Le pineau en séminaire : Interview de Jean-Marie Baillif

13 juin 2012

Le Pineau des Charentes réfléchit à son avenir. Un séminaire de travail, convoqué par le Comité interprofessionnel du Pineau des Charentes, s’est mis en place. Un groupe de travail est chargé de réfléchir au développement de l’appellation dans les prochaines années. Valorisation, innovation, adaptation, différenciation de l’offre s’annoncent comme des thèmes porteurs. Sans présumer du résultat.

 

 

p41.jpgPourquoi un tel rendez-vous ? La bonne santé du Cognac met-elle en danger le Pineau, en terme d’approvisionnement par exemple ?

Non, le Pineau n’est pas en danger. La production de Pineau s’est stabilisée depuis 5-6 ans, voire a légèrement progressé. De plus en plus, nous avons des producteurs très investis, qui se professionnalisent. A meilleure preuve, la production moyenne par exploitation tend à augmenter. De mémoire, elle est passée en dix ans (de 2002 à 2011) de 140 hl vol. à 200 hl vol. Si, demain, la production de Pineau avait besoin de progresser, elle progresserait.

Pourquoi le Comité interprofessionnel a-t-il souhaité organiser un séminaire de travail ? Pour réfléchir au développement de l’appellation. Car, aujourd’hui, le Pineau est soumis à deux questions essentielles. Première question, celle de sa valorisation : qu’est-ce qui pourrait permettre d’apporter de la valeur ajoutée au Pineau des Charentes, à la viticulture comme au négoce ? Deuxième question, celle de l’innovation : le Pineau est un produit admirable, fantastique. Quand quelqu’un goûte pour la première fois du Pineau, il aime. C’est hyper-rassurant. Pour autant, depuis vingt ans, le Pineau n’a pas vraiment évolué, ou à la marge. Or, l’innovation, c’est le nerf de la guerre, autant pour la valorisation que pour conquérir de nouveaux marchés. Ce que nous cherchons, c’est à créer une nouvelle dynamique, à nous montrer inventifs et audacieux. Par ailleurs, je crois que la filière est arrivée à un stade de maturation, de maturité, qui l’incline à réfléchir à son avenir. Les opérateurs ont également besoin de visibilité, de lisibilité, pour travailler plus sereinement.

Concrètement, quelles formes cela pourrait-il prendre ?

Pour ne parler que de l’innovation produit, le groupe de travail ne se met aucun frein. Pineaux de cépages, Pineaux millésimés, Pineaux primeurs, Pineaux de terroir, Pineaux rosés élaborés autrement… Tout est envisageable. D’ailleurs, les deux premiers sont déjà possibles, même si on a l’impression que non. Ensuite, on verra ce qui est possible de réaliser et ce qui ne l’est pas, quitte à faire évoluer le cahier des charges. C’est le propre d’un vrai groupe de travail que d’échafauder toutes les hypothèses, pour en sélectionner certaines au final. Le Pineau affiche déjà une grande diversité d’approches mais je crois qu’il gagnerait encore à étendre sa palette. Un énorme chantier s’ouvre à nous. Par ailleurs, le négoce veut s’approprier davantage l’image du Pineau. Il nous dit « je ne veux pas vendre du Pineau, je veux vendre mon Pineau ». Cette demande, nous devons l’entendre.

De quelle manière ?

Le négoce souhaite différencier l’offre, défendre, à travers le Pineau, sa propre image, sa propre identité. Pourquoi pas ! S’il fait pour le Pineau ce qu’il fait pour le Cognac, nous sommes preneurs.

Est-ce que cela veut-il dire que vous êtes prêt à revenir sur le principe de base u Pineau, qui consiste à ce que l’eau-de-vie et le jus de raisin proviennent de la même exploitation, ancrant ainsi le Pineau à la production ?

Pas du tout, ce principe de base fait partie des fondamentaux du Pineau, de son histoire. Nous n’y dérogerons pas. Par contre, tout en conservant ce principe, nous pourrions imaginer des aménagements permettant aux négociants de s’approprier davantage le Pineau qu’ils mettent en marché. Aujourd’hui, le marché du Pineau est essentiellement francophone. Peu de producteurs ont les moyens de se porter à l’international. Ce serait une différenciation intéressante que d’accéder au grand export. Cela aurait le grand mérite d’alléger la pression d’un marché régional, où le Pineau est parfois pris au piège des prix à la casse.

Un « deal » comporte toujours une contrepartie. Quelle contrepartie attendez-vous du négoce ?

Notre attente, c’est que le négoce manifeste un réel engagement aux côtés de la viticulture. Et la meilleure forme, selon nous, c’est qu’il s’engage contractuellement. Certes, le mouvement est bien engagé. Les négociants ont déjà misé sur la contractualisation intégrante, en créant des Sica, des coopératives. Les contrats moraux existent aussi. Entre la coopération, qui représente 30 % des volumes et la propriété, qui en commercialise peut-être 40 %, le marché que l’on pourrait qualifier de « spot » me semble réduit à portion congrue. À vue de nez, il ne doit pas concerner plus de 10-15 % des volumes. Mais, au-delà de l’aspect quantitatif, il nous paraît important de construire une vraie politique contractuelle, avec des engagements sur plusieurs années, assortis d’une réelle différenciation de l’offre. Que le Pineau de M. Dupont ne ressemble pas au Pineau de M. Durand. Nous voulons un partenariat fort entre négoce et viticulture.

Vous parliez de prix à la casse. Le syndicat des producteurs a mené récemment une action contre des rabais jugés dangereux pour l’image du Pineau.

En effet, nous nous sommes rendus dans une enseigne de la grande distribution pour dénoncer les rabais excessifs consentis et par la centrale d’achat et par le fournisseur. Le fournisseur se défend en disant qu’il fait ce qu’il veut de sa marque. Oui, mais à condition qu’il ne porte pas atteinte ni à l’appellation, ni à l’image de cette appellation, ni au travail réalisé par d’autres metteurs en marché. En tant que président du Syndicat des producteurs de Pineau des Charentes, je trouve ces pratiques scandaleuses. Il va falloir que ce genre d’attitude cesse. Aujourd’hui, des négociants partagent cette analyse avec moi. L’appellation a consenti un énorme travail de réorganisation de l’amont. Nous avons un produit qui fonctionne, des entreprises qui tournent. On ne peut pas à la fois vouloir construire une filière, développer la valorisation et, en même temps, casser les prix. Nous ne laisserons pas décapiter notre outil par une politique commerciale irresponsable, incohérente.

D’un côté, les prix du Pineau vrac n’ont jamais été aussi hauts et, de l’autre, les remises vont bon train. Comment
expliquez-vous ce paradoxe ?

Comment je l’explique ? Je ne vais pas vous dire qu’il n’y a pas d’explications. Il y en a mais permettez-moi de ne pas les mettre sur la place publique. Ce qui est sûr, c’est que certains opérateurs croient qu’en vendant moins cher, ils vont se développer. Sauf qu’il y en a toujours un pour se lever le matin avec l’intention de vendre moins cher qu’eux. Côté grande distribution, nous avons exprimé à ses représentants notre souhait de construire harmonieusement la mise en marché du Pineau, en respectant tous les circuits de commercialisation. Ceci est d’autant plus vrai et fondamental en région Poitou-Charentes où Pineau et grande distribution ont besoin l’un de l’autre. C’est une question de cohérence. Nous, produit de terroir, ne pouvons exister sans les metteurs en marchés régionaux, dont fait partie la grande distribution. Elle-même dépense une énorme énergie à développer un discours autour de l’entreprise citoyenne, de la défense du territoire et des produits régionaux. Soyons intelligents et bâtissons ensemble.

Le consultant qui est intervenu lors de votre assemblée générale a proposé l’instauration d’un prix psychologique, en dessous duquel la filière s’interdirait de vendre.

Je sais que la viticulture adhère plutôt à l’idée d’une moralisation du marché, avec l’introduction d’un « prix psychologique ». A l’inverse, le négoce manifeste beaucoup de réticences à toute tentative de cantonnement. Au syndicat des producteurs, le gros danger que nous voyons à un prix « psychologique », c’est qu’il introduit la notion de prix plancher. Un prix plancher qui peut se transformer très vite en prix de référence. Quid de ceux qui vendent plus cher que le prix plancher ? Nous croyons, nous, qu’il vaut mieux se battre sur l’équilibre de l’offre et de la demande, sur l’innovation, le développement de nouveaux marchés, la différenciation de l’offre. En d’autres mots, sur la structuration de notre filière.

Quelle ambition assignez-vous au séminaire de réflexion ? L’enjeu porte-t-il sur une véritable refondation de la filière ou a-t-il une portée plus modeste ?

Personnellement, c’est la première fois que je participe à de tels travaux sur l’aval mais je sais que, par le passé, ce même type de réflexion a déjà eu lieu. Christian Baudry évoque la tenue d’au moins trois commissions de ce genre, en fait à chaque fois que le Cognac était au plus haut. Dans ce contexte, le Pineau souhaite profiter de la bonne période pour sécuriser sa filière, la renforcer. Mais, dixit Christian Baudry « la réflexion n’a jamais dépassé le stade des intentions car la crise du Cognac nous a rattrapé ». Cette fois sera peut-être la bonne, non seulement parce que tous les indicateurs du Cognac sont au vert pour un certain temps semble-t-il mais aussi parce que le Pineau a gagné en maturité. Il a envie de tracer sa route, autant que sa feuille de route.

Composition
Les membres du bureau permanent du Comité interprofessionnel du Pineau des Charentes composent le groupe de travail instauré par le Comité lors de son assemblée générale du 25 avril. A l’image du Comité, le groupe de travail est paritaire entre la viticulture et le négoce. Finalité du séminaire ? Réfléchir à l’évolution de l’appellation, pour une meilleure valorisation du Pineau des Charentes, au bénéfice de tous les opérateurs. Le groupe de travail s’est réuni pour la première fois le 14 mai.

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