Un concentré de souvenirs… Pour Hugues Chapon, c’est le secret, la raison d’être de l’œnotourisme, « ce pour quoi mon Pineau est meilleur que celui acheté 5 km plus loin ». Installé depuis dix ans, le jeune viticulteur a commencé par proposer un Sentier du vigneron puis une Balade nocturne dans le vignoble et enfin des Petits Déjeuners du bouilleur de cru.
« Le Paysan Vigneron » – Comment avez-vous eu l’idée de ces animations au vignoble ?
Hugues Chapon – J’avais la chance d’avoir des vignes juste derrière la cave. Quand les touristes venaient, je les emmenais dans le vignoble, pour leur parler culture du raisin, enherbement, cépages… Mais, lorsque les gens se retrouvent dehors, on ne les arrête plus. Ils aiment parler et ici à Jonzac, les curistes ont « du temps à tuer ». Cela ne les dérange pas de papoter. Cette activité me prenait du temps. Je me suis dit : pourquoi pas les inciter à se promener en autonomie. J’ai ainsi mis au point trois petits circuits en boucle d’1,5 km, 2,5 km et 3 km avec, tous les 4-500 mètres des panneaux leur expliquant ce qu’ils voyaient : vieilles vignes, forêt, céréales, animaux (un voisin a des vaches)… Pour ne pas rendre trop fastidieuse la lecture des panneaux, j’ai pensé à un dialogue entre une petite-fille et son grand-père. ll y a Inès la petite-fille, le grand-père Guy, la grand-mère Zoé, le grand-oncle André. Pour les textes, je me suis inspiré des questions posées par les gens. En 2009, j’ai employé en contrat de professionnalisation une jeune fille de l’Institut rural de Vayres, spécialisée en œnotourisme. Claire a retravaillé les panneaux avec la tonnellerie Allary, en y ajoutant un jeu. Les enfants adorent. Quand ils reviennent à la cave, ils ne tirent plus la manche de leurs parents pour aller à la piscine. Les adultes rebondissent sur les questions. Ce sentier – en place depuis cinq ans – reste, je crois, une animation originale dans le vignoble charentais. A part le Cep Enchanté de la famille Quéron à Macqueville et le Talmondais des Vignobles Arrivé, je ne connais pas d’autres initiatives de ce genre.
« L.P.V. » – A Ozillac, à 3 km de Jonzac, vous bénéficiez d’une position privilégiée.
H.C. – Indiscutablement, les Thermes et les Antilles représentent un « plus » pour les vendeurs directs en périphérie de Jonzac. En 2010, je crois que Jonzac a passé la barre des 10 000 curistes. Quand les thermes ouvrent en mars – ils sont fermés trois mois à partir de décembre – je sais que, dès le premier jour, je recevrai des personnes à la propriété. C’est d’autant plus vrai que nous proposons toute la gamme des produits, vin, Pineau, Cognac. En début de séjour, les curistes viennent chercher du vin et repartent avec du Pineau et du Cognac. L’hiver, nous profitons un peu du centre aquatique des Antilles, plutôt fréquenté par des régionaux de Poitiers, Périgueux, Bordeaux qui séjournent en famille dans les résidences Maeva. Qui plus est, nous avons la chance d’avoir à Jonzac un office de tourisme super-dynamique, ouvert toute l’année, grâce au flux important de touristes. C’est vraiment un super-partenaire.
« L.P.V. » – Sur quel rythme de visites vous situez-vous ?
H.C. – Hors saison, nous sommes plutôt autour de 30 personnes par mois et, en saison, nous recevons entre 200 et 300 visiteurs par mois, individuels ou en groupes. En matière de fréquentation, rien n’est acquis. On ne peut jamais être sûr de son fait. Je distribue des flyers (tracts) à Jonzac, assure une présence sur internet. Même à 2,5 km de Jonzac, nous restons éloignés pour des personnes sans voiture.
« L.P.V. » – En terme de disponibilité, comment vous adaptez-vous ?
H.C. – En saison et pendant les vacances scolaires, je suis ouvert tous les après-midi. Le gros problème de la vente directe à la propriété, c’est de savoir quel temps y consacrer. Personnellement, j’ai l’impression que je tire mon épingle du jeu parce que je me suis fixé des horaires et que je m’y tiens. Quand les gens tombent sur des portes closes, forcément ils sont déçus. Dans une démarche d’achat à la propriété, les visiteurs s’attendent à recevoir une valeur ajoutée, matérialisée par le contact, l’échange et bien sûr la dégustation. C’est le moins que l’on puisse faire. C’est ce qui établit la différence avec un magasin. Au minimum, nous consacrons un quart d’heure/une demi-heure à un client. La réception se fait à la distillerie, autour de l’alambic qui représente un objet incontournable. Aux deux tiers, les visiteurs n’en ont jamais vu.
« L.P.V. » – Au sentier du vigneron vous avez ajouté d’autres propositions.
H.C. – Depuis deux ans, nous organisons mon père et moi des balades nocturnes dans le vignoble, que nous appelons « Le vignoble noctambule ». Ces rendez-vous, programmés de juin à septembre, ont lieu toutes les quinzaines, le mardi soir. Ils s’intègrent dans les « Mardis soirs » des Etapes du Cognac. L’impulsion de départ est venue d’amis conteurs qui, à l’occasion des portes ouvertes Pineau, étaient venus se produire dans nos vignes. Nous avons repris l’idée, pour en faire un rendez-vous régulier. Au clair de lune, nous emmenons la petite troupe écouter des histoires un peu magiques, effrayantes ou drôles. J’aime bien l’idée de faire travailler l’imaginaire des gens. Surtout, elle est totalement en phase avec ce que nous essayons de mettre en place ici. Qu’est-ce qui différencie mon Pineau du Pineau acheté 5 km plus loin ? Le souvenir des moments vécus ensemble. C’est, me semble-t-il, le secret, la raison d’être de l’œnotourisme.
« L.P.V. » – N’avez-vous pas ressenti un peu de crainte à vous mettre en avant, à sortir du discours strictement professionnel ?
H.C. – Quand vous débutez l’activité de vente directe, vous vous apercevez assez vite si parler vous plaît ou vous déplaît. Mon père a fait du théâtre et se mettre en scène, c’était un peu son truc. Moi, j’aime bien partager. C’est un peu comme si vous racontiez des histoires à vos enfants, à votre famille, la concentration en plus. Car il faut arriver à capter l’attention de tout le monde. Selon les soirs, le public change. Certains vont chercher à se faire peur, d’autres viennent pour une franche rigolade. On ne le sait jamais à l’avance. Mais après tout, nous ne sommes pas des conteurs professionnels. Tant que nous ne faisons pas payer, nous pouvons nous permettre quelques petites imperfections.
« L.P.V. » – Ces balades sont gratuites ?
H.C. – Oui. Moi, je veux bien pratiquer l’œnotourisme mais je veux surtout vivre de mon produit. Est-ce l’atavisme paysan qui rend la relation à l’argent toujours un peu difficile ! En tout cas, je me suis dit que si je faisais payer l’animation, les gens rechigneraient peut-être à acheter mes produits à l’issue de la dégustation organisée en fin de soirée.
« L.P.V. »- Faites-vous le plein du public ?
H.C. – Il nous est arrivé d’emmener 5 personnes. Et parfois nous sommes 40. En guise d’introduction à ces soirées, nous proposons un casse-croûte paysan organisé par Bernard Chabasse et Dominique Marault, du Chai des Lumas, table et chambre d’hôtes à Jonzac. Nous nous installons sous le cerisier, derrière la maison et, pour 8 €, les gens goûtent aux produits locaux : charcuterie du coin, légumes du marché, tarte à l’angélique. Nous nous apercevons que, pour moitié, les balades nocturnes sont fréquentées par les gens d’ici qui viennent en famille, avec des amis de passage.
« L.P.V. » – Dernière animation en date, les Petits déjeuners du bouilleur de cru.
H.C. – Oui. Nous participions déjà aux « Distilleries en fête » des Etapes du Cognac. Mais nous souhaitions nous démarquer. Comment ? Dans une distillerie, le moment le plus fort concerne sans doute la mise au courant, le moment où la chaudière est rechargée. Cela a lieu deux fois par jour, le matin et le soir. D’où l’idée de proposer des Petits déjeuners du bouilleur de cru. Mon père avait déjà l’habitude de prendre un solide petit déjeuner à base de charcuterie, fromage. Nous l’avons ouvert à d’autres, en limitant le groupe à huit personnes, pour conserver un caractère exclusif à ce rendez-vous. Nous le proposons tous les jours durant la campagne de distillation mais sur réservation, en tentant de regrouper les personnes. Pour le coup, ce serait assez intimidant de se retrouver en tête à tête avec une personne. Selon les années, cette animation marche plus ou moins bien. La première année, nous avons fait une douzaine de Petits déjeuners, l’année suivante seulement quatre-cinq et en 2010 une quinzaine.
« L.P.V. » – Aujourd’hui, que représente pour vous cette activité d’accueil du public ?
H.C. – Dans mon cas, l’activité de vente à la propriété fut un choix, dès le départ. Quand je me suis installé, il y a dix ans, je l’ai fait sans agrandissement, en me disant que je voulais valoriser le produit jusqu’au bout. Comme tout le monde, j’ai d’abord commencé par vendre chez les cavistes, dans les salons et puis, assez vite, j’ai installé un magasin à la propriété. On me disait que les premiers résultats ne se feraient pas sentir avant 3 ans. Ici, ce fut plus rapide. J’ai vite pris conscience qu’il existait sur place un fort potentiel à exploiter. Quand on se déplace, la rentabilité peut s’avérer aléatoire : frais de salon, frais de déplacements… Ici c’est du net, hormis l’investissement en temps. Et je pense qu’il y a encore des possibilités de se développer.
« L.P.V. » – Comment ?
H.C. – Aujourd’hui, me semble-t-il, vendre un produit n’est plus suffisant. Il faut proposer une offre supplémentaire. Cette réflexion-là, je l’ai entamé dès mon adhésion aux Etapes du Cognac. Elle se poursuit, au fil des opportunités. Chemin faisant, j’ai réalisé que le contact, l’échange m’intéressaient. Mais je sais aussi que je ne multiplierai pas les offres à l’infini. Je dois pouvoir garder du temps pour satisfaire mes clients locaux : restaurateurs, cavistes, chambres d’hôtes. Quand un client vient chez nous acheter un Pineau sans même le déguster, je sais qu’il l’a découvert sur une table. La gestion du temps et sa répartition entre les différents « tiroirs » reste notre plus grand souci à nous, vendeurs
directs.
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