La défense de l’appellation Cognac s’inscrit dans les statuts de l’interprofession. Au BNIC, Lionel Lalagüe est responsable de la protection de l’AOC. Son service, également en charge de l’accès au marché et de l’étiquetage, se compose de six personnes dont deux juristes.
« Le Paysan Vigneron » – Quelle est votre mission au BNIC ?
Lionel Lalagüe – Nous nous attachons à défendre le produit contre les usurpations, les contrefaçons mais aussi à protéger le nom Cognac. Nous procédons par actions non contentieuses, actions contentieuses, et aussi par des procédures d’enregistrement de l’indication géographique dans certains pays, directement ou par l’intermédiaire d’accords négociés par l’Europe.
« L.P.V. » – En quoi consistent les actions contentieuses ?
L.L. – Actuellement, nous avons 16 actions contentieuses en cours, devant les juridictions administratives ou judiciaires. Les actions judiciaires visent les cas d’usurpation ou de contrefaçon de l’AOC. L’action administrative concerne notamment les dépôts de marques qui usurpent l’appellation Cognac. Cognac est AOC et donc une indication géographique. A ce titre, elle bénéficie d’un droit de propriété intellectuelle qui protège à la fois le produit et le nom.
« L.P.V. » – Sur quelle base juridique vous appuyez-vous ?
L.L. – En fait, nous utilisons tous les moyens légaux à notre disposition. Quand il existe un accord bilatéral entre la France et le pays en question, nous utilisons l’accord bilatéral. Quand le pays est membre de l’OMC (150 pays y adhèrent), nous nous appuyons sur les accords ADPIC (1) pour la protection des indications géographiques. Quand le pays est membre de l’arrangement de Lisbonne (2), nous nous adossons à l’arrangement de Lisbonne. Quand le pays est membre de l’Union européenne, la situation est plus confortable. Le droit communautaire est le droit le plus protecteur au monde, avec le droit français bien sûr.
« L.P.V. » – Et quand un pays n’est rien de tout ça, c’est le vide juridique ?
L.L. – Pas forcément. Il est toujours possible d’activer différents éléments du droit national comme le droit de la concurrence (au titre de la concurrence déloyale), le droit de la consommation, le droit des marques, voire le droit des IG (indications géographiques) même s’il est très rare que la notion d’indication géographique existe dans un tel contexte.
« L.P.V. » – Qu’entendez-vous par dossiers non contentieux ?
L.L. – Ce sont des dossiers où nous essayons de traiter à l’amiable avec les contrevenants, afin d’ éviter d’aller devant le juge. Nous parlons aussi de dossiers en phase pré-contentieuse. A ce jour, nous avons 46 dossiers de ce type. Soit la négociation se fait directement par nos soins soit elle passe par un cabinet d’avocats. De par le monde, le BNIC est en relation avec une quarantaine de cabinets d’avocats. L’idée consiste à obtenir la cessation de l’usage abusif du mot Cognac ou le retrait volontaire de la marque usurpant l’AOC.
« L.P.V. » – Parvenez-vous à vos fins ?
L.L. – Dans la grande majorité des cas, les dossiers se résolvent avant d’atteindre le stade contentieux. Plusieurs raisons à cela. Les usurpateurs ne sont pas toujours de mauvaise foi. Des gens peuvent commettre des erreurs. Si c’est ainsi, le dénouement s’avérera souvent très rapide. Des personnes se rendent compte qu’elles vont être attaquées par une interprofession, en l’occurrence le BNIC. Elles ont tendance à reculer assez vite. Mais, surtout, ce sont les coûts qui effraient. Dans certains pays, les budgets liés aux procès peuvent atteindre des montants astronomiques, et pour celui qui a fraudé et pour le titulaire du droit. En général, cela incite à tout faire pour ne pas aller devant les tribunaux.
« L.P.V. » – Si l’usurpation porte sur le nom Cognac plus autre chose – le nom d’une marque par exemple – peut-on imaginer une action conjointe, conduite par l’interprofession et par la marque ?
L.L. – Bien sûr. Cela permet de bénéficier de plusieurs fondements juridiques. Ceci dit, si le droit local n’autorise pas d’action commune, il est possible de mener deux actions disjointes, chacun de son côté. Par contre, c’est une constante ! Plus nous sommes nombreux et plus les noms sont connus, plus nous avons de chance de faire reculer l’adversaire. Dans tout dossier contentieux ou non contentieux, l’important c’est « d’impressionner l’adversaire », l’amener à perdre du terrain, le plus rapidement possible.
« L.P.V. » – Aujourd’hui, pour protéger une appellation au plan international, n’existe-t-il que la procédure de l’enregistrement ?
L.L. – Non. Le droit national d’un pays peut accorder la protection à l’AOC sur le fondement du caractère « notoire » du nom (dénomination très connue). Il y a ainsi eu, par le passé, des accords, des échanges de lettres pour la protection des AOC avec des pays particuliers. C’est le cas d’un vieil accord existant entre la France et les Etats-Unis. Au terme d’un « échange de lettres » intervenu dans les années 1970-1971, la France s’est engagée à défendre le Bourbon et le Bourbon Whiskey, en contrepartie d’une protection, par les Etats-Unis, du Cognac, du Calvados et de l’Armagnac. Aujourd’hui, cet accord ne serait plus possible. Seule, l’Union européenne est compétente pour sceller de tels accords.
« L.P.V. » – Mais n’y a-t-il que l’Europe qui puisse pratiquer l’enregistrement des IG dans les pays tiers ?
L.L. – Absolument pas. Une interprofession ou un syndicat peuvent très bien, à titre individuel, enregistrer leur IG dans un pays. C’est ce qu’a fait le BNIC en décembre 2009 avec l’enregistrement de l’appellation Cognac en Chine. La procédure fut déclenchée par le Bureau national du Cognac et c’est le BNIC qui a déposé le dossier, en son nom propre. Ceci n’empêche pas que ce dépôt fut fait en totale transparence et avec l’aide précieuse de l’Union européenne, la France, l’INAO. De la même façon, nous venons de déposer notre dossier d’enregistrement de l’appellation en Inde. La démarche suit son cours.
« L.P.V. » – En la matière, d’où tirez-vous votre mandat ?
L.L. – De nos statuts, tout simplement, qui nous font l’obligation de protéger l’AOC, par tous les moyens de droit. C’est sur ce critère-là que les membres de l’interprofession, viticulteurs et négociants, nous demandent d’intervenir.
« L.P.V. » – Entre enregistrements négociés par l’Europe et enregistrements individuels, par vos propres soins, comment arbitrez-vous ?
L.L. – Les accords, multilatéraux ou bilatéraux, sont évidemment les plus simples pour nous. De surcroît, ils présentent l’avantage d’être gratuits ou d’engendrer des frais réduits. Il va sans dire que nous soutenons toutes les négociations de l’Union européenne. Nous veillons tout particulièrement à ce que le Cognac figure bien dans la liste des IG déposée à l’enregistrement, surtout en présence de « short list ». Restent que ces accords sont souvent longs à négocier, tant les « marchandages » sont monnaie courante. Après avoir été conclus, ils doivent encore être signés puis ratifiés par le Parlement européen et par les Parlements nationaux. Au bas mot, les délais courent sur 5-6 ans. Partir en solo permet d’obtenir un enregistrement beaucoup plus rapide, au bout d’un an et demi-deux ans maximum. Mais il n’est pas possible de s’enregistrer seul dans tous les pays.
« L.P.V. » – L’enregistrement est une chose, la défense de l’AOC une autre. A qui revient l’initiative de la protection : au titulaire du droit, au pays qui a enregistré l’AOC ?
L.L. – En fait, deux cas de figure se présentent : soit le pays a un régime de protection « ex officio », soit il ne l’a pas. Le régime « ex officio » s’applique en France. Cela signifie que si une administration comme la DGCCRF détecte une fraude dans l’utilisation d’une AOC, elle peut saisir, de son propre ressort, le juge. Elle pourra aussi le faire à la demande du titulaire du droit. Dans les pays où ce régime de protection « ex officio » n’existe pas, la seule alternative, pour le titulaire du droit, est de saisir lui-même le juge. Il faut bien admettre que le régime « ex officio » fait figure de rareté parmi les pays tiers.
« L.P.V. » – En matière d’IG, dans quelles conditions les juges appliquent-ils le droit ?
L.L. – Je n’ai pas d’exemple où un juge ait refusé d’appliquer le droit. Maintenant, la mise en œuvre pourra être différente d’un pays à l’autre. Selon les circonstances, ce sera plus ou moins compliqué, plus ou moins long, plus ou moins onéreux. Ce n’est ni blanc ni noir mais plutôt gris.
« L.P.V. » – Aujourd’hui, quels sont les pays où le nom Cognac n’est pas protégé, où il est encore considéré comme un nom générique ?
L.L. – Très sincèrement, ces pays se réduisent comme peau de chagrin. Subsistent l’Argentine, la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, l’Arménie, le Kazakhstan ainsi que quelques autres républiques de l’ancienne Union soviétique. Des négociations existent avec la Géorgie et la Moldavie. Exporté dans plus de 180 pays, le Cognac a su, au fil du temps, tisser sa toile, sécuriser son environnement commercial. Un « pré carré » qui revêt les dimensions de la planète.
(1) Accords ADPIC : accord multilatéral adopté sous l’agide de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), il a trait au droit de propriété intellectuelle. Il couvre les droits d’auteur, les marques de fabrique et de commerce, les dessins, modèles mais aussi les indications géographiques dont les AOC.
(2) Arrangement de Lisbonne : en vigueur depuis 1966, il rassemble 26 Etats signataires. Son objet : la protection des AOC.
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