Rémy Martin V : « La vie en blanc »

31 janvier 2011

Pour tenter de s’immiscer dans la cour des alcools blancs ultra-premium qui donnent le « la » aux Etats-Unis, Rémy Martin a sorti en mini-test outre-Atlantique une eau-de-vie blanche, issue de raisins des Charentes mais qui n’est pas du Cognac. Pourtant la polémique pointe son nez, non pas tant à cause du produit dans la bouteille que de l’utilisation de la marque Rémy Martin. Explications.

v_remy.jpg« Des tests, nous en faisons tous les jours. Celui-ci a retenu notre attention. » Patrick Piana ne cherche pas tant à banaliser l’exercice qu’à lui donner sa « juste dimension », celui d’un ballon d’essai. « Vous savez que plus de mille lancements s’opèrent sur le marché américain chaque année. La bouteille de Rémy Martin V est présente en test dans 60 liquor stores de la ville Atlanta et dans 60 magasins de la baie de San Francisco. Autant dire une goutte d’eau dans la mer, un micro-test à l’échelle des Etats-Unis. » Avec Rémy Martin V, que vise la maison de négoce ? Très clairement, le marché cible est celui des spiritueux blancs ultra-premium. L’objectif consiste à proposer une alternative aux spiritueux blancs sous la forme d’une eau-de-vie de vin. Le jeune directeur général de la maison de Cognac s’est livré à un bref rappel historique. « En 15 ans, les alcools blancs se sont taillé la part du lion aux Etats-Unis. Ils représentent aujourd’hui 8 à 10 millions de caisses, pour des bouteilles vendues entre 30 et 45 dollars. Ed Phillips fut en quelque sorte “l’inventeur” de ce marché avec la vodka Belvedere lancée en 1996. Puis est venue Sidney Franck et sa vodka Grey Goose produite en Charentes (aujourd’hui 3 millions de caisses), les gins Hendricks, Plymouth, la tequila Patron (2 millions de caisses). Pendant ce temps, le Cognac n’a pas démérité ni connu de problème majeur. La maison Hennessy a fait un travail remarquable, qui l’a conduit à vendre 2 millions de caisses de Cognac V.S aux Etats-Unis. Pour autant, doit-on rester sans réagir face à la déferlante alcool blanc ? Structurellement, la consommation des alcools blancs est plus équilibrée entre les hommes et les femmes. Le marché des Vodka, Gin se partage par moitié entre les deux sexes. Il est aussi plus transversal. Quand le marché du Cognac aux Etats-Unis est à 80 % masculin et à 80 % afro-américain, le marché des alcools blancs répond à une autre typologie. Le produit délivre un message de mixabilité lié à l’univers des cocktails. » En test sur une grosse centaine de magasins aux Etats-Unis, Rémy Martin V se positionne d’emblée sur le haut de gamme des spiritueux blancs. La bouteille est proposée au prix équivalent de 34,99 $.

Pourquoi une eau-de-vie blanche issue des Charentes ? Réponse du négociant : « Parce que le terroir de Petite et de Grande Champagne est génétique chez nous. Et si, d’aventure, nous pouvions recruter des consommateurs dans un marché – celui des alcools blancs – où nous ne sommes pas présents, pourquoi se priver d’un débouché supplémentaire ? »

La maison se défend d’avoir de « mauvaises intentions ». « Quand on ne sait pas, on s’inquiète, s’est normal. » « Pourtant, rassure P. Piana, il est difficile d’imaginer produit plus dissemblable au Cognac. » Et de marteler : « Rémy Martin V n’est pas du Cognac, ne peut pas être du Cognac, ne ressemble pas à du Cognac. » D’un point de vue réglementaire, le produit se classe dans la catégorie des eaux-de-vie de vin. Sur l’étiquette, figure bien la dénomination Grappe Distill Spirit, eau-de-vie de vin en anglais. Vincent Géré a levé un coin du voile sur la méthode d’élaboration. « Si la distillation est bien une distillation à double repasse, nous avons joué, entre autres, sur la température de coulage. Puis nous avons sélectionné les eaux-de-vie qui nous plaisaient selon des critères bien précis. Nous les avons assemblées en mettant au point un process qui nous est propre, qui a à voir avec la filtration, pour garder ou enlever de façon assez précise des composés. »

Pourquoi avoir choisi le signe V (qui se prononce vie en anglais) ? « Par réminiscence au terme « eau-de-vie », répond Patrick Piana mais aussi parce que le V incarne le V de la victoire, un signe fort aux Etats-Unis. »

cannibaliser la marque

Le gros point d’achoppement concerne bien sûr l’utilisation de la marque Rémy Martin ainsi que ses signes distinctifs comme le centaure ou la bouteille givrée (bien que celle-ci soit blanche et non noire). Le directeur général de la maison en appelle alors une question quasi « philosophique ». « Est-ce que les consommateurs potentiels d’une marque donnent l’autorisation à la marque de s’affranchir de la catégorie dans laquelle elle travaille ? Dans le cas d’espèce, nous pensons que oui. Regardez Louis Vuitton. C’est une marque de sellerie. Quel chiffre d’affaires génère les malles Louis Vuitton ? » Le directeur général de la maison a tout de même admis que si Rémy Martin V « devait cannibaliser notre cœur de métier aux Etats-Unis – Rémy Martin VSOP – l’expérience s’arrêterait nette. « La maison, a-t-il dit, se déclare totalement “open” sur les résultats du test. C’est promis, elle les décryptera sans a priori. On ne peut jamais présumer d’un test. » Patrick Piana prend aussi la précaution de rappeler que, pendant ce temps, Rémy Martin ne lève pas le pied sur l’activation de la catégorie Cognac. La marque propose aux Etats-Unis de nouvelles formes de consommation (ice, shot…), s’appuie sur des célébrités, travaille à la construction de son image.

détournement de notoriété

Ceci dit, à Cognac, l’exercice n’est pas passé inaperçu. Ce qui gêne aux entournures, ce n’est pas tant le produit dans la bouteille – encore que – que l’utilisation du nom Rémy Martin dans son intégralité ainsi que des signes distinctifs de la marque, comme le centaure ou la bouteille satinée (blanche il est vrai). En jeu, non pas le détournement d’une appellation mais le risque de détournement d’une notoriété associée au Cognac, Rémy Martin. Le danger ? Créer une confusion entre produits. Philippe Boujut, président du Crinao (comité régional de l’INAO), estime l’initiative « gênante pour la région ». « Une tolérance régionale veut que les bouteilles de Cognac ne portent pas la mention AOC sur l’étiquette, dans la mesure où les marques, ayant beaucoup investi sur leur nom, incarnent le Cognac. Quand on demande un Rémy Martin, un Hennessy, un Martell ou un Courvoisier, on s’attend systématiquement à boire un Cognac. Même si le produit Rémy Martin V est bon, il peut potentiellement tromper le consommateur, bien sûr pas des gens initiés mais le consommateur lambda. C’est dangereux pour l’image du Cognac. Je comprends bien qu’il s’agit d’un test, très limité mais c’est tout de même surprenant, surtout venant d’une maison comme Rémy Martin, qui s’est toujours appuyée sur les attributs de l’appellation pour fonder sa différence : les deux crus, la Fine Champagne… C’est surprenant et cela contrevient à l’éthique régionale. » Si, dans cette affaire, la viticulture est la plus remontée et notamment les viticulteurs 100 % Cognac, l’interprofession s’est saisie du problème. Les discussions se poursuivent en interne. Ce que tout le monde redoute particulièrement, ce sont les risques de contagion. Car peu ou prou, toute l’industrie regarde d’un œil intéressé le lancement de nouveaux produits qui pourraient s’avérer de véritable jack pot, quitte à jouer avec la « pureté » des marques. On se souvient entre autres du Whiskey Hennessy, qui avait défrayé la chronique à la fin des années 90. La maison avait assez vite retiré le produit.

Un peu comme cela s’était passé à l’époque, les professionnels veulent « positiver » l’affaire Rémy Martin V. « Voyons-y l’occasion d’ouvrir un débat régional sur les lignes jaunes ou rouges à ne pas franchir, pour nous doter d’une sorte de règle de bonne conduite. »

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