« Solutions locales pour un désordre global » : de terre en coline

29 juin 2010

De Coline Serreau, cinéaste, l’on connaissait la tendre drôlerie mâtinée d’humanisme (« Trois hommes et un couffin », « Saint-Jacques…la Mecque »), moins l’engagement féministe… et pas du tout la fibre écologiste. Heureuse surprise ! Son dernier film – « Solutions locales pour un désordre local » – sur les écrans début avril, a fait entendre de vrais propos sur la terre, l’agronomie, l’autonomie alimentaire, la santé. Une projection-débat organisée à Cognac le 11 mai a rassemblé pas loin de300 personnes… dont plusieurs paysans.

Les animateurs de Cinemovida, la salle de projection cognaçaise, étaient indécis. Le public allait-il se déplacer sur un tel film ? P’être bien qu’oui, p’être bien qu’non. A toutes fins utiles, l’on vous suggérait de prendre votre billet à l’avance (au tarif de 3 € au lieu de 5,5 €, merci la ville de Cognac), mais sans trop y croire, au cas où… Eh bien oui, le public est venu en masse. La grande salle du cinéma cognaçaise, d’une jauge d’au moins 300 personnes, a joué à guichet fermé. Certes, les « piliers » des AMAP (1), Biocoop, boulangerie bio et autres tenants de la « verte attitude » constituaient le premier cercle. Mais les avaient rejoints randonneurs du dimanche, jardiniers occasionnels, retraités actifs, citoyens lambda… et quelques paysans. Crédible… le film de Coline Serreau l’est assurément. C’est là tout son intérêt et toute sa pertinence. Les militants de la cause écologiste interviewés par Coline Serreau ont tous à leur actif un solide bagage scientifique et/ou des expériences de longue haleine. Claude et Lydia Bourguignon savent de quoi ils parlent quand ils évoquent la mort de certains sols. Dans leur laboratoire du Lams (2), ils auscultent au microscope les sols et constatent bien souvent la fuite de toute vie organique. Trop de fertilisants, trop de pesticides ont eu raison des micro-organismes. Dans de tels sols, la plante ne survie qu’à coup de fertilisants. La terre n’est plus qu’un support inerte. Mais quand la vie est là, ou qu’elle revient, que de grouillement. Les crustacés miniatures le disputent aux lombrics et autres colembolles pour faire de la terre un magma grouillant, où la plante va puiser sa substance, grâce aux myriades de galeries traversées par l’oxygène. En prenant cette terre dans ses mains, Claude Bourguignon la compare à un « couscous ». Fragmentée par le chevelu racinaire, elle s’égrène comme la graine de couscous. A contrario, quand le soleil darde ses rayons sur les profonds labours, la terre luit d’un éclat métallique. La terre s’est transformée en béton. Le microbiologiste exhibe des racines de vignes coudées, qui remontent en l’air au lieu de plonger dans le sous-sol. Dans ces conditions, peut-on encore parler de terroir ? Claude Bourguignon signale que plus aucune chaire de microbiologie des sols agricoles n’existe au monde. Elles ont toutes été fermées. « Aujourd’hui, les 150 ingénieurs agronomes français qui sortent tous les ans de nos écoles n’ont jamais entendu parler de microbiologie des sols. » La parole de Pierre Rabhi (3) impressionne. Pourtant l’homme brille par son apparence infiniment modeste. Mains rugueuses, bonnet sur la tête, qui parierait un sou sur lui ! Et puis il parle et sonne une langue, droite, drue, intense et élégante. Quelle rigueur dans l’expression, quelle maîtrise des concepts. Ouvrier agricole, petit paysan, son engagement écologiste l’a amené à écrire des livres, prendre des positions. C’est devenu un philosophe « in progress », en action. Au Burkina Faso, il aide les paysans africains à régénérer leurs sols. Il ani me une association, Colibris, du nom de cet oiseau dont le battement des ailes, quelque part dans le monde peut, tel le papillon, déclencher un tsunami… Une autre passionaria des sols s’appelle Ana Primavesi (4). Cette vieille dame au visage de pomme reinette, elle aussi affublée d’un bonnet, vit et travail au Brésil, le pays du Mouvement des sans terre (MST). D’ailleurs les paysans engagés dans ce mouvement la consultent souvent dans sa ferme reculée de l’Etat de Sao Paulo. Ingénieur agronome, docteur ès sciences, elle a dévoué sa vie à la défense des sols vivants et à l’autonomie alimentaire. « Respecter les sols et savoir les cultiver correctement est la clé de la prospérité et du bien-être de tous » dit-elle. Et encore : « Les OGM, c’est simplement une adaptation des cultures aux terres mortes. » Avec Kokopelli (5), Dominique Guillet mène un autre combat, celui de la liberté des semences. Les semences OGM, les semences hybrides, « c’est la prise de pouvoir des multinationales sur le monde agraire. Derrière les semences, apparaît tout un package issu de l’agrochimie. » Son association distribue gratuitement des semences potagères partout dans le monde. Vandana Shiva (6), indienne, physicienne, prix Nobel alternatif, milite pour la défense d’une agriculture paysanne et biologique. Son pays, l’Inde, connaît trop de ces suicides de paysans, étranglés par une agriculture devenue dépendante des intrants. Economiste de la décroissance, Serge Latouche (7) pense que la planète ne pourra pas résister indéfiniment au modèle ambiant. « Au rythme où nous consommons aujourd’hui en France, il nous faudrait déjà trois planètes, six à l’échelon américain. En fait, tout ceci n’est possible que grâce à l’Afrique qui ne consomme qu’un dixième de son potentiel. Mais, en 2050, nous aurons besoin de trente planètes. Nous ne saurons pas faire. »

Solutions locales pour désordre global n’est pas un film pessimiste. Il dresse certes un constat inquiétant mais montre aussi que la résistance s’organise partout, grâce au travail des associations mais aussi de la prise de conscience individuelle. Ce qu’a exprimé Pierre Rabhi en parlant « d’un droit mais aussi d’un devoir de la population à se nourrir elle-même ». « Ceux qui sont en ville peuvent parfaitement se solidariser avec ceux qui sont à la campagne, et ainsi faire un pont par-dessus toute la sphère affairiste. L’autonomie, c’est le maître mot aujourd’hui. »

(1) AMAP : Association pour le maintien d’une agriculture paysanne. Le réseau crée une relation directe entre le consommateur qui achète par avance le « panier bio » et un producteur qui le vend à un prix « équitable ».
(2) Lams, laboratoire d’analyse de sols en place.
(3) Pierre Rabhi : il anime l’association « Terre et humanisme » ainsi que le mouvement Colibris (www.colibris-lemouvement.org). Son nouveau livre : « La sobriété heureuse », aux éditions Acte Sud.
(4) Ana Primavesi : co-fondatrice de plusieurs associations (www.ifoam.org).
(5) Kokopelli : Association pour la préservation de la biodiversité des semences (www.kokopelli.asso.fr).
(6) Vandana Shiva : elle a créé Navdanya, association qui œuvre pour la biodiversité (www.vandanashiva.org).
(7) Serge Latouche : économiste, professeur d’université, contributeur historique de la revue « Mauss » (Mouvement antiutilitariste en sciences sociales), auteur de nombreux ouvrages.

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