Début 2007, Bernard Peillon arrivait de Champagne, où il présidait aux destinées de Ruinart. Christophe Navarre, président du groupe vins et spiritueux du groupe LVMH, l’avait accueilli en des termes chaleureux à Cognac, lui exprimant toute sa confiance. « C’est un vieux complice. » L’emblématique dirigeant d’Hennessy (1996-2001) lui remettait les clés d’une maison qui avait connu un turnover accéléré : deux P-DG en quatre ans. Le passage de Bernard Peillon allait-il s’avérer aussi fugace ? Le 18 mars dernier, alors qu’il s’exprimait devant les viticulteurs, le président d’Hennessy a glissé « qu’il entamait sa quatrième année à la tête de la maison ». Très investi sur les marchés, il incarne la marque. Lui dont les fonctions l’amènent à beaucoup voyager, comment voit-il l’année 2010 ? Bernard Peillon a choisi l’expression de « confiance raisonnée ». « L’an dernier, à pareille époque, je vous parlais de prudence, de volonté de préparer le rebond mais un rebond dont on ne savait pas très bien à quel moment il surviendrait. Et, en effet, le premier semestre 2009 s’est révélé particulièrement difficile. D’où des décisions de prudence prises dans tous les domaines car l’on ne savait pas si cette crise allait durer au-delà de 12 mois/18 mois. Aujourd’hui, les premiers frémissements de reprises se font sentir mais je n’apprendrais rien à personne en disant que les grandes économies mondiales sont lourdement endettées et cet endettement ne se résorbera pas si facilement. Aux Etats-Unis, on estime qu’il faudra plusieurs années avant que l’emploi retrouve une progression normale. Et l’emploi conditionne en grande partie la consommation. C’est pourquoi je retiens l’expression de « confiance raisonnée », même si Hennessy reste particulièrement ambitieux, pour sa marque et pour sa maison. »
dix ans en 2010
En ouverture de l’assemblée générale de la sica de Bagnolet, le président James Bannier a rappelé que la sica allait fêter cette année ses 10 ans. En 2000, elle avait succédé à la coopérative UVDC. J. Bannier a indiqué que la sica, société à capital variable, comptait 9 administrateurs, 4 viticulteurs, 4 bouilleurs de profession (dont 3 également viticulteurs) et un représentant de la société Hennessy. « La société Hennessy commande à la sica une certaine quantité d’alcool pur et notre but, à nous, est d’honorer cette commande, tant en qualité qu’en quantité. J’espère que ces propos éclaireront ceux qui suivront. » Sur l’exercice clos le 30 septembre 2009, les entrées à la sica de la récolte 2008 portèrent sur un volume de 86 107 hl AP, représentant une valeur de 74,2 millions d’€, en progression de 14 % par rapport à 2007. Les apports se sont répartis de la façon suivante – GC : 6 745 hl AP ; PC : 14 897 hl AP ; B : 5 065 hl AP ; FB : 59 187 hl AP ; Cognac : 213 hl AP. Après les entrées de la récolte 2008, le stock de la sica s’élevait à 202 334 hl AP, pour une valeur de 190,13 millions d’€, hors frais financiers. Comptabilisés à part, ces frais financiers portèrent sur la somme de 9,434 millions d’€. En avril prochain (avril 2010), la sica réalisera une vente à son partenaire commercial, pour un volume de 45 927 hl AP. Par rapport à avril 2009, ces sorties sont en augmentation de 11 962 hl AP soit 35 % de plus. En cinq ans – 2004-2008 – le président de la sica a précisé que les apports à la sica avaient été multipliés par 4,6 (18 735 hl AP à 86 000 hl AP) et que le stock avait progressé de 7,5, passant de 27 335 hl AP à un peu plus de 220 000 hl AP. Alors que les quantités n’avaient cessé d’augmenter, la crise financière de 2008-2009 a interrompu cette tendance à la hausse.
une commande revue à la baisse
En 2009, la « commande » d’Hennessy a été revue à la baisse et il a bien fallu ajuster les volumes. James Bannier a assuré que cet ajustement avait été fait « avec discernement et sur des critères précisés par le maître de chai de la maison, Yann Fillioux » (voir plus loin). Le président de la sica de Bagnolet n’a cependant pas éludé « la grande déception et le sentiment de frustration exprimés par certains, qui avaient toujours respecté les règles de livraisons souhaitées par la maison Hennessy ». « De même, a-t-il dit, on m’interpelle souvent sur l’augmentation du nombre d’adhérents à la sica. Je rappellerai à tous que ce recrutement s’est fait sous la pression concomitante de deux éléments : une QNV trop basse, qui ne permettait pas aux anciens livreurs de répondre aux besoins de la société ; et une forte croissance des sorties de Cognac. A partir de là, que fallait-il faire ? Se replier sur soi et regarder les concurrents se développer ou au contraire s’ouvrir à de nouveaux adhérents ? C’est le choix qui a été fait. » Sur le différé de livraison des eaux-de-vie à la sica intervenu cette campagne, le président s’est dit bien conscient « de la complication engendrée pour certains, notamment au niveau de la trésorerie ». Et de poursuivre : « Nous avions tenu à mettre en place des relais financiers avec nos partenaires banquiers, mais force est de constater que tout ceci n’a pas bien fonctionné. C’est très regrettable. » La sica s’est engagée à ce que l’ensemble des eaux-de-vie soit livré avant fin avril 2010. « Tous les services – réception des eaux-de-vie Hennessy… – y travaillent d’arrache-pied. » « Une telle situation peut-elle se reproduire ? » s’est interrogé le président de la scia. « Je n’ai pas la réponse aujourd’hui mais nous ferons tout pour revenir aux pratiques antérieures, qui semblent plus faciles et plus confortables pour vous. » James Bannier s’est ensuite livré à d’assez longs commentaires sur la qualité (voir encadré).
des prévisions confirmées
A l’issue de l’AG statutaire de la sica où furent renouvelés dans leurs mandats d’administrateurs Yann Fillioux, James Bannier et Guillaume Roy, s’est ouverte l’autre partie de la réunion, réservée aux interventions. Parole a été donnée à Yann Fillioux, maître de chai de la société. Lui aussi est revenu sur le risque que fait courir à la qualité des degrés élevés. « Il faut prévoir de vendanger plus tôt que vous ne le faites en général. » Il a ensuite évoqué rapidement les ventes de Cognac sur l’année mobile. Après l’enregistrement d’une chute à – 11,6 % fin décembre 2009, les expéditions se sont relevées ces derniers mois, laissant espérer un cantonnement de la baisse à – 5 % fin mars. Si tel était le cas, cela vérifierait les prévisions des négociants qui, lors des discussions sur le rendement Cognac 2009, s’étaient positionnés sur le chiffre de – 5 % à fin mars 2010. Comme l’avait invité James Bannier, Yann Fillioux a décliné « les deux facteurs essentiels qui fondent notre politique d’achat : la qualité des eaux-de-vie et la relation de confiance qui existe entre nous ». Il a illustré son propos de deux exemples. « Le premier cas est celui d’un partenaire qui nous fait totalement confiance, livre régulièrement des eaux-de-vie très au-dessus de la moyenne. Le deuxième cas vise un livreur qui nous vend 15 % de sa récolte et dont la qualité des eaux-de-vie se situe nettement au-dessous de la moyenne. Vous comprendrez qu’en période plus difficile, nous réservions notre offre la plus favorable au premier tandis que le second sera davantage soumis aux aléas conjoncturels. » Sur les dossiers plus généraux du rendement Cognac, de la réserve climatique, de la réserve de gestion de marché, Y. Fillioux a émis d’assez longs commentaires. Il s’est notamment attardé sur le projet de réserve de gestion. Après en avoir décrit succinctement son fonctionnement – elle relève d’une décision strictement individuelle ; 1 hl d’AP vient se rajouter au rendement Cognac, la commercialisation se fera à échéance connue, 50 % à partir du compte 4, 50 % à partir du compte 6 – le responsable des achats a dit son adhésion pleine et entière à la réserve de gestion : « La réserve de gestion représente un réel progrès pour les viticulteurs comme pour les acheteurs. » Cette opinion, il l’avait déjà exprimée juste avant la réunion, alors qu’il était sollicité sur le sujet par les journalistes : « Je crois que dans la région, tout le monde pense du bien de la réserve de gestion. C’est le projet de la Fédération des viticulteurs. Ce projet appartient à tous. » Le maître de chai a toutefois noté que « s’il n’était pas mis un terme aux dérives constatées sur la réserve climatique, les différentes administrations ne donneraient pas à la région de Cognac la possibilité de mettre en place la réserve de gestion car, a-t-il dit, celle-ci est bien plus complexe ». Yann Fillioux est revenu sur un sujet qui lui est cher : le rendement Cognac. « Un ha bien conduit peut produire 12 hl AP. Or nous n’en mettons que 9 en distillation. C’est encore 25 % d’un produit coûteux qui est détruit. Ce n’est pas sur de telles bases, avec un pourcentage aussi élevé de destruction, que nous pourrons assurer la compétitivité du Cognac. » Le maître de chai a reformulé une proposition : « que chaque viticulteur puisse adapter ses surfaces de vignes ». Dans la foulée, il a évoqué la libéralisation des droits de plantation. « Il faut bien comprendre que la décision a été prise par Bruxelles. L’Union européenne n’y reviendra pas. Ne reste plus qu’à réfléchir aux propositions qui pourront être faites au sein de notre vignoble. » Passant à un sujet plus léger, il a signalé qu’Hennessy allait lancer en 2010 un prix de l’innovation technique, comme il existe déjà, en interne, un prix de l’innovation. « Ce prix récompensera des innovations en matière viticole, de vinification, de distillation, sur les créneaux de la qualité, de l’environnement, de la sécurité… Je vous encourage vivement à y participer. »
Ce thème de l’innovation non plus technique mais marketing, Bernard Peillon l’a repris. « Nous croyons fondamentalement que l’innovation est l’un des principaux moteurs de notre dynamique commerciale. » Et de citer plusieurs exemples, comme Hennessy Black ou la sortie de produits d’exception en fin d’année. « Hennessy Black, lancé en janvier sur dix Etats américains, rencontre aujourd’hui d’excellents résultats. Depuis mars, nous le distribuons sur la totalité du marché américain, c’est-à-dire sur les cinquante Etats. A 39/40 $ la bouteille, Hennessy Black se positionne 10 $ au-dessus du VS. » Bernard Peillon a également parlé de la « désirabilité » de la marque, à laquelle participe le lancement de quelques produits d’exception, comme Mathusalem by Berluti (voir page 40) ou Paradis Horus. « Le luxe n’est pas mort, pour autant qu’il soit légitime, c’est-à-dire qu’il parle de la qualité. » Il a signalé que la maison investissait de façon massive derrière des campagnes de publicité, pour défendre tous les éléments de la marque. Une nouvelle campagne voit le jour en Irlande où la marque au bras armé détient 90 % de parts de marché. Aux Etats-Unis, le message 2010 joue davantage la proximité avec le consommateur. « Le “paraître” n’est plus vraiment d’actualité. Il a besoin de davantage de chaleur. » « Done Different », « Faites différemment » proclame la campagne de communication Hennessy Black, considérée comme une campagne de rupture, novatrice. Le président d’Hennessy a dit un mot du climat concurrentiel intense qui sévissait sur le créneau des spiritueux. « Le Scotch en Chine mène une féroce bataille mais le Cognac ne perd pas pied. Notre marque en Chine se situe devant le Scotch. Pour vous dépeindre l’activisme des groupes, Diageo, qui possède entre autres Johnny Walker, lancera cet été aux Etats-Unis 27 nouveaux produits. La concurrence est large, très présente et engage des moyens très significatifs pour développer ses affaires. » Cette situation n’altère pas la confiance de B. Peillon. Il se dit toujours aussi admiratif « de la qualité, de la puissance, de la solidité de la maison Hennessy. De ces atouts, dit-il, découle une résilience qui permet de rentrer plus tard dans la crise et d’en sortir plus tôt ». Pour le président-directeur général, la culture de la qualité – « se mettre en position de toujours faire mieux » – représente aujourd’hui le facteur clé pour conquérir des consommateurs qui se forgent une nouvelle idée du luxe. « Pour y parvenir, nous avons besoin de vous. »
Vendanges tardives s’abstenir
« Aujourd’hui, il n’est plus possible d’engager une machine en Gironde avant de vendanger à Cognac. » James Bannier, le président de la sica de Bagnolet, relaie le message de prévention contre les forts degrés. Il a noté avec d’autres le TAV moyen de la région en 2009, de 10,24 % vol. Il incite à un contrôle maturité des parcelles avant vendanges – « vous disposez des outils performants pour le faire » – et en appelle au bon sens. « Il y a un moment où il est trop tard pour vendanger. » Après deux années difficiles – 2007 et 2008 – 2009 a posé moins de problèmes. Néanmoins la campagne fut marquée par un événement climatique majeur (la gelée), quelques incidents liés à l’oïdium. Des phénomènes de surmaturité sont apparus, liés à la faible récolte. Il a fallu trier la vendange et pratiquer des décantations plus sévères. En terme de qualité des eaux-de-vie, le millésime 2009 est correct même s’il s’exprime assez peu. Le président de la sica a insisté sur l’importance de la conduite de la vigne pour obtenir des vins de qualité irréprochable. Il a rappelé que, pour pouvoir prétendre à l’AOC Cognac, les viticulteurs devaient avoir retourné leurs imprimés à l’ADG, la déclaration d’identification à l’AOC Cognac. « Je me suis laissé dire que certains ne l’avaient pas fait. Mettez-vous à jour immédiatement. La sica n’admettra aucun engagement de livraison d’un adhérent qui n’aurait pas satisfait à l’obligation d’identification. » Le président de la Sica a fustigé les viticulteurs qui avaient notoirement exagéré sur les rendements des « vignes débouchés industriels ». « Ce ne sont plus des ha éponges, ce sont des ha poubelles. Ces “olibrius” nous exposent non seulement au regard des autres régions mais pénalisent tout le monde. C’est un marché de dupes. »
Hennessy maintient son leadership
La crise n’a pas remis en cause le leadership d’Hennessy, dont la part de marché se maintient. Plus que jamais, la maison se félicite d’avoir un portefeuille bien réparti entre les trois gammes VS, VSOP et XO.
Sur l’année calendaire 2009, le marché total du Cognac a perdu 1,6 million de caisses. Une chute sévère, traduction d’expéditions en recul de 15 %. Bernard Peillon a indiqué que, durant cette période, les ventes d’Hennessy avaient perdu 12 %, c’est-à-dire moins que la tendance globale. Il a attribué ces baisses à la conjonction de deux phénomènes, d’une part « un phénomène purement technique » de réductions des stocks chez les distributeurs, après des envois d’anticipation effectués par les maisons en 2008 et, d’autre part, une altération de la demande des consommateurs, mais dont l’impact « se limiterait à la moitié des chiffres, en tout cas chez Hennessy ». Dans ce contexte, le président de la société des Quais a noté un maintien voire une légère hausse de la part de marché de sa maison (43 % en 2008, 44 % en 2009). « Les trois autres grandes maisons, en cumul, n’arrivent pas à nous dépasser. » « Sur dix ans, a-t-il poursuivi, la part de marché d’Hennessy a gagné 10 points, passant de 34 % à 44 %. » Surtout, Bernard Peillon s’est félicité de la stratégie récurrente d’Hennessy, qui a toujours consisté à bien répartir la contribution de ses gammes. Il a cité des chiffres : XO 35 %, VSOP 35 %, VS 30 %. « En situation de crise, les consommateurs ont tendance à diminuer en gamme. Partout dans le monde, nos consommateurs sont prudents et renoncent aux qualités les plus chères. C’est pour cela que nous sommes contents d’avoir un portefeuille bien équilibré, qui permet de conserver les consommateurs sur la marque. » En 2008, tandis que les VSOP diminuaient de 20 % et les XO de 27 %, les VS n’ont baissé que de 6 %. En terme de contribution financière, l’Asie arrive en tête des ventes de la maison (49 %), suivie des Etats-Unis (29 %), de l’Europe (13 %) et du Japon (5 %). Si, au niveau régional, les statistiques du 4e trimestre s’avèrent nettement meilleures, B. Peillon a mis en garde contre certaines présentations. « Attention aux pourcentages de hausses cités par les uns et les autres. Ils s’appuient sur une base de comparaison très faible, le 4e trimestre 2008. C’est pour cela qu’il faut rester prudent. »
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