Rémy Martin : Le luxe selon Piana

24 août 2010

La Rédaction

Depuis un an, le jeune directeur général de Rémy Martin, Patrick Piana, met en musique la stratégie de la maison de Cognac, faite de continuité, d’ancrages mais aussi d’accélérations, de rajeunissement et de virage négocié court.

piana.jpgPatrick Piana a fait son entrée dans la maison charentaise le 1er août 2009, soit il y a un an, jour pour jour. Auparavant, il avait « bouclé son conteneur » aux Etats-Unis où il avait passé six ans pour le compte de deux maisons « forts respectables » (dixit P. Piana), LVMH et Pernod-Ricard. Avant cela, après un DEA de stratégie et marketing obtenu à l’université Paris-Deauphine, il avait débuté sa carrière chez Philip Morris avant de la poursuivre chez Moët-Hennessy-Diageo France, en tant que patron du marketing. En un peu moins de vingt ans, cet homme jeune (43 ans), marié et père de famille, s’est forgé une solide expérience dans le management des produits de luxe et de consommation. Au sein de Rémy Martin, ses fonctions de directeur général l’amènent à avoir la haute main sur tous les secteurs de l’entreprise, des ressources humaines au financement en passant par la gestion des marques Rémy Martin et Louis XIII ou le reporting auprès des actionnaires. En ce qui le concerne, l’on pourrait presque parler d’une création de poste puisque personne avant lui n’avait, semble-t-il, cumulé l’ensemble de ces fonctions. « Il s’agit d’une volonté délibérée de Jean-Marie Laborde de confier des responsabilités claires » a confié Patrick Piana, lors d’un petit déjeuner où il a réuni, le
15 juillet, la presse régionale, quotidienne et spécialisée.

abandon du réseau maxxium

J.-M. Laborde, rappelons-le, est le directeur général du groupe Rémy Cointreau. C’est lui qui, avec l’approbation du conseil d’administration, a négocié le virage ultra stratégique de l’abandon du réseau Maxxium pour fonder un réseau commercial propre, complètement dédié aux produits Rémy-Cointreau. Patrick Piana ne le cache pas : « Je n’aurai pas rejoint le groupe s’il ne s’était pas engagé dans la construction d’un réseau. » Explications du même : « Vous ne bâtissez pas une marque de luxe si vous n’en détenez pas la distribution. Car vous pouvez faire la meilleure eau-de-vie du monde, si les hommes et les femmes sur les marchés n’ont pas le sentiment de construire avec vous et pour eux, ils ne travaillent que pour des résultats à court terme et non pour le long terme. Toute marque de luxe qui réussit détient son propre réseau de distribution. » Pourtant le pari n’était pas gagné d’avance. « Les analystes financiers pensaient que le groupe ne s’en relèverait pas. Les mêmes disent aujourd’hui que c’est la meilleure décision qui ai été prise » commente le directeur général de Rémy Martin. Le réseau, mis sur pied en 2009, entame sa seconde année pleine. Il a occasionné, rien moins, que la création de 38 filiales de par le monde, complétées par un certain nombre d’alliances et de joint-ventures. A ce jour, le groupe Rémy-Cointreau emploie environ 2 000 personnes, y compris les salariés du réseau. Sur ce total, les effectifs de la maison Rémy Martin représentent environ 350 personnes.

Dans sa communication, Patrick Piana a évoqué le « rebond » ou encore le « réajustement à la hausse » qu’était en train de vivre Rémy Martin au cours de ce premier semestre 2010. Après une année 2008 « aux résultats nettement moins satisfaisants » – il a parlé d’une baisse en valeur de 15 à 20 % – et une année 2009 « qui malheureusement faisait suite à 2008 », l’année 2010 paraît beaucoup plus porteuse. La maison annonce une reprise de parts de marché en valeur. Ces résultats encourageants, le directeur général les met volontiers au crédit de trois éléments : la création du réseau commercial, « qui a joué comme un facteur d’accélération des marques Rémy Martin et Louis XIII » ; la hausse de prix « courageuse » qui a eu lieu au cours du dernier exercice fiscal (1er avril 2009/31 mars 2010) ; et enfin la capacité d’innovation de l’entreprise.

Prendre le contre-pied du marché… c’est la stratégie qu’a tenté – et réussi – Rémy Martin en faisant passer des hausses de prix dans un marché déprimé. Il fallait oser ! P. Piana parle « d’equity » de la marque ou sa capacité de retour sur investissement. « Je ne voudrais pas paraître arrogant, ce n’est pas le style de la maison. Mais dans un marché secoué, une marque comme la nôtre résiste mieux que d’autres. Car la maison trace sa voie, définit son code. La notion de marque de luxe ne date pas d’hier mais remonte à plusieurs générations. »

L’innovation, chez Rémy Martin, revêt de multiples facettes (séries limitées autour du VSOP, de Cœur de Cognac…). Cependant, avec ses carafes Louis XIII rare cask 43.8 (des chiffres qui font référence au degré alcoolique des eaux-de-vie) vendues 10 000 € pièce, la société s’est singularisée et a marqué des points. « Cette série limitée de 786 carafes issue d’un même “tierçon” incarne véritablement le côté “iconique” de la marque Louis XIII. Son lancement a fonctionné au-delà de nos attentes » résume Patrick Piana. Sur l’allocation totale de 786 carafes, 250 restent encore à livrer aux heureux – et riches – bénéficiaires. Au final, la moitié des clients aura été recrutée sur le marché chinois et l’autre moitié dans le reste du monde. « C’est la première fois que nous sollicitions notre réseau commercial sur ce genre d’événement. Encore en phase d’apprentissage, il a fait preuve de son efficience. Une collection commence. »

Si la marque Rémy Martin reste le socle, l’ancrage de la maison, le directeur général a confirmé l’existence à part entière de la marque Louis XIII, à côté de celle de Rémy Martin. « Une icône aussi forte, aussi puissante que Louis XIII, nous avions envie de la renforcer encore plus. Et puis, l’on ne peut pas demander au consommateur de faire le grand écart entre une bouteille de Rémy Martin vendue 35/40 € et une carafe de Louis XIII qui vaut 2 000 €. » La maison ne transige toujours pas avec son positionnement haut de gamme. « Nos ambitions concernent le VSOP mais bien plus encore le niveau XO et les qualités très supérieures. Nous nous inscrivons réellement sur une stratégie de construction de valeur. » P. Piana cite à cet égard les propos d’André Hériard-Dubreuil « qui avait décrété un beau jour qu’il ne ferait pas la course au VS ». Une analyse validée tous les jours : « Nous n’allons pas nous engager sur un territoire qui n’est pas le nôtre et où réside déjà un joueur dominant. » La zone de concurrence du Cognac Louis XIII, Patrick Piana la voit moins parmi les spiritueux ou les grands vins que parmi les marques de luxe comme les montres ou les « boys toys », qui incarnent à la fois la qualité et des signes de reconnaissance appréciés des hommes, au risque parfois de paraître un peu ostentatoire.

un partenariat avec T.I., rappeur noir-américain

Travailler aujourd’hui pour aujourd’hui mais aussi pour demain…Cette capacité d’anticipation constitue l’alpha et l’omega de toute marque qui a l’ambition de durer. Et une marque comme Rémy Martin dure depuis 286 ans. Mais encore faut-il veiller à recruter en permanence de nouveaux consommateurs. Ce challenge, Patrick Piana l’a pointé du doigt. « Chaque jour, une marque comme la nôtre a besoin d’être rajeunie. Nous devons remettre de l’énergie derrière notre marque. » Aux Etats-Unis, Rémy Martin est leader sur le créneau du VSOP et plus. Sur ce marché stratégique, à la culture cocktail très forte, le VSOP constitue vraiment le cœur de gamme de la marque. Pour dynamiser ses ventes, la maison vient de signer un partenariat avec T.I., un rappeur noir américain d’une trentaine d’années, adepte du Hip Hop et du RnB. C’est une première pour Rémy Martin qui, jusqu’à présent, ne s’était jamais engagé de cette façon avec un artiste. La campagne de publicité dans laquelle va apparaître le rappeur est en train d’être « shootée », tandis qu’une batterie de communications se met en place. « Les choses deviennent intéressantes. » Et comme, chez Rémy, l’on ne se contente pas de « juste un logo sur un maillon », le chanteur, futur ambassadeur de marque, vient de passer plusieurs jours à Cognac avec l’entourage de sa maison de disque, histoire de s’imprégner de la culture locale. Choc culturel assuré entre un trentenaire d’Atlanta et une région dont l’histoire s’est forgée au 18e siècle. Ceci dit, la vie n’est faite que de ces ponts jetés entre deux rives.

Sur ces deux marchés phares – la Chine et les Etats-Unis – la maison de Cognac enregistre de la croissance volumique mais aussi et surtout de la croissance en valeur qui, comme on l’aura compris, constitue sa vraie clé d’appréciation. D’où « l’optimisme raisonné » manifesté par Patrick Piana qui évoque en croisant les doigts un « effet cliquet » – phénomène qui empêche le retour en arrière – plutôt que le « domino négatif » à l’œuvre il y a un an et demi. Il connaît aussi le risque de retournement des marchés. Un rétropédalage en Chine et c’est toute l’économie mondiale, Etats-Unis en tête, qui se retrouve « à la rue ». « Mais dit-il, si l’économie veut bien “sourire”, j’ai totalement confiance dans l’avenir du Cognac. Certes, dans l’univers des spiritueux, le Cognac occupe une toute petite place en volume mais sa qualité et sa complexité en font une opportunité pour des consommateurs qui apprécient ce qu’il y a de mieux. »

Les concurrents du Cognac
Le directeur général de Rémy Martin ne se résout pas à voir dans les autres maisons de Cognac les véritables concurrents de son activité. « Cela relèverait du nombrilisme. Chaque marque fait son boulot le mieux possible et c’est très bien ainsi. Non, la vraie « guerre » se joue avec les autres alcools, Scotch Whisky, alcools blancs ou un peu colorés comme la Tequila. Sur la tranche d’âge des 25-35 ans, nos concurrents les plus redoutables sont les spiritueux positionnés super-premium, les Grey Goose, Cirock, Patron… Ils se vendent chers, disposent d’une image forte et connaissent une croissance élevée auprès d’une frange jeune. Aux Etats-Unis, ils collent à la culture du cocktail, très répandue. A la sortie du bureau, les gens vont boire un ou deux cocktails avant de rentrer chez eux. Aux Etats-Unis, autant la culture du vin n’existe pas, autant il y a une vraie culture du cocktail.
La Chine, « moteur » du Cognac
Si le taux de croissance aux Etats-Unis affleure les 3 – 3,5 %, il est à deux chiffres en Chine (10 % et plus). L’espoir des équipes de Rémy Martin ! Que ce rythme perdure, compte tenu de la « petite forme » persistante de l’Europe. Sur le marché chinois, le VSOP est réellement l’outil de recrutement des consommateurs. Hors domicile, les ventes se partagent entre deux types d’établissements : le Modern on trade (boîtes de nuit, bars, lounges, tous établissements modernes où l’on danse, écoute de la musique) et le traditionnal on trade, plus tourné vers les banquets, réceptions, karaokés. En Chine, Rémy Martin jouit d’une notoriété extrêmement forte. La notoriété spontanée de la marque frise les 95 %. Rémy Martin – « homme, tête, cheval » en idéogrammes chinois – est l’une des rares marques étrangères reconnues comme « notoires » par le gouvernement chinois et, à ce titre, défendue par les autorités. C’est Paul Chin qui dirige depuis un an et demi la filiale de distribution Rémy-Cointreau Chine, basée à Shanghai. Ses équipes sont venues se former une première fois à Cognac. Une seconde session de formation devrait suivre.
Marchés émergents…la seule question, quand ?
La question n’est pas de savoir si les investissements y seront rentables un jour. Ils le seront. La seule question est de savoir quand ? Vietnam et Mexique sont les deux marchés sur lesquels Rémy Martin a décidé de focaliser ses investissements commerciaux les plus immédiats. Au Vietnam, la maison a carrément ouvert une filiale de distribution et y développe à peu près la même stratégie de recrutement qu’en Chine : concept des soirées « Rémy Dance »… Au Mexique, elle s’appuie sur un distributeur fort. Comme beaucoup d’entreprises, Rémy Martin a en ligne de mire l’Inde, malgré des droits de douanes élevés. Récemment elle y a implanté un patron marketing. « Les choses commencent à se mettre en place. » Le Brésil est également perçu par la marque comme un pays « fort et stable, présentant une classe aisée importante ». En somme, tout ce qu’il faut « pour commencer à se poser les bonnes questions. »
Russie : le baril frémit
Les derniers 4-5 mois ont marqué un début de reprise des commandes en Russie. Mais les ventes de Cognac sont loin de leur niveau historique. Cependant, en Russie « les fondamentaux de la marque sont là ». Il suffit d’un peu de liquidités et l’économie russe repart. En décidera le prix du baril de pétrole. S’il revient à 80-90 $, la consommation s’enflamme.
« Un lien charnel, existentie à la marque »
« Un groupe à taille extrêmement humaine » dit de Rémy-Cointreau Patrick Piana. D’où l’attachement « charnel, existentiel » à la marque et tout particulièrement à Rémy Martin. Le directeur général loue « le sens de la transmission » développé par les salariés, « leur savoir-faire assez incroyable » qui les amène à non pas produire mais à « confectionner un produit de luxe » et leur « total intégrité «, notamment du côté de l’équipe eau-de-vie.

 

 

 

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