« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi avoir souhaité vous exprimer à nouveau, alors que vous avez déjà eu l’occasion de le faire lors de votre assemblée générale ?
Cette période de l’année est importante, dans la mesure où les chiffres qui sortent vont commencer à être « moulinés » par l’outil de calcul du BNIC. Ils donneront la tendance du rendement de l’an prochain. Que constatons-nous ? Après un bon début d’année, le mois de mars s’est terminé sur une progression de + 30 %. C’est une excellente nouvelle même si, c’est vrai, la comparaison portait sur un mauvais mois de mars 2009. A l’inverse, le chiffre 2008 était excellent. D’où, au final, une « moyenne » sans doute pas très éloignée de la réalité. Certes les signaux économiques ne sont pas tous au vert mais on peut tout de même se réjouir du bon redressement des ventes, qui témoigne du dynamisme de la filière. Les négociants ont su se montrer très volontaristes. Ils ont également su donner confiance à leurs actionnaires pour qu’ils « ne retirent pas leurs billes », une confiance dont devrait s’inspirer la viticulture. On a parfois du mal à la sentir dans ses rangs. En tout cas, pour nous, ces bons chiffres confirment la perception du syndicat. C’est parce que nous croyons à la reprise que nous avons proposé la mise en place d’une réserve de gestion. Si nous avions pensé que les ventes allaient durablement stagner – comme d’aucuns le prédisaient – nous ne l’aurions jamais fait. Mais la réalité n’est pas là.
« L.P.V. » – Qu’en déduisez-vous ?
Pour 2010, nous pouvons raisonnablement envisager un rendement de base de 8,10 hl AP/ha, comme l’an dernier. Ce qui donne une production Cognac de l’ordre de 560 000 hl AP. Si on y ajoute le volume « autres débouchés », d’1,4 million d’hl – qui semble être le chiffre reconduit aujourd’hui par le syndicat des vins – on obtient un delta de 130 000 hl AP sans débouché immédiat. Admettons que la réserve climatique en absorbe encore 50 000 hl AP (après en avoir absorbé près de 150 000 hl AP sur la récolte 2009 – ndlr), reste 80 000 hl AP. Nous estimons que ces 80 000 hl AP peuvent alimenter sans problème la réserve de gestion. Ces 80 000 hl AP ne perturberont pas le marché, d’autant que leur libération sera différée dans le temps. Ce ne sera pas un « envahissement ». Tout l’intérêt de la réserve de gestion réside justement dans cette mise en marché progressive. A contrario, si la réserve de gestion ne voyait pas le jour, qu’adviendrait-il ? D’abord, la viticulture enregistrerait un manque à gagner que nous estimons à 35-40 millions d’€. Ensuite, comme le viticulteur a horreur de détruire sa récolte et, qu’à vrai dire, il n’existe guère de moyen de destruction qui n’aille pas alimenter le marché de l’alcool, concurrent potentiel du Cognac, ne resterait plus que l’exutoire des « autres débouchés ». Ces derniers ne porteraient plus sur 1,4 million d’hl mais sur 2,5 millions d’hl vol. Il faudrait alors attaquer les marchés à prix cassés et les autres régions pourraient légitimement nous adresser des reproches.
« L.P.V. » – Vous savez bien que la réserve de gestion n’est pas juridiquement acquise.
Mme Le Page, la nouvelle directrice du BNIC, est tout à fait consciente des enjeux financiers drainés par la réserve de gestion. Elle nous a garanti qu’elle mettrait tout en œuvre pour l’obtenir. Un groupe de travail est mobilisé sur le sujet. Nous savons que ce sera ardu mais nous faisons totalement confiance à l’interprofession, même si un peu de retard a été pris à l’allumage. Ce n’était pas de notre fait. Nous avions bouclé nos propositions le 5 février. De février à juillet restaient cinq mois pour faire avancer le dossier. A ce sujet, nous voudrions féliciter la Fédération des viticulteurs – la FVPC – pour la manière dont a été conduit le projet de réserve de gestion. Chaque syndicat a apporté sa contribution. Ensemble, nous avons réussi à trouver des points d’équilibre, prenant en compte la sensibilité de chacun. Cela signifie que les deux syndicats sont capables d’échanger de façon constructive. C’est le message positif que nous pouvons en retirer.
« L.P.V. » – Vous ne semblez pas d’accord sur tous les sujets. L’affectation parcellaire a constitué récemment un point de friction entre les deux syndicats.
En effet, la presse s’est fait l’écho des propos du SGV à ce sujet. Mais ça n’est pas grave. On ne va pas « s’accrocher » là-dessus. C’est vrai que nous avons voté contre la proposition de modulation de l’affectation. Elle nous paraissait assez difficile à mettre en place – deux déclarations d’affectation à quelques mois d’intervalle – pour un gain relativement faible au final. L’an dernier, l’affectation aux « autres débouchés » a concerné 4 000 ha. Mobiliser toute une organisation administrative pour potentiellement 400 ha (10 % de 4 000 ha), cela nous paraissait quelque part disproportionné. A notre sens, avant de vouloir modifier l’outil juste créé, mieux vaut essayer de le faire fonctionner. Prétendre que nous voulions faire capoter l’affectation semble abusif. Par ailleurs, on nous a assez répété que l’affectation devait inciter les acheteurs à se positionner par anticipation. Seule une affectation stricte, à date fixe, les poussera à le faire. Après, si ça n’est pas le cas ! Ce n’est quand même pas nous qui avons proposé cette date du 1er juillet.
« L.P.V. » – Sur cette affaire, votre vote a rejoint celui du négoce. La viticulture a parlé d’une voix discordante.
Nous souscrivons pleinement à l’idée que la viticulture parle d’une voix commune. Quand la FVPC fut créée, il était dit que les décisions prises dans son enceinte devaient être respectées à la fois au BNIC et à l’ADG. Mais, pour ce faire, faut-il encore qu’un débat s’instaure au sein de la fédération et qu’une décision soit prise.
« L.P.V. » – Pour que la viticulture parle d’une même voix, la solution la plus simple ne serait-elle pas qu’il n’y ait qu’un seul syndicat ?
A un moment ou à un autre, nous avons tous été membres du SGV. Mais des positions irréconciliables sont très vite apparues. La fédération a remplacé le syndicat unique, pour un résultat bien meilleur pour le Cognac nous semble-t-il. La fédération permet de faire cohabiter des conceptions différentes du métier, tout en recherchant une certaine forme de consensus. De quoi s’aperçoit-on ? Les deux syndicats partagent à 80 % un socle commun. En fait, juste des détails les séparent. La fédération sert à trouver des solutions pour que le dialogue redevienne possible, que les gens se parlent et construisent ensemble. C’est tout de même un gros progrès.
« L.P.V. » – Vous parlez de détails mais, parfois, il s’agit plus que de simples détails. Sur les volumes, sur la formation du prix, la sensibilité diffère.
Notre syndicat ne prend personne en traître. Depuis septembre dernier, nous avons dit que nous ne voterions plus de rendement en dessous du prix de revient. L’idée est de considérer que le viticulteur doit avoir un rendement stable. Après, à chacun d’ajuster sa structure d’exploitation à ses débouchés. Pour ajuster sa structure d’exploitation, plusieurs outils existent : l’affectation, la réserve de gestion et puis, peut-être, l’adaptation de la structure elle-même. Mais il y a des mots qu’il vaut mieux ne pas employer.
« L.P.V. » – Plaider pour un rendement plus élevé, n’est-ce pas favoriser par la bande les exploitations qui disposent des meilleurs accès au Cognac ?
Cette analyse ne nous paraît pas exacte. Plus le rendement est bas, plus vous devez contenir vos coûts de production. La prime va donc aux économies d’échelle et donc aux exploitations de taille importante car la main-d’œuvre familiale n’est plus à même de jouer la variable d’ajustement, même sur les exploitations de 15 ha. Instaurer un rendement bas pour tout le monde reviendrait donc à condamner les « maillons les plus faibles » qui n’auraient pas les moyens de tenir. Au train où nous allons, ne subsisteront plus que 3 000 exploitations à l’horizon 2020. Déjà, très peu de jeunes s’installent. Notre syndicat défend tous les viticulteurs, des plus petits aux plus gros. Dans cette optique, la réserve de gestion joue comme un amortisseur. Elle permet de récupérer de la valeur ajoutée sur le stock. Nous l’avons dit à la réunion de la « mise au courant ». Il faut que chacun s’entende pour avoir une marge, le négociant et le viticulteur. Cette redistribution de la valeur ajoutée passe par le prix mais aussi par le rendement et la détention du stock. Quand on détruit 30 % de sa production tous les ans, difficile de tenir le coup. Calculer des coûts de production sur 70 % du volume n’a rien de logique. C’est pourquoi nous défendons les 9/9,5 de pur/ha plutôt que les 7,5/8. Quant au risque de surproduction, régulièrement invoqué, il nous semble très théorique. A un moment donné, pour produire, trois partenaires doivent être réunis : le viticulteur, le banquier, le négociant. Si un des trois piliers manque, cela devient plus compliqué de distiller.
« L.P.V. » – Un revenu, c’est aussi un volume multiplié par un prix.
De cela aussi nous avons parlé à la « mise au courant ». Qu’est-ce qui fait le prix sinon l’argent qu’est capable de mettre le consommateur. A la filière en général – viticulture mais aussi négoce – de savoir s’adapter. On l’a bien vu en 2008, où des prix de vente trop élevés ont abouti à déserter certains marchés à faible plus-value. Partons de ce qu’une vigne est capable de produire (9/9,5 hl AP), couvrons les frais de production en y ajoutant une marge équitable pour le viticulteur et restons-en à une logique de durabilité. Pour nous le Cognac n’est pas un marché spéculatif où il faut rechercher une baisse du rendement pour faire monter les prix. La notion « d’économie durable » s’applique au Cognac. A vrai dire, parfois, cette logique semble échapper à nos partenaires négociants. Quand le vent tourne, ils ont tendance à exagérer leurs réactions. La situation devient alors très compliquée à gérer pour les viticulteurs, confrontés à des différés d’achat à court terme, qui posent des problèmes quasi insolubles. En 2009, certains viticulteurs furent confrontés à de graves difficultés de trésorerie, d’autant plus difficiles à résoudre que la garantie sur le stock n’existe plus.
« L.P.V. » – Lors de votre assemblée générale, vous aviez invité le SGV Champagne à venir s’exprimer sur le projet de la Commission européenne de libérer les droits de plantation.
Dans les mois qui viennent, nous allons employer un stagiaire sur cette question, pour compiler l’information existante. Un groupe de travail d’une dizaine d’adhérents se constitue sur le sujet. Des avis différents s’expriment dans la région. En ce qui nous concerne, nous sommes favorables au maintien des droits de plantation, sans aucune ambiguïté. Pourquoi rechercher un autre système alors que celui-ci fonctionne très bien. Si la libéralisation des droits devait exister un jour, c’est la viticulture qui la subirait au premier chef.
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