Ré-homologation du cuivre : le législateur met la pression

17 mai 2018

Le cuivre est aujourd’hui la seule molécule homologuée en bio qui présente un niveau d’efficacité suffisant pour garantir une protection acceptable des récoltes contre le mildiou. Pour les viticulteurs conventionnels, il demeure une solution stratégique, peu coûteuse et fiable qui intervient dans la plupart des programmes de traitements. Mais cette molécule étiquetée « bio » dans les esprits n’est pas sans conséquence pour l’environnement. Son inévitable accumulation dans les sols a des effets chroniques de long terme sur la vie microbienne. C’est sur ce constat que les organisations de santé françaises et allemandes ont émis de sérieuses réserves, à la fin de l’année 2017, pour la ré-homologation du cuivre dans les conditions en vigueur en Europe. Si la menace d’une suppression pure et dure est aujourd’hui peu probable, les échanges de l’année à venir entre les scientifiques, les représentants nationaux de la viticulture et la commission européenne seront déterminants pour le devenir de cette solution de protection.

Le mécanisme exact par lequel il agit est encore inconnu et pourtant, le cuivre demeure la solution de référence pour lutter contre presque 50 agents pathogènes en agriculture dont, en premier lieu, la tavelure du pommier, le mildiou de la vigne et celui de la pomme de terre. En viticulture, il est la seule matière active fongicide d’efficacité conséquente homologuée en bio et en l’absence de résistance, il demeure une solution robuste pour la viticulture conventionnelle. Mais sur le long terme son usage n’est malheureusement pas sans conséquences pour l’environnement, et pour limiter des phénomènes d’accumulation irréversibles dans les sols, les apports maximums cumulés ont été limités dans la plupart des États membres de l’Europe. En théorie, le processus de réévaluation du cuivre aurait dû prendre fin le 31 janvier 2018 mais cette décision a fait l’objet de multiples controverses entre les organisations de santé Françaises et Allemandes rapporteurs d’une étude sur le sujet et des représentants de la viticulture. En cause les rapports conjoints de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) et de son homologue allemand UBA remis le 16 janvier 2018 qui faisant état de sérieuses réserves concernant l’écotoxicité de la substance. « Pour être clair et direct, s’il ne s’agissait pas du cuivre la décision aurait probablement été le retrait » explique Sylvie Dulong, la présidente d’Agrobio Gironde. « Ce qui joue encore en sa faveur, ce sont tous ses bénéfices induits pour l’environnement avec en premier plan la dispense de molécules de synthèse. » ajoute-t-elle.

 

Des pratiques hétérogènes en Europe

 

Le cuivre est indispensable à la vie cellulaire mais au delà d’une certaine concentration, il a des effets toxiques irréversibles pour la vie des sols. La mise en évidences des conséquences environnementales pour formulations à base de Cuivre a nécessité de mettre très tôt des réglementations strictes encadrant les apports annuels cumulés pour la protection des cultures. En France, en Italie et en Espagne, le seuil est fixé à 30 kg/ha de cuivre métal cumulés sur 5 ans, soit 6 kg/ha/an en moyenne. « Ce principe de lissage est particulièrement vertueux explique Marc Chovelon chercheur à l’ITAB (Institut technique de l’agriculture biologique), il impose à chaque viticulteur de toujours tendre vers des apports plus faibles en raisonnant chaque intervention selon la pression du moment. La fixation d’une limite maximale annuelle est moins intéressante car elle incite, à l’inverse, les producteurs à s’approcher systématiquement de ce seuil sans prendre de risque. »

La Suisse a également opté pour un dispositif lissé sur 5 ans mais avec un seuil maximum de 4 kg/ha/an. L’Allemagne, quant à elle, limite les apports moyens à 3 kg/ha et par an avec la possibilité de monter à 4 kg/ha/an maximum pour les millésimes à forte pression. Il faut préciser que les viticulteurs bios allemands disposaient jusqu’ici de solutions fongicides classées biostimulants mais interdites chez leurs homologues français. Enfin, certains États membres comme le Danemark ou la Suède, ont depuis longtemps banni l’usage du cuivre pour la protection des cultures afin de protéger leurs sols.

 

Les conclusions sévères des agences de santé

 

La France et l’Allemagne sont les deux rapporteurs désignés par la Commission dans la réévaluation du cuivre et leurs divergences ne sont pas pour servir les viticulteurs européens. Pour la France, l’Anses se dit favorable à une réduction des doses annuelles cumulées de cuivre aux alentours de 4 kg/ha/an. N’ayant pas été saisie sur la question de l’intérêt d’un lissage, elle n’a pas donc émis d’avis sur ce point. L’UBA, son homologue allemand demanderait à passer le seuil communautaire en dessous des 4 kg/ha/an. Face à ces conclusions, les viticultures françaises se sont mobilisées mettant en cause plusieurs conclusions de ces études : ces divergences concernent les méthodes utilisées pour évaluer le risque de contamination des eaux de surface, le risque cutané ou les dangers pour les oiseaux. Mais pour être entendus, les techniciens devront d’abord être écoutés et compte tenu de la dimension politique qu’a prise ce dossier, il est probable que les arguments qui vont prévaloir dans les arbitrages ne pas soient prioritairement les sujets techniques.

 

Quels sont précisément les risques pour la faune ?

 

Naturellement des sols contiennent entre 3 et 100 mg/kg de cuivre total. Mais l’application répétée de fongicides cupriques génère une accumulation du métal irréversible dans les couches superficielles de terre car seule une très faible partie du cuivre apporté se solubilise et ne se fixe pas dans les sols. Pour les parcelles concernées par des applications ininterrompues, ces valeurs peuvent atteindre 200 à 500 mg/kg. Peu d’études s’aventurent à prononcer des seuils critiques sur une concentration limite en cuivre des sols. La seule valeur communément admise en matière d’écotoxicité est celle retenue pour les plans d’épandage de vinasses. En effet, la réglementation relative aux conditions d’épandage des vinasses de distillation fixe (en Charentes, par dérogation à la norme de 100 mg/kg au niveau national) une concentration maximale de 300 mg/kg de cuivre total pour les parcelles concernées. Est-ce un chiffre à retenir pour raisonner sa lutte fongicide ? Les agronomes, ne le pensent pas car la toxicité dépend avant tout de la concentration en cuivre assimilable. Plus il y a de matière organique dans les sols moins la plante sera en mesure d’assimiler le cuivre.

Les concentrations excédentaires de cuivre dans les sols ont des effets phytotoxiques sur la croissance et le développement de la plupart des plantes. Elles se manifestent par des chloroses et une réduction de la biomasse totale. En cas de pollution des sols, les populations microbiennes les plus touchées sont prioritairement les insectes tels que les collemboles. Les effets sur les vers de terre semblent plus controversés mais les scientifiques considèrent que les pollutions cupriques ont des conséquences chroniques de long terme sur la dynamique de reproduction de ces populations.

Chaque fois que la stratégie de protection phytosanitaire repose sur des apports ininterrompus de cuivre, elle conduit lentement mais inéluctablement à une dégradation de la vie des sols jusqu’à atteindre un seuil critique. La seule question qui taraude les viticulteurs, c’est le délai qui reste avant cette échéance. Il devient urgent de mettre au point des solutions efficaces pour se substituer au cuivre car le législateur prendra au fil du temps des mesures pour en restreindre l’usage jusqu’à peut-être, un jour, le supprimer.

 

Les doses pourraient en théorie être abaissées.

 

De nombreuses études menées sur la vigne et d’autres cultures très variées démontrent qu’une réduction de moitié de la quantité de cuivre apportée à chaque traitement permettrait d’atteindre une efficacité identique voire comparable aux doses pratiquées actuellement. Ainsi, selon les multiple études scientifiques compilées par l’INRA, une protection équivalente contre les pathogènes peut être obtenue entre deux programme strictement identiques, à la différence près que le premier est appliqué à 1,5 kg/ha/an et l’autre à 3 kg/ha/an. Il va de soi que de telles réductions de dose induisent une qualité de pulvérisation exemplaire. L’INRA en conclue donc que « une réduction très significative des doses annuelles autorisées ne se traduirait pas en général par une impasse phytosanitaire ou la mise en péril des productions sauf en cas de très forte pression de maladie. »

 

Des résultats confirmés sur des vignes à haut rendements.

 

Les Chambres d’agriculture de Charente et Charente Maritime accompagnent depuis de nombreuses années les producteurs Bios dans leur stratégie de réduction de doses et de recherche de solutions alternatives. Dans un essai conduit en 2017, Jean-Christophe Gérardin, technicien à la chambre d’agriculture de Segonzac, a notamment démontré que les doses efficaces pouvaient, en théorie, être significativement réduites par rapport à la stratégie en place du viticulteur. Ces conclusions sont, une fois de plus porteuses d’espoirs, d’autant que la démonstration concerne, dans ce cas, des vignes à haut rendement.

Mais dans la pratique la question n’est pas aussi simple et les viticulteurs, aussi bios soient-ils, voient une limite à ces conclusions expérimentales. « Nous avons, nous aussi, chaque mois, des emprunts à rembourser et des employés à payer et lorsque nous sommes dans le feu de la saison, nous ne pouvons pas nous permettre de prendre des risques inconsidérés » explique Pascal Rousteau, le président de VitiBio Charentes.

Jean-Christophe Gérardin, confirme que la limite à l’application de doses très réduites se trouve sur les millésimes à forte pression parasitaire. « Si le législateur abaisse la dose annuelle cumulée en dessous de 6kg/ha/an, beaucoup de producteurs bio risquent de se retrouver dans une impasse technique sur les millésimes les plus difficiles. En l’état actuel de nos connaissances, cela pourrait mettre leur modèle en difficulté».

 

 

Qu’en est-il de l’usage du Cuivre en conventionnel ?

Contrairement aux idées reçues, la question de la saturation des sols en cuivre concerne à la fois les viticulteurs bios et les conventionnels : « Les pratiques ont évolué de façon très positive ces derniers temps. Mais il y a encore quelques années, il n’était pas rare de constater que les apports cumulés de cuivre métal des exploitations conventionnelles soient équivalents voire supérieurs à ceux des  bios. » Explique Jean-Christophe Gérardin, technicien à la chambre d’agriculture de Segonzac. Les pratiques de réductions de doses se sont largement généralisées ces 10 dernières années. A titre d’exemple, sur un panel de 20 exploitations dans notre groupe de viticulture raisonnée, la moyenne des apports est aujourd’hui de 1,42 Kg/ha/an.

L’analyse du programme de traitement des 55 parcelles du réseau de maturité de la station viticole confirme cette tendance. Sur les 4 dernières récoltes, la moyenne d’un panel de 5 structures extraites de ce réseau pour une récente étude est de 1,1 kg de cuivre métal/ha et par an. Mais cette valeur cache de fortes disparités selon les millésimes et les exploitations (de 0 à 4 kg/ha/an) ce qui laisse encore transparaitre des marges de progression.

 

 

Consommation effective de cuivre en viticulture Biologique  : L’Alsace se distingue avec des apports extrêmement faibles. (Source INRA)

Moyenne en France

Millésime à forte pression

3 kg Cu/ha/an

Millésimes à pression faible

5 kg Cu/ha/an

Moyenne selon les vignobles sur les années à forte pression (env. 1 an sur 2)

Alsace Bio

1,6 kg Cu/ha/an

Val de loire Bio

5,6 kg Cu/ha/an

Champagne, Midi pyrénnées, Languedoc Roussillon

>6 kg Cu/ha/an

 

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