Un millésime de raisons mûrs plus difficile à vinifier

4 octobre 2018

Des natures de vendanges et une maturité très hétérogènes

 

            Les raisins du millésime 2 018 vont être difficiles à vinifier même si leur état de maturité peut paraître avancé. En fait, la climatologie estivale extrêmement sèche depuis presque trois mois a « malmené les vignes. Le beau temps très attendu après un hiver et un printemps extrêmement pluvieux est arrivé et a débouché une séquence de sécheresse longue avec de fortes chaleurs. Trois mois sans précipitations significatives hormis quelques petites averses locales ont accéléré la phase de maturation, façonné le contenu des grappes et vont avoir une influence sur la conduite des vinifications.

            Le millésime 2 018 va atteindre des niveaux de maturité poussés ce qui n’a maintenant rien d’exceptionnel. L’impact du réchauffement climatique sur les raisins du vignoble de Cognac devient de plus en fréquent depuis deux décennies. L’été chaud a engendré des conséquences sur l’alimentation eau des vignes les plus sensibles implantées dans les sols ayant de faibles hydrique et dans les jeunes parcelles.

Un millésime de forte maturité précoce mais pas ultra-précoce

 En cette fin de mois de septembre, un constat assez unanime semble se dégager : « L’état de maturation des grappes au moment de la récolte sera à la fois poussé et très hétérogène. Les différences d’états des grappes et des baies sont très marquées en fonction de la nature des terroirs, des conditions d’entretien des sols et de l’âge des vignes ». L’état d’avancement est globalement précoce mais pas non plus ultra-précoce.

 

Un impact de la grêle, du mildiou et de la sécheresse sur la productivité

 

Le potentiel de production régional qui s’annonçait très élevé à la mi-mai, s’est réduit au fil des mois. Les comptages de la Station Viticole du BNIC avaient recensé un potentiel d’inflorescences très au-dessus de la moyenne qui augurait d’un millésime généreux en volume dans toutes les zones de la région délimitée. Une série d’événements au fil des mois, les sinistres de grêle, des conditions de floraison moyennes, une pression parasitaire de mildiou exceptionnelle (et localement de Black-rot en fin de saison) et un état de sécheresse pendant toute la phase de maturation ont contrarié les généreux pronostics. La période de beau très prolongée a eu le mérite de stopper l’agressivité exceptionnelle de l’épidémie de mildiou. Sans ce traitement « thermique », la pression parasitaire aurait pu devenir incontrôlable en présence seulement d’une arrière-saison normalement pluvieuse.

 

Des vignes grêlées qui portent deux générations de grappes

 

            Les vignes grêlées ont par contre tiré un bon profit du beau temps. Cela a favorisé la « reconstruction de leur cycle végétatif dans conditions que l’on peut presque qualifier d’inespérées. Le retard occasionné par la destruction d’une partie importante de la végétation lors des orages du 26 mai est en cette fin de mois de septembre toujours présent mais moins perceptible. L’époque du sinistre de grêle plus précoce de deux semaines par rapport à celui de 2014 est un élément qui aura sûrement beaucoup d’importance pour la productivité de parcelles touchées entre 40 et 60 %. Le redémarrage de la végétation qui est intervenu a provoqué un décalage important de développement. La persistance du beau temps a en partie contracté ce retard à partir de la mi-août. Beaucoup de parcelles portent des grappes de deux générations, celles d’origine épargnées mais abîmées par le sinistre et les secondes plus tardives qui accusent un net retard. Les premières avaient atteint la pleine véraison quand les deuxièmes étaient encore au stade fermeture de la grappe. Les conditions estivales exceptionnelles et l’effet faible charge ont contribué a accélérer la maturation des raisins tardifs. Néanmoins, en cette fin de mois de septembre, ils ne sont toujours pas mûrs et avancent « à leur rythme ».

 

Capter des volumes complémentaires en retardant la récolte

 

            Dans les vignes grêlées, le choix de la date de récolte devient forcément complexe. Faut-il vendanger en s’appuyant uniquement sur l’état de maturité des raisins de première génération, caler les choses en ne tenant compte que de l’évolution que des grappes de deuxième génération ou en essayant de trouver un compromis de maturité cohérent. Donner des conseils et des réponses sur ce sujet n’est vraiment pas simple car les aspects techniques ne doivent pas éluder les réalités économiques. Il n’est pas sérieux de demander à des gens qui ont perdu 40 à 80 % de leur potentiel de production de faire abstraction du potentiel volumique complémentaire que représentent les raisins de deuxième génération. La recherche d’un compromis de date de récolte plus tardive est sans aucun doute fondée. Le très bon état sanitaire des raisins et la précocité de l’année plaident aussi en faveur de cette stratégie d’autant que les prévisions météo à 14 et 21 jours annoncent très peu de pluies jusqu’au début du mois d’octobre.

 

Quantifier la proportion de grappes de première et deuxième générations

 

             C’est la proportion de grappes de première et de deuxième génération qui doit servir d’élément de raisonnement pour optimiser la date de récolte. Plus la présence de grappes de deuxième génération sera importante, plus le potentiel de maturation sera tardif et plus l’importance volumique de ces raisins sur le rendement final sera déterminante. Retarder la date récolte constitue une prise de risque dont il faut essayer d’anticiper les conséquences. L’observation de l’évolution de la maturité et surtout de l’état sanitaire de ces raisins tardifs sera très importante surtout si les conditions climatiques venaient à être pluvieuses. Les grappes issues des parcelles grêlées auront une nature déséquilibrée ce qui rendra aussi les vinifications plus complexes. Elle risque d’être à la fois sur et sous-mûrie ce qui la rend délicate à traiter et à valoriser.

 

Le vécu en 2014 de vendanges tardives  de vignes grêlées

           

            Les retours d’expérience de quelques viticulteurs qui en 2014 avaient des parcelles grêlées entre 40 et 60 % s’avèrent intéressants. La grêle s’était produite le 8 juin et un décalage de végétation important avait persisté toute la saison.

 

L’apport de rendement lié aux grappes de deuxième génération

 

            Le retard des raisins de deuxième génération était encore plus marqué que cette année. Certains viticulteurs qui avaient fait le pari de vendanger très tard ne l’ont pourtant pas regretté. La taille plus petite et l’état de compacité de ces raisins avaient accentué leur sensibilité au botrytis qui a commencé à se développer à partir du 10 octobre. La récolte qui était intervenue entre le 10 et 15 octobre a permis d’observer des gains de rendements réguliers et en relation avec l’intensité des dégâts. Les résultats les plus probants avaient été obtenus dans des vignes grêlées entre 50 et 70 %.

 

Une nature de vendange plus difficile à vinifier

 

            Par contre, la vinification de ces récoltes très hétérogènes avait nécessité beaucoup de technicité. Pour tirer le meilleur profit d’un état de maturité de la vendange très hétérogène, de raisins un peu altéré par le botrytis et d’une présence de débris végétaux plus importante, l’utilisation de fibre de cellulose au moment du pressurage ou la réalisation de décantation de moûts systématiques s’étaient révélées bénéfiques. Ensuite, la mise en fermentation et le suivi de certaines cuves ayant des niveaux de TAV élevés avaient mobilisé une surveillance accrue pour mener à leur terme les fermentations alcooliques. Les vins présentaient une structure pas bien équilibrée et étaient plus fragiles en termes de potentialités de conservation. D’une manière générale, ces vins avaient été distillés le plus tôt possible.

 

Des réglages des têtes de récolte particuliers

 

            Enfin, au niveau des vignes les stratégies de vendanges tardives avaient aussi permis de beaucoup moins abîmer la végétation et les futurs bois de taille. L’utilisation des MAV sur une végétation qui n’a pas atteint sa maturité habituelle est toujours plus délicate. Les différents réglages des têtes de récolte (pincement, amplitude, fréquence et vitesse d’avancement) doivent concilier deux objectifs différents, un décrochage des grappes peu nombreuses et moins mûres et un respect maximum des rameaux. Les techniciens des constructeurs de MAV et des distributeurs locaux avaient souvent aidé les viticulteurs à trouver les meilleurs réglages.

                                                                                             

           

Des vignes adultes dans les sols profonds qui ont bien résisté

 

            Dans les parcelles qui n’ont pas subi de dégâts de grêle et de mildiou, le potentiel de récolte reste à la fois généreux et aussi contrasté. La charge de grappes abondantes en début de cycle végétatif est toujours là. Par contre, le niveau du poids moyen des grappes assez faible à la véraison (200 g au lieu de 239 en moyenne au cours de la dernière décennie), n’a pas été compensé pendant la phase de maturation. Les grappes ont pris en moyenne une centaine de grammes mais n’atteignent les niveaux de poids habituels à l’approche de la récolte. Faute de précipitations suffisantes, les généreuses d’ugni blanc ont moins grossi et ne libéreront pas les volumes de jus attendus. D’une manière générale les vignes de plus de 10 ans portant des charges de grappes mêmes assez importantes ont mieux supporté les effets de la sécheresse dans les terres plus profondes de champagnes, les groies et même dans les doucins.

 

Des îlots en souffrance dans les sols superficiels, les sables et les argiles du Pays bas

 

            La situation est très différente dans toutes les terres superficielles, les sables et les argiles du Pays bas. Les vignes souffrent beaucoup et depuis la fin août. Quand les teneurs en argile sont importantes, les phénomènes de rétraction liés à la diminution des réserves en eau amplifient les dégâts directs de sécheresse. Cela a provoqué la rupture de radicelles et de racines en profondeur et forcément l’alimentation des souches s’en trouve encore plus perturbée. Localement, les petites pluies de 15 à 25 mm autour du 06 et 7 septembre ont fait beaucoup de bien aux parcelles adultes mais malheureusement, elles n’ont concerné que de petits secteurs. L’excès de stress hydrique va avoir des conséquences à la fois sur le rendement volumique des parcelles, l’état d’avancement de la maturation et l’équilibre qualitatif du contenu des baies.

 

Les jeunes vignes très chargées ont fortement « décroché »

 

            Les jeunes vignes de 3 à 6 ans très chargées ont généralement mal supporté l’état de sécheresse prolongé. Cela s’est matérialisé par des symptômes foliaires marqués qui sont apparus assez précocement. Ensuite, un phénomène de flétrissement progressif des grappes s’est produit et l’évolution de la maturation semble littéralement bloquée. La forte demande en eau et en éléments nutritifs des grappes et de l’ensemble de la végétation n’a pas pu être satisfaite. Le système racinaire était trop jeune et pas assez implanté dans les couches plus profondes du sol et du sous-sol pour être en mesure absorber les quantités d’eaux et de nutriments nécessaires. Les jeunes ceps de vignes n’ont plus été en mesure d’assurer leurs besoins vitaux et ont littéralement « décroché ». Le niveau de productivité de ces jeunes parcelles va être fortement affecté.

 

 

Une prévision de rendement volumique moyen de 110 hl/ha

 

            La productivité des « belles » vignes devrait être plutôt bonne malgré l’incidence de la sécheresse qui a certes un peu limité les volumes mais aussi « boosté » les niveaux de TAV. Les prévisions de récolte de la Station Viticole du BNIC situent le rendement moyen autour de 110 hl/ha avec bien sûr une forte variabilité liée surtout à l’entretien agronomique. Au sein de beaucoup de propriétés, les parcelles en forme risquent de dépasser largement le niveau de 130 hl alors que d’autres, vieillissantes seront en dessous 100 hl. L’incidence de la climatologie chaude et ensoleillée durant le mois de septembre durant la phase de maturation va avoir des conséquences sur la structure qualitative des raisins et des vins de distillation du millésime 2 018.

 

Pousser les maturations sans prendre trop de risques

 

            Les grappes auront cette année au moment de leur récolte un niveau de maturation poussé qui ne surprend plus réellement les viticulteurs et les œnologues. Les niveaux  des TAV potentiel seront élevés alors que les teneurs en acidité totale risquent d’être basses et voire très basses dans certaines situations. Le paramètre économique induit par le rendement Cognac de 14,64 hl/ha va interférer sur les dates de récolte et la réflexion qualité des conditions de maturité idéales. L’équilibre TAV potentiel/niveau d’acidité totale qui représente un élément important vis-à-vis des enjeux qualitatifs de la filière Cognac, va être indéniablement abordé différemment. Le facteur TAV risque de devenir en 2018 plus prioritaire. La tentation de pousser loin, voire trop les maturations doit être abordée en ayant pleinement conscience des conséquences et des risques qu’engendre ce type de stratégies. Le problème majeur est l’obtention de moûts et de vins ayant des niveaux d’acidité très bas qui rendent les conditions de vinification et ensuite la conservation délicates. Vouloir « boosté » les TAV sera en 2018 une stratégie fondée dans certaines limites. Il faudra la piloter sans perdre de vue les risques liés à la sur-maturité

 

Un état sanitaire parfait et des teneurs en azote plutôt basses à surveiller

 

            L’un des points très positif de l’année est  l’état sanitaire des raisins qui est particulièrement bon. Dans toutes les natures de sols de la région délimitée, les foyers de botrytis au 20 septembre sont très rares. On en trouve seulement quelques-uns dans les secteurs ou les vols de tordeuses ont été mal contrôlés en fin de saison. Les raisins du millésime sont très sains et a priori, les prévisions météorologiques jusqu’au début du mois d’octobre laissent penser que l’état sanitaire devrait se tenir. Les derniers contrôles de maturité semblent aussi révéler que les teneurs en azote de la vendange sont assez faibles. Il conviendra sûrement de suivre de près cet aspect des choses dans les chais car la bonne alimentation des levures sera importante pour fermenter des moûts dont le niveau de TAV s’annonce élevé.

 

Des risques accrus d’élévations des températures de fermentation

 

            La précocité des vendanges induit aussi un déroulement de la récolte en présence de conditions climatiques plutôt chaudes. Le fait de récolter de la vendange à plus de 18 °C doit être bien anticipé surtout quand les niveaux de TAV potentiel dépassent 10 % vol.En effet, plus la richesse alcoolique des moûts, plus les augmentations de températures durant les fermentations alcooliques sont importantes. La notion de maîtrise de la thermie des moûts aura une grande importance au moment de la récolte et ensuite durant le déroulement des cinétiques fermentaires. L’adaptation des horaires en fonction du climat des journées sera capitale pour essayer de contenir les moûts en dessous 16 °C à l’issue du pressurage. Il est possible d’anticiper les risques d’excès thermique pendant les fermentations en tenant compte à la fois de la température de départ des moûts et de leur TAV potentiel. En effet, la fermentation d’un degré de TAV potentiel entraîne en moyenne une élévation de température de 1,5 °C avant tous échanges avec l’extérieur. La conductivité des matériaux des cuves (inox, fibre de verre et ciment), la ventilation autour de la cuverie et les moyens de maîtrise thermique viennent limiter les dégagements thermiques théoriques. La maîtrise de l’organisation du déroulement des fermentations alcooliques des lots de vendanges les plus riches en sucres sera essentielle vis à vis de l’activité des levures et des risques d’élévations de températures.

                                                                                  

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