Sous l’empire de l’ancienne OCM, les distilleries agréées recevaient une aide de l’Europe pour le traitement des prestations viniques (distillation de l’article 27). Mais surtout cette aide était déconnectée du marché, l’Europe assumant seule les risques de commercialisation de l’alcool- carburant à l’international. Les distilleries agréées ne connaissaient que deux prix : le prix d’achat aux producteurs, et le prix de revente à l’intervention, tous les deux fixés par l’UE. La différence des deux constituait leur marge de fonctionnement. Changement de décor à partir du 1er août 2008. Pour couvrir les frais de collecte et de transformation, les distilleries agréées disposent de deux sources de revenus : l’aide de 110 € par hl AP versée par l’Etat français mais dont le montant est strictement encadré par l’UE ; et l’argent retiré de la vente de l’alcool-carburant, puisque, dorénavant, les distilleries ont l’obligation de se porter elles-mêmes sur le marché de l’alcool. L’an dernier, le modèle économique fonctionnait. Mais aujourd’hui, la situation s’est dégradée. L’alcool-carburant a vu son prix d’achat chuter de 25 à 30 %. De 40 € l’hl AP il a rétrogradé à 28 € l’hl AP. Le comble, c’est que la faute en incomberait à la Commission Européenne qui aurait accepté de faire rentrer sans taxe de l’alcool-carburant d’origine brésilienne. Si l’on y ajoute un marché des pulpes de raisin en petite forme, du fait de la concurrence exercée par les engrais verts (source gratuite autant qu’inépuisable), un marché de l’huile de pépin de raisin atone et des prix du tartrate de chaux durement affectés par l’effondrement du marché de la construction (environ 30 % du tartrate de chaux d’origine vinicole entrent dans la fabrication du plâtre), on aura l’explication des difficultés rencontrées par le secteur des distilleries vinicoles pour boucler ses fins de mois.
participer aux frais
Dans la région, le groupe Douence a commencé à en tirer les conséquences. Composé de la Distillerie des vins du Blayais, de la distillerie Douence à Marcillac et de la distillerie de Bergerac, le groupe de distillation a envoyé fin juillet à ses livreurs habituels un courrier leur demandant de participer aux frais de traitement des prestations viniques pour la campagne 2009-2010. Bernard Douence s’en explique : « En trente ans d’activité, c’est la première fois que nous effectuons une telle démarche. Mais la période est exceptionnelle. Nous subissons de plein fouet et la crise économique et le changement des règles de l’OCM. En ce qui nous concerne, ces phénomènes cumulés génèrent un manque à gagner de plus de 600 000 €. Si nous ne sommes pas aidés, c’est l’usine qui fermera. » Le groupe Douence traite à peu près 60 % des sous-produits de la vinification charentaise, soit environ 80 000 tonnes de marcs. Aux viticulteurs qui travaillent habituellement avec lui (livraison régulière des marcs et des lies), le groupe Douence demande de s’engager sur une participation financière de 5 € par tonne de marcs. Pour les autres, la contribution s’élèverait à 10 € par tonne de marcs. Ainsi, sur la base de 5 € par tonne, une propriété produisant 1 000 hl vol. de vin, acquitterait l’équivalent de 100 € pour la retiraison de ses marcs et lies. Début septembre, Bernard Douence annonçait un retour de courrier satisfaisant (environ 30 %) et un taux de réponses positives de 90 à 95 %. « Les viticulteurs comprennent bien qu’ils ont plus à gagner à nous aider à passer le cap qu’à voir disparaître l’outil de distillation. Par ailleurs, en cas de retour à meilleure fortune, notre position serait totalement révisable. » Pour cette campagne cependant, Bernard Douence indique qu’il ne reviendra pas sur sa décision. « Je m’en suis expliqué, dit-il, devant le BNIC et les professionnels. J’ai l’impression qu’ils m’ont compris. »
Sur le créneau charentais des marcs et des lies, l’autre gros intervenant est l’UCVA, la coopérative de distillation de Coutras. Pour sa part, la coopérative n’envisage pas de faire payer la retiraison des marcs et lies. « Nous allons encore passer cette campagne » indique Jean-Michel Létourneau, directeur de la structure. La distillerie recueille certainement les fruits des millions d’€ d’investissements consentis au fil des ans : rationalisation de l’outil, construction d’importants silos de conservation des marcs, pour capter le maximum de richesse alcoolique (3,7 % vol. quand d’autres sont à 2,3 % vol.), méthaniseurs… La coopérative de distillation de Coutras traite annuellement environ 50 000 tonnes de marcs d’origine charentaise (à peu près 35 % du marché). Aujourd’hui elle déborde d’appels pour rentrer des marcs. Mais ne peut répondre favorablement aux demandes. « Nous ne sommes pas en capacité d’accepter de nouveaux adhérents. Notre outil est calibré pour traiter entre 80 et 100 000 tonnes de marcs, pas davantage. » (Outre les Charentes, la coopérative traite les marcs des coopératives vinicoles de toute l’Aquitaine – NDLR).
Si l’UCVA a réussi jusqu’à maintenant à préserver la gratuité, reste que le prix de revente de l’alcool-carburant fragile dangereusement l’équilibre. J.-M. Létourneau ne s’en cache pas. Il évoque lui aussi la chute vertigineuse des cours sur le marché mondial. « A ce tarif-là, bientôt, nous ne bouclerons plus. Déjà nous vivons au jour le jour. » C’est pour cela qu’Hubert Burnereau, président de l’UCVA mais aussi de la FNDCV (Fédération des distilleries coopératives vinicoles), après en avoir informé le ministère de l’Agriculture, va demander à l’UE un déplafonnement de l’aide de 110 € par hl AP consenti par l’Etat français, ainsi qu’une indexation de cette aide sur le cours de l’alcool-carburant. Pour s’appliquer, cette requête devra recevoir l’accord du Conseil spécialisé vins de FranceAgriMer. Le directeur de la FNDCV, Frédéric Pellenc, estime qu’une marge de manœuvre existe, puisque l’enveloppe nationale consentie à la France par l’UE (dans le cadre du plan quinquennal applicable jusqu’en 2012-2013) progresse tous les ans. Mieux ! L’enveloppe 2008-2009 n’a pas été entièrement consommée.
En attendant, le ministère de l’Agriculture a souhaité évoquer la situation charentaise du traitement des sous-produits de la vinification avec les principaux protagonistes. La réunion s’est tenue le 23 septembre, trop tard pour en publier les résultats dans la revue (voir infos sur le site internet du « Paysan Vigneron »). Y participèrent Hubert Burnereau, président de la FNDCV, Bernard Douence, président de l’UNDV (Union nationale des distilleries viticoles) ainsi que la Fédération des interprofessions de Cognac. Car la fédération a transmis au ministère une proposition, celle de pouvoir composter les marcs, afin d’offrir une alternative à ceux qui ne souhaiteraient pas payer pour l’enlèvement des marcs (voir article ci-dessous). Le SGV Cognac soutient pleinement cette proposition, lui qui, dès le 24 juillet, date de réception du courrier du groupe Douence par les viticulteurs, alertait ses adhérents sur le sujet. Par la voix de son président, François-Jérôme Prioton, le SVBC se dit en totale symbiose avec la position régionale : « C’est proprement scandaleux de demander le paiement de la retiraison. »