« Le vivant m’intéresse » : Interview de jean-Luc Lassoudière, agriculteur à Saint-Fraigne

5 juin 2013

Jean-Luc Lassoudière est un agriculteur qui s’est frotté au monde de l’industrie, un adepte du durable qui défend l’agrochimie, un chantre de l’agronomie qui se méfie des agronomes. Le personnage manie l’art du contre-pied ou, plutôt, « raisonne global », ce qui l’amène parfois à mettre en résonance des choses a priori discordantes. Le « prêt à penser » ne passera pas par lui. Après tout, c’est peut-être cela, le « bon sens paysan ».

 

 

p48.jpgLors de la présentation, par Nicole Bonnefoy, du rapport du Sénat sur les pesticides, une de vos expressions avait fait mouche. Vous aviez dit « trop de chimie, pas assez de science ». Qu’entendiez-vous par là ?

Je voulais dire qu’il était parfaitement démagogique de tourner le dos à la science, y compris dans sa composante pharmaco-chimique. Les hommes n’ont jamais vécu aussi vieux. La lutte contre les ravageurs des plantes n’a jamais été aussi efficace. Par contre, c’est par la science et le raisonnement autour du vivant que viendra le juste équilibre. D’où mon regret de voir aujourd’hui les grandes écoles d’agronomie former des chefs de services de l’Administration et non plus des agronomes. Conséquence : les sociétés phytosanitaires ont davantage les coudées franches. Ceci étant, faut-il dénoncer les pesticides comme de véritables poisons ? Avec toute l’amitié que je porte à Nicole Bonnefoy, je trouve que son rapport est une « machine à perdre ».

Une machine à perdre ?

Que pensez-vous qu’il se passera si l’on diabolise, si l’on stigmatise les pesticides ? Croyez-vous que les gens accepteront de perde 20 % de leurs revenus ou davantage en étant empêché de les utiliser ? Non, ça ne se passe pas comme ça. Je suis contre toutes les formes d’intégrisme, l’intégrisme bio comme l’intégrisme du « tout traitement ». Ce n’est que par l’interaction avec l’économique et le social que le durable pourra se développer. Bien sûr qu’il faut réduire les doses, bien sûr qu’il faut se protéger mais je crois profondément que le bio conduit à une impasse technique. Ou alors il faut vendre en circuit court, habiter l’Hérault, sans cicadelle ni flavescence dorée et là, oui, on peut améliorer le fonctionnement du sol. Mais, sinon, c’est mission impossible. Le bio n’est pas la réponse adaptée. Il va à l’encontre du « bon sens paysan ». D’ailleurs, il est symptomatique de constater que les conversions bio marquent le pas, de plus en plus.

Vous préconisez quoi ?

Je vais prendre l’exemple des antibiotiques. Quand vous utilisez trop d’antibiotiques, vous diminuez vos défenses immunitaires. Vous êtes dans « l’anti » et non dans le « pro ». Avec les plantes, c’est pareil. Soyons économes des produits phytosanitaires mais sachons les utiliser à bon escient, les garder en recours. Sur l’exploitation, voilà quatre ans que nous avons arrêté de désherber sur vigne. Nous connaissions, comme tout le monde, des problèmes d’inversion de flore, de lierre, de géranium, de garance. La flore est redevenue normale. Par contre, si un souci se présente, un coup de Roundup à un dixième de dose et c’est réglé.

Sur votre exploitation, comment raisonnez-vous vos pratiques ?

Le GAEC est ferme de référence des coopératives. Depuis plus de dix ans, sur les céréales, nous cultivons essentiellement avec le covercrop, en pratiquant le meulching et le faux semis. En vigne, comme déjà dit, voilà quatre ans que nous avons stoppé le désherbage. Nous travaillons le sol. C’est possible dans nos terres de groies où les sols porteurs permettent d’intervenir, quelle que soit la pluviométrie. L’autre corde à notre arc est notre petit atelier de « R & D ». Le gros souci avec le travail sous le rang, c’est de « ramasser » un pied. Dans l’atelier, nous sommes capables d’adapter un outil, installer une cellule de plus, un palpeur… En terme de protection phytosanitaire, nous essayons de tendre vers l’objectif Ecophyto 2018, c’est-à-dire la diminution de 50 % des intrants. En raisonnant les traitements, nous arrivons, d’une année sur l’autre, à réduire les doses de 20 %. S’ajoute à cela un pulvérisateur équipé de super panneaux récupérateurs, qui permettent d’économiser jusqu’à 30-35 % de la pulvé. Ainsi sommes-nous à 50 % de moins sans avoir pris aucun risque en matière de protection fongicide.

Et votre rendement ?

En général, nous sommes à 20 % au-dessus de la moyenne. Cette année, nous avons récolté 10,2 hl AP/ha.

Vous évoquiez l’atelier de « Recherche & Développement ». Vous n’avez pas toujours été agriculteur. Vous aviez choisi au départ de suivre des études non agricoles.

Effectivement, ce fut un choix délibéré. Quand il a fallu s’orienter, j’ai voulu aller voir ailleurs, découvrir le monde de l’entreprise. Je me disais que le monde paysan était un peu replié sur lui-même, avec une seule religion, un seul syndicat… J’ai suivi des études d’automaticien, autrement dit d’électronique industrielle. Dès la fin de ma formation, j’ai été embauché chez Bouygues comme chef d’une centrale d’enrobé, pour la construction des routes. Et puis, comme vos attaches paysannes vous rattrapent toujours, je fus chargé de superviser des remembrements communaux en Bretagne, là où passaient les routes. J’ai bossé ainsi 8 ans, entre les gros moteurs des « finishers » et les landes des monts d’Arrée. J’allais devenir cadre et je voyais les contraintes administratives m’engloutir. Cela et un léger différent avec ma hiérarchie – pour une broutille sur laquelle je n’entendais pas céder – m’ont décidé à revenir sur le GAEC fondé par mon père et mon frère en 1981. Mon épouse, sage-femme au conseil général d’Ille-et-Vilaine, a demandé son changement. Cela s’est fait très vite.

A Saint-Fraigne, vous trouvez une exploitation céréalière mais aussi viticole.

C’est vrai qu’aujourd’hui le GAEC est la seule exploitation à cultiver des vignes sur la commune de Saint-Fraigne, alors que nous sommes en Fins Bois. Pourtant Aigre et ses alentours ont partie liée avec la vigne, depuis très longtemps. Le lieu-dit, juste à côté, s’appelle Soulvigné, sous les vignes. La route royale des postes de Louis XIV – la première nationale 10 vers Paris – passait par Aigre, à quelques kilomètres d’ici. Très tôt, un vignoble s’implanta autour de cette voie de communication. Par ailleurs, Aigre se situait aux confluents de trois provinces, l’Angoumois, la Saintonge et le Poitou. Sous l’Ancien Régime, cela permettait quelques arrangements avec les droits sur les
alcools. Des négociants de Cognac s’implantèrent à Aigre, dont la famille Hériard-Dubreuil. Mais le phylloxera aura raison des vignes dans cette région, d’autant que, pour la vente du Cognac, les voies maritimes de La Rochelle et surtout de Tonnay-Charente supplantèrent la voie terrestre. Ma famille, qui possédait des vignes, les arracha. Mon grand-père partit travailler chez Frapin, à la propriété des Gabloteaux, à Juillac-le-Coq. Mon père fut élevé dans les rangs de vignes. Quand il reprit l’exploitation familiale, il s’en souvint. Il profita des droits de plantations des années 60 pour recréer un vignoble.

Vous vinifiez et distillez sur place ?

Je vendange et vinifie en Cuma (la Cuma des Fins Bois à Aigre). Le chai de vinification est un chai de céréalier. Il faut que ça aille vite et que ça ne coûte pas cher. Par contre je distille – avec lies – de manière très classique. Cette fois, ce n’est pas une distillation de céréalier mais bien une distillation de champagnou. Mon père ne distillait pas. J’ai beaucoup appris avec mes collègues de l’association des bouilleurs de cru. Celui qui m’a apporté « un maximum » fut Alain Ranson, de Verrières. Il savait mettre des mots sur les choses.

Pour revenir au « vivant », qu’est-ce qui vous motive ?

J’ai toujours une oreille de tendue vers ce qui me permet d’aborder le « fonctionnement global ». Et, bien sûr, le fonctionnement du sol m’intéresse au plus haut point. L’an dernier, un enseignant chercheur de l’université de Rennes, Daniel Cluzeau, spécialiste des lombrics et de la vie biologique des sols, est intervenu à Segonzac, lors d’une réunion organisée par Laurent Duquesne, de la Chambre 16. Ce qu’il a dit infirme en partie le rapport parlementaire sur les pesticides. Les produits phytosanitaires ne tuent pas l’activité du sol. Le sol est vivant, il est indestructible. Il suffit juste de restimuler sa vie biologique quand elle s’est ralentie. La bioélectronique, que j’ai découvert récemment, est une autre manière d’approcher le vivant. Elle a été conçue par un hydrologue, Louis-Claude Vincent. Il est très stimulant de constater que toutes ces recherches rentrent en résonance les unes avec les autres. Mais ce qui m’interpelle le plus, c’est de comprendre combien le secteur économique, le secteur social et le secteur durable sont indissociables. L’un ne fonctionne pas sans l’autre. Dans ma vie de paysan, de syndicaliste agricole et de militant associatif, je le vis au quotidien.

Engagements militants
L’engagement militant remonte loin chez J.-L. Lassoudière. Déjà, durant sa période bretonne, il était visiteur de prison, au Centre des femmes de Rennes. A son retour en Charente, un épisode va décider d’un autre engagement. Il inscrit ses enfants à l’école en même temps qu’une mère tzigane. Il rencontre nettement moins de difficultés qu’elle. Il tente de comprendre et fonde d’abord, avec quelques autres, l’association Aigre douce qui cherche à faciliter l’accès des gens du voyage à la scolarité. Plus tard, cette initiative débouchera, avec le concours du conseil général, sur l’association d’accompagnement des gens du voyage, une structure d’aide à l’ancrage des gens du voyage dans le territoire du nord-Charente (pays du Ruffecois et de Charente-Limousine). Jean-Luc Lassoudière préside aujourd’hui cette structure. « C’est peut-être le mandat auquel je tiens le plus » fait-il remarquer. Son implication viticole date d’à peu près la même époque. Il rejoint à la fin des années 90 l’association des bouilleurs de cru créée par Pascal Millasseau et Eric Gauche. Ce sera la grande époque des portes ouvertes des distilleries des bouilleurs de cru. « Le Cognac est un produit de culture, doté d’une histoire incroyable. Il a besoin d’une telle plongée dans ses racines. » C’est peu dire qu’il déplore la dissolution de l’association des bouilleurs de cru, actée ces jours-ci. « Les temps de crise sont propices à l’action. Aujourd’hui la bonne santé du Cognac annihile ce type de comportements mais sans doute rejailliront-ils plus tard. » Adhérent du syndicat viticole UGVC (et avant du SGV), J.-L. Lassoudière est membre de la commission communication du BNIC. Depuis les dernières élections à la Chambre d’agriculture, il occupe le poste de secrétaire général de la FDSEA 16, syndicat présidé par Patrick Soury.

Bio
Voilà 25 ans que Jean-Luc Lassoudière a rejoint le GAEC du Champ du frêne, à Saint Fraigne, créé par son père et son frère en 1981. Depuis, le sociétariat a évolué. Le GAEC compte aujourd’hui quatre associés, dont la famille Montez, Dominique et Françoise ainsi que quatre salariés. L’entreprise exploite 210 ha de SAU : 30 ha de cultures potagères semences porte-graines (betteraves rouges, oignons, panets), 40 à 50 ha de maïs irrigué, 80 à 100 ha de cultures sèches et 25 ha de vignes. Un rucher de 100 ruches complète le tableau (abeilles importantes pour la pollinisation des cultures spécialisées). A côté de cette activité agricole, est venu se greffer en 2007 une activité d’installateur de centrales photovoltaïques de 36 KW et plus, uniquement tournée vers les agriculteurs (pas les particuliers) : LM solaire entreprise, LM soleil exploitation. « Nous sommes n° 3 dans le département » note J.L Lassoudière. Déjà vendeur direct « d’un Cognac de ferme », le GAEC développe un nouveau projet : installer une marque de Cognac haut de gamme, pour tenter sa chance à l’international. Une nouvelle société est en cours de constitution, avec de nouveaux associés. Marié, père de quatre enfants, Jean-Luc Lassoudière a 56 ans.

 

 

 

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