre et permettre de nouvelles voies de valorisation. Le texte fait aujourd’hui consensus mais le chemin a été long car les débats entre l’administration et les producteurs au sujet des contours de la nouvelle dénomination « Coeur de Pineau » n’ont pas été concluants. Pour des motifs un peu subjectifs aux yeux des producteurs, les services chargés de la répression des fraudes, n’ont pas accepté de protéger la mention au travers du cahier des charges AOC. Qu’à cela ne tienne ! Ont décidé les membres de l’ODG : La mention verra quand même le jour mais au travers d’une marque collective de droit privé.

Segmenter, structurer pour créer de la valeur. Voilà le fil conducteur qui anime les réflexions au sein de l’ODG du Pineau des Charentes depuis 2015 où les premiers débats sur le périmètre d’un nouveau cahier des charges ont été engagés. Car, aux yeux de ses dirigeants, l’appellation octogénaire doit innover et se moderniser. Il lui faut explorer de nouvelles voies de production pour faire découvrir tout le potentiel de son terroir et reconquérir par là même des pistes de valorisation qui lui manquent pour trouver sa place dans l’économie régionale.

 

Des rosés à consommer dès le mois de juin

S’il fallait démontrer que les lois des AOC ne sont pas figées dans le marbre et que l’innovation y est permise, l’histoire du Pineau rosé pourrait parfaitement servir d’exemple. A l’origine, le Pineau des Charentes s’est appelé rosé car c’était la seule couleur connue. Au fil des années, les techniques d’extraction et de stabilisation se sont affinées et le rouge intense s’est quasiment généralisé. Cette évolution des pratiques a nécessité de clarifier les désignations pour le consommateur et en 2008, la mention rosé a été officiellement remplacée par le terme rouge/rosé dans le cahier des charges de l’AOC. Cette seule et même nouvelle catégorie permettait de reconnaître à la fois la nouveauté (rouge) sans désavouer la tradition (rosé). Aujourd’hui, avec l’apparition des rosés pâles issus de débuts de fermentation, la démarche est inversée et le Syndicat a besoin de définir une catégorie à part qui puisse notamment bénéficier d’une durée de vieillissement plus réduite. Ainsi, le nouveau segment du rosé pourra se limiter à seulement 8 mois de vieillissement dont 6 sous-bois. La date de première mise en marché sera le 1er juin suivant la récolte, une période idéale pour le positionnement d’un produit emblématique de l’été à consommer jeune.

 

Des vieux encore plus vieux

Voilà un changement qui n’en est pas vraiment un dans les faits car les produits commerciaux avaient déjà anticipé cette contrainte depuis bien longtemps. L’âge minimum des catégories vieux et très vieux sera reporté de 2 ans, à compter de 2023. La durée minimum de vieillissement sera dorénavant de 7 ans pour les vieux et de 12 ans pour les très vieux. « C’est beaucoup plus cohérent, je dirais même  indispensable explique un producteur vendeur direct. Cela correspond maintenant à un écart de 5 ans entre chaque catégorie. Par expérience, c’est le minimum à retenir pour que la qualité des produits justifie son écart de prix. »

Sur la question de la mention de l’âge des produits, l’ODG a souhaité préciser la règle. A partir de 2020, cette dernière ne sera autorisée qu’à l’échéance d’un vieillissement de 3 ans révolus sous-bois. En cas d’assemblage, c’est l’âge du produit le plus jeune qui sera pris en compte.

 

Une marque collective dans l’AOC

La segmentation des gammes était le sujet le plus emblématique qui avait conduit à la réouverture du cahier des charges. L’idée était de créer une catégorie intermédiaire entre les jeunes et les vieux Pineaux pour mieux valoriser les produits de 3 ans et plus, face aux premiers prix de la grande distribution. Là aussi, le segment existait déjà. Il correspondait souvent à l’entrée de gamme de la plupart des vendeurs directs ou de certains négociants opérant en dehors des circuits de grande distribution. Le terme « Coeur de Pineau» a été proposé mais les services de la répression des Fraudes l’ont refusé au motif très subjectif qu’il évoquait la notion d’un cœur géographique d’appellation et non d’un cœur de gamme. Les producteurs ont essayé, en vain, de rechercher une nouvelle désignation à la fois séduisante et évocatrice. Au final, le segment verra quand même le jour par le dépôt d’une marque collective. Une première dans le giron des AOC qui pourrait constituer un précédent en cas de succès.

 

Le Chauché fait enfin son entrée

15 ans après le lancement des premières expérimentations sur le Chauché gris (Trousseau gris), ce dernier pourrait enfin être autorisé dans le cahier des charges. L’INAO, fidèle à sa doctrine souhaitait que sa proportion dans les assemblages soit limitée à 10% pour prendre de temps d’évaluer la durabilité du cépage et ne pas impacter la typicité des produits obtenus. Mais quel aurait été l’intérêt de retrouver et de remettre au goût du jour un cépage disparu depuis 200 ans s’il ne peut pas être dégusté en tant que tel dans une AOC née un siècle plus tôt ? L’intérêt de recruter des cépages anciens, c’est qu’ils ont déjà démontré leur capacité à résister aux contraintes du milieu. Sur la question de la typicité, le Chauché a passé avec succès toutes les épreuves démontrant sa parfaite aptitude par rapport aux cépages de référence comme l’ugni blanc et le Colombard. Pour ses défenseurs, l’histoire du Chauché est un formidable exemple de sauvegarde de la biodiversité viticole et ces travaux de recherche menés par le conservatoire du vignoble charentais ne peuvent se pérenniser que s’il l’INAO apporte aussi sa pierre à l’édifice. Après négociation, l’INAO a donc dérogé partiellement à la règle pour permettre la commercialisation du Chauché gris sans aucune contrainte d’assemblage. En revanche, sur la question de la représentation du cépage dans l’affectation parcellaire de l’exploitation, l’administration n’a rien lâché : ce sera 10% maximum. Une contrainte dont l’intérêt est discutable et qui risque de dissuader les plus petits producteurs vendeurs directs à s’engager dans cette niche.

 

Une nouvelle déclaration pour désigner les parcelles en production.

Jusqu’ici, les superficies de moûts pour Pineau des Charentes mentionnées sur la déclaration de récolte devaient au préalable avoir fait l’objet de deux autres déclarations : L’identification parcellaire qui correspond, pour l’INAO, à une sorte de délimitation et l’affectation annuelle régionale. La superficie affectée (et donc récoltée), devait, bien sûr correspondre aux communes et superficies identifiée. A partir de la récolte 2019, une nouvelle déclaration entrera en scène pour désigner, chaque année, les parcelles identifiée (Référence cadastrale, cépage, superficie et année de plantation et nom de l’exploitant), qui ont effectivement été conduites pour élaborer les moûts. « On nous parle de simplification mais on ne va pas dans le bon sens » réagit un producteur lors de la réunion de secteur du Syndicat à Gémozac. « Effectivement, répond le président Philippe Guérin, c’est la raison pour laquelle nous avons fait en sorte de regrouper ces éléments sur une déclaration existante». Dans les faits, cette déclaration sera donc faite avant le 10 décembre de l’année qui précède chaque récolte sur le formulaire annexé à la déclaration d’élaboration. Dans le cas d’une production régulière et constante sur les parcelles, il suffira de réengager les superficies récoltées en face de chaque parcelle. Mais dans le cas, d’une augmentation ou d’une réduction de superficie affectée, (voire d’un arrachage ou d’une replantation), les producteurs devront veiller à bien faire coïncider les 4 niveaux déclaratifs (Identification, affectation Pineau, Affectation Bassin, Récolte) par commune, cépage et superficie.

 

Les rendements reprécisés

L’appellation Pineau des Charentes est la seule en France à disposer de 2 rendements annuels. Le rendement historique concerne la production des moûts et il est le seul à être contrôlé à la déclaration de récolte. Le rendement Pineau des Charentes (produit fini) véhicule une notion d’image car la productivité des parcelles est souvent perçue comme un moyen pour apprécier la « vertu » des AOC. Avec un rendement butoir à 85 hl/ha, le Pineau était souvent perçu comme une AOC moins disant sur ses contraintes de production. Cette perception venait chaque année perturber les débats lors de la validation, au comité national INAO des rendements de l’année. Le rendement Pineau des Charentes prend en compte, comme pour toute AOC, la totalité des volumes produits (Le Pineau des Charentes) et la totalité des superficies mises en œuvre (Moûts + Cognac), il est donc beaucoup plus en phase avec la réalité économique de l’appellation. La modification du cahier des charges en cours devrait porter ce rendement de 42 à 45 hl/ha pour prendre en compte le niveau très élevé du rendement Cognac en ce moment.

 

Malgré la récolte 2017, l’ambition reste intacte.

 

La production de Pineau des Charentes représentait 79359 hl en 2017, c’est une récolte inférieure de 25% à celle de 2016. Mais le chiffre est conforme aux attentes. Il confirme même un fort attachement des producteurs au vin de liqueur, car la pression pour alimenter prioritairement les marchés Cognac a été particulièrement forte cette année à cause du gel. Les inquiétudes se tournent aujourd’hui sur la récolte à venir, car plus que tout autre paramètre, c’est la provision d’eaux de vie de mutage qui conditionnera le volume de production 2018. Cette perspective, les administrateurs du syndicat y sont sensibles. C’est pourquoi ils ont tenu à apporter de la visibilité sur les récoltes à venir. « En 2018, nous maintiendront le rendement des moûts à 72 hl/ha dont 12 hl bloqués en réserve et 2019 sera sur la même tendance » a affirmé Philippe Guérin le président devant ses producteurs. Mais il en faudra plus pour convaincre les quelques-uns qui risquent de céder à l’appel des sirènes toujours plus insistantes dans les bassins de production du Pineau. « Notre objectif est d’agir pour préserver un juste niveau de rentabilité du Pineau dans son environnement. Cela passera par la préservation des prix et le développement de notre produit sur de nouveaux marchés» a surenchérit Philippe Guérin. Et pour ce faire, le Comité du Pineau a investi des budgets substantiels de promotion sur 3 villes majeures des Etats Unis : New York, Los Angeles et San Francisco. « Nous voulons impulser un mouvement dans les entreprises et faire en sorte que le Pineau des Charentes fasse l’objet d’une stratégie à part entière et ne soit pas seulement un complément de gamme du Cognac. » explique avec enthousiasme Jean Marie Baillif le président de l’interprofession. Il en profite pour exhorter les producteur à sortir des sentiers battus pour différencier leurs offres : « On ne joue pas assez à innover pendant nos vendange ! Aujourd’hui la mode est aux productions « craft* » et le Pineau en a génétiquement tous les codes. A nous, de l’exploiter !

* Le craft est actuellement une tendance forte dans le secteur des bières et des spiritueux. Elle englobe toutes productions et les séries à connotation artisanale très encrées sur un territoire.

 

 

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