A l’ère du fax et du courrier électronique, les nouvelles circulent vite. En moins d’une journée, fin juillet, la région délimitée Cognac bruissait de la rumeur d’une demande de participation financière pour l’enlèvement des prestations viniques et le Syndicat des vignerons communiquait son mot d’ordre : « Ne vous précipitez pas, attendez avant de répondre. » De là à penser que les Charentes partent en résistance ! En tout cas, le message adressé par le groupe Douence n’est pas passé « comme une lettre à la poste ». Il soulève des initiatives de contre-feu de la part de la profession.
retour d’expérience
A vrai dire, l’avatar charentais du retrait tarifé des prestations viniques n’est pas une première en France. L’an dernier, trois régions au moins ont reçu un tel marché en main : la Champagne, l’Alsace et la Bourgogne. Les Champenois ont obtempéré sans barguigner, les Alsaciens ont louvoyé tandis que les Bourguignons, eux, défendaient bec et ongles la gratuité et, finalement, obtenaient gain de cause. Retour sur les faits. La Bourgogne viticole et ses cinq grands vignobles – Chablis-Auxerrois, Côte de Nuits, Côte de Beaune, Côte Chalonnaise, Mâconnais – s’étendent sur 28 000 ha et trois départements, l’Yonne, la Côte-d’Or et la Saône-et-Loire. Traditionnellement, deux distilleries prennent en charge le traitement des sous-produits de la vinification, Bourgogne Alcool, à côté de Mâcon, et la distillerie Champion, près de Beaune. Lors des vendanges 2008, le coup part de Bourgogne Alcool. L’entreprise envoie un courrier comminatoire à ses livreurs, les informant qu’ils devront payer telle somme pour l’enlèvement de leurs marcs et lies. La distillerie Champion lui emboîte le pas. Mais les vignerons bourguignons ne l’entendent pas de cette oreille. Ils estiment que ce n’est pas à eux de payer pour l’approvisionnement en matière première des distilleries. Ils organisent la résistance. « Tout le monde s’est mobilisé, les coopératives, les VIF, le syndicalisme viticole, les syndicats généralistes » relate Séverin Barioz, directeur de la CAVB, la Confédération des appellations des vins de Bourgogne. « A un moment, les négociations furent très crispées » note-t-il. Finalement, la solution viendra des coopératives, une dizaine en Bourgogne, qui drainent 15 à 20 % de la production. Elles passent un accord de livraison avec l’Union des distilleries de la Méditerranée, une structure qui, en terme volumique, dispose d’une marge de manœuvre. Craignant de voir baisser dangereusement son activité – de l’ordre de 50 000 tonnes de marcs – Bourgogne Alcool revient alors à la gratuité, pour ne pas perdre le marché. Fin heureuse de l’épisode. Cette année, les deux distilleries – entre-temps rachetées l’une par Cristal Union (Bourgogne Alcool) et l’autre par l’Union des distilleries de la Méditerranée (Champion) – ont confirmé la gratuité du retrait des prestations viniques, tout en développant en interne un certain nombre de produits dérivés, afin d’améliorer leurs comptes d’exploitation.
En Charentes, la piste de la distillerie providentielle ne fonctionne pas. L’outil industriel de l’UCVA tourne à plein régime et ne lui permet donc pas d’accueillir de nouveaux adhérents. La Fédération des interprofessions, BNIC en tête, appuyée par les syndicats viticoles, a alors soumis au ministère de l’Agriculture l’idée du retrait sous contrôle des prestations viniques. La réunion de fin septembre à Paris, avec les protagonistes de l’affaire, sera sans doute l’occasion d’étudier cette éventualité. Ceci dit, la procédure de retrait sous contrôle répond à un cadre juridique précis, que Bernard Douence n’a pas manqué d’évoquer, en avançant ses propres arguments. « L’obligation de livrer les prestations viniques en distillerie s’impose à tous sauf dans deux situations bien particulières : par manque de distilleries capables de traiter les produits, ce qui n’est pas le cas ; ou si le traitement des produits n’est économiquement pas viable. Or, à 5 € la tonne, je considère qu’il est viable car sinon je fermerai la distillerie. »
Si, malgré tout, la possibilité d’exercer un retrait sous contrôle était autorisée, il conviendrait alors de trouver le meilleur moyen technique de l’exercer. Car, en plus de receler un coût, l’élimination des sous-produits de la vinification n’est pas neutre en matière environnementale. Des pistes sont avancées, comme le compostage des marcs ou l’épandage direct. A la Station viticole du BNIC, la question n’a pas vraiment été étudiée pour le moment. Cependant Bernard Gally, responsable du pôle œnologie-environnemental a quelques idées générales sur le sujet. « Le compostage des marcs réclame pas mal d’infrastructures car il faut des espaces clos, pour éviter que les jus, le lixiviat*, s’infiltrent dans le sol. A défaut, ce lixiviat risquerait de produire des désordres environnementaux. L’épandage direct des marcs dans le sol est certainement plus facile à réaliser. Toutefois, il faut avoir la possibilité d’épandre très peu de temps après le pressurage, sans entreposage intermédiaire et donc sur les parcelles proches. La valeur d’amendement des marcs paraît intéressante. Le retour au sol de la matière organique favorise le renouvellement de l’humus. Clairement, cela va dans le bon sens. »
Entre coût, risques et opportunités, la question du traitement des prestations viniques n’est pas un dossier simple. Elle mérite d’y regarder à deux fois. D’où la recommandation des syndicats d’attendre au moins la réponse du ministère avant de prendre une décision.
* Littéralement parlant, le lixiviat ou percolat est le liquide résiduel qui provient de la percolation de l’eau à travers un matériau. Le terme désigne tous les « jus » qui se chargent de matière organique.
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