Défense du Cognac : l’expertise analytique

28 mars 2009

1030_38.jpegDe la cartographie du Cognac à la veille réglementaire, la connaissance de soi et des autres permet de mieux cerner les limites analytiques, afin que ces limites ne deviennent pas des contraintes. Directeur de la Station viticole du BNIC, Roger Cantagrel évoque le rôle de la Station dans la lutte contre les obstacles non tarifaires.

« Le Paysan Vigneron » – Pouvez-vous nous parler des contraintes analytiques qui s’imposent au Cognac ?

Roger Cantagrel – Le Cognac est exporté dans de très nombreux pays et chaque pays a ses contraintes. Au niveau européen, c’est le règlement 1576-89 qui définit les paramètres réglementaires d’une eau-de-vie de vin, catégorie à laquelle appartient le Cognac. Ces paramètres sont aujourd’hui au nombre de trois : titre alcoométrique supérieur à 40 % vol. – teneur en substances volatiles égale ou supérieure à 125 g/hl AP – teneur en méthanol inférieure à 200 g/hl AP. Ces exigences ne posent aucun problème pour le Cognac. Si le règlement 1576-89 a été enfanté dans la douleur, je crois pouvoir dire qu’il a bien protégé le Cognac. Ensuite, les pays, même tenus par le règlement européen, peuvent émettre des exigences spécifiques. C’est le cas par exemple en Allemagne avec le carbamate d’éthyle.

« L.P.V. » – Quelle limite voyez-vous entre des exigences normales et d’autres qui ne le seraient pas ?

R.C. – Si on les écoutait, certains importateurs exigeraient l’analyse de 50 ou 60 paramètres entre les substances volatiles, les métaux lourds, les résidus phytosanitaires… Le message que nous essayons de faire passer aux négociants est de voir avec leurs acheteurs s’ils ne peuvent pas se référer aux spécifications du règlement européen ou en tout cas aux analyses classiques. Plus généralement, deux composés reviennent souvent dans les demandes. Ce sont le cuivre et les alcools supérieurs. De nombreux pays fixent des limites pour ces deux éléments.

« L.P.V. » – Comment éviter d’avoir trop de cuivre dans un Cognac ?

R.C. – Il appartient aux élaborateurs de s’assurer de la conformité de leur produit avec les limites imposées par le pays d’importation. Ils le font en mettant en place un process, comme par exemple de faire passer le Cognac sur des résines ou encore par la réalisation de leurs assemblages et de leurs coupes.

« L.P.V. » – Et les alcools supérieurs ?

R.C. – Un taux d’alcools supérieurs relativement important est inhérent au Cognac. De par son mode d’élaboration – absence de vrai débourbage comme dans les autres régions viticoles productrices de vin blanc – le Cognac ne peut pas afficher un taux bas d’alcool supérieur. A cet égard, nous essayons de faire valoir notre spécificité pour demander la révision des limites lorsqu’elles apparaissent trop hautes pour le Cognac. Aujourd’hui, un gros dossier nous occupe : celui des alcools supérieurs en Chine. En 1997, nous avions réussi à négocier avec l’administration chinoise la révision d’une législation ancienne, datant des années 70, à une époque où le Cognac n’était pas ou très peu exporté en Chine. Les teneurs maximales en alcools supérieurs indiquées dans la réglementation correspondaient pour nous à des teneurs minimales. De 1994 à 1998, le BNIC s’est employé à convaincre les autorités chinoises de procéder à une modification réglementaire. En contrepartie, nous leur avons apporté une aide au plan juridique pour la mise en place d’un système d’AOC en Chine et, au plan technique, nous avons formé des laboratoires aux méthodes internationales d’analyses des boissons spiritueuses. En tout, nous avons organisé une douzaine de stages pour autant de laboratoires, soit la formation d’environ 150 personnes, sur place mais aussi à Cognac pour quelques ingénieurs et techniciens.

« L.P.V. » – Qu’est-ce qui explique le revirement de position de la Chine en matière d’alcools supérieurs ?

R.C. – Au profit d’un remodelage de son organigramme, le ministère de la Santé a souhaité revenir sur des limites basses pour les alcools supérieurs, sous prétexte de toxicité de ces substances. Or l’on sait bien que pour les boissons spiritueuses, le premier élément toxique, c’est l’alcool. Avant d’arriver à un seuil de toxicité avec les alcools supérieurs, la personne aura ingurgité de grosses quantités d’alcools, à elles seules capables de représenter un danger. Car les alcools supérieurs ne constituent qu’une infime partie de la composition du produit. Ceci étant, la négociation avec les autorités chinoises a monté d’un cran. Un projet de modification de la réglementation a été mis en chantier par le ministère de la Santé. Sont concernés tous les produits fermentés, du vin aux spiritueux importés – Brandies, Whiskies, Cognacs – en passant par les alcools chinois à base de
céréales.

« L.P.V. » – Comment s’organise la résistance ?

R.C. – Aujourd’hui, le dossier est remonté à l’Union européenne. C’est elle qui négocie avec les autorités chinoises pour revenir sur ces limites. Il y a six ans, le BNIC avait eu l’initiative de l’action et avait conduit les discussions de A à Z. Cette fois, l’Union européenne prend le relais car presque tous les pays européens exportent en Chine. Le dossier a plus de chances d’aboutir en impliquant tout le monde.

« L.P.V. » – Que va-t-il se passer ?

R.C. – Les personnes avec qui nous avions discuté il y a sept-huit ans ne sont plus en place aujourd’hui. Des missions vont être organisées là-bas et ici pour renouer le fil. Bien sûr, tant que les pourparlers se poursuivent, c’est la réglementation de 1997 qui s’applique. J’ai bon espoir que ce dossier connaisse un dénouement favorable. Dans le cas contraire, nous aurions affaire à un obstacle non tarifaire redoutable. Le Cognac se verrait alors complètement exclu de la Chine. Cette hypothèse n’est pas envisageable.

« L.P.V. » – Concrètement, pour vendre, de quel certificat d’analyse les opérateurs ont-ils besoin ?

R.C. – Le certificat d’analyse type que nous leur délivrons comporte une quinzaine de paramètres analytiques : titre alcoométrique (brut et réel), acidité totale fixe et volatile, extrait sec, le dosage du méthanol, des substances volatiles autres que l’éthanol et le méthanol, incluant les acides volatiles, de l’acétate d’éthyle, des alcools supérieurs et du furfural. A travers cette analyse, il s’agit non seulement de répondre aux exigences du règlement européen mais aussi certifier que le produit est bien conforme à ce que l’on est en droit d’attendre d’un Cognac. Pour réaliser cette analyse, l’intérêt est bien sûr de se situer le plus près possible de l’expédition, pour éviter toute dérive entre les paramètres constatés par nous et les éventuels contrôles de l’importateur. En cas de divergences, la marchandise pourrait se retrouver bloquée. C’est pourquoi le certificat d’analyse porte en général sur la coupe finale. Ensuite, nous délivrons des duplicatas (copies certifiées conformes) tout au long de l’année, pour accompagner les exportations dans les différents pays. Une analyse revient à environ 100-120 euros. Sachant qu’une coupe peut porter sur des centaines, voire des milliers d’hl AP, son prix est dérisoire par rapport à la valeur de l’échantillon, à peine une à deux bouteilles d’X.O d’un grand négociant. Pour la délivrance des certificats d’analyse, le laboratoire de la Station viticole dispose d’une délégation de la DGCCRF, sur la base d’une accréditation COFRAC. Dans la région, plusieurs autres laboratoires bénéficient de cette accréditation et émettent comme nous des certificats d’analyse. La spécificité de la Station viticole est cependant de traiter des aspects de défense du produit.

« L.P.V. » – Peut-on dire que le Cognac est un produit à risque ?

R.C. – Non, aujourd’hui le Cognac ne rencontre pas de problème particulier. Par contre nous « veillons au grain », en permanence. Cette vigilance s’exprime à la fois par la connaissance du produit Cognac, à travers un travail de cartographie de ses substances et par un examen attentif de l’environnement, fut-il des plus exotiques. Nous regardons par exemple de très près les limites imposées pour des sauces de soja, ces produits rentrant dans la catégorie des produits fermentés, comme les vins et spiritueux. Un amalgame n’est jamais exclu. Mieux vaut se donner des armes pour riposter, en essayant de ne jamais avoir besoin de s’en servir. Un très important travail de veille réglementaire est également effectué en direction des résidus de produits phytosanitaires, l’objectif étant bien sûr d’encourir le risque le plus bas possible. Il faut savoir que les techniques d’analyse s’affinent d’année en année, ce qui se solde par un abaissement constant des seuils de détection. Là où l’on notait une valeur zéro il y a dix ans, une valeur apparaît aujourd’hui. En ce qui concerne les résidus phytosanitaires, la Station viticole a élaboré des stades limites de traitement et publié un tableau de produits « sécurisés » à doses homologuées et dates d’intervention données. C’est vrai que le Cognac n’est pas un produit à haut risque, protégé qu’il est par la double distillation. Mais en matière de sécurité alimentaire s’applique le principe de précaution et l’eau-de-vie est tirée du vin, lui-même soumis à des limites de plus en plus basses en terme de résidus de pesticides. La première liste élaborée par l’OIV (Office international de la vigne et du vin) au sujet des résidus de pesticides fait état de seuils en chute libre. Il est important de bien connaître cet environnement réglementaire pour que demain il ne devienne pas contraignant pour nous.

« L.P.V. » – Quel rôle joue l’OIV dans l’élaboration des réglementations ?

R.C. – En lui-même, l’OIV n’a pas de moyens réglementaires mais constitue un organe de discussion, où chaque produit fait valoir ses spécificités auprès de groupes d’experts. Les négociations à l’OIV ressemblent un peu au parcours du combattant. Elles sont faites de navettes incessantes entre l’Office et les différents pays. Mais une fois que l’OIV s’est mis d’accord sur une limite, cette limite est généralement reprise par les pays membres. C’est pourquoi il ne faut pas se « manquer » lors des discussions à l’OIV.

« L.P.V. » – Au plan technique, la Station viticole a-t-elle les moyens de défendre le produit Cognac ?

R.C. – Cette mission n’a jamais été remise en cause et n’a fait qu’être renforcée au cours des vingt dernières années. Grâce au Conseil régional, la Station viticole a été dotée d’équipements d’analyses supplémentaires, lui permettant d’apporter le maximum de fiabilité dans le contrôle des exigences analytiques.

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