Pineau des Charentes, syndicat des producteurs : « Une ambition collective pour demain »

13 juin 2012

Comment expliquer qu’en période de sous-production ou presque, la bouteille de Pineau ne se vende pas plus cher sur les rayons de la grande distribution ? Quelle est la juste valeur d’une bouteille de Pineau des Charentes ? Pour réfléchir à ces questions, le syndicat a sollicité un regard extérieur, celui d’Etienne Laporte, consultant en stratégie et marketing. Pour sortir du « cercle vicieux de la destruction de valeur », le consultant a appelé à la discipline collective et à l’ambition commune : « fixez-vous un prix psychologique en dessous duquel vous ne descendrez pas et n’en dérogez pas. » Mais, pour fonctionner, le pacte collectif doit-il encore rassembler toute la filière.

p38.jpgQue le Pineau des Charentes ait un peu de difficulté à tenir ses prix quand il y a trop de vin en Charentes, on peut le comprendre. Les acheteurs font ce qu’ils sont programmés à faire en de telles circonstances…acheter le moins cher possible dans l’environnement compétitif qui est le leur. C’est leur job. Mais existe-t-il une fatalité pour que le Pineau s’affiche à prix bradé quand le produit est rare ou, en tout cas, à l’équilibre ? C’est à ce paradoxe qu’ont voulu s’attaquer le Syndicat des producteurs de Pineau et son président Jean-Marie Baillif. Comment sortir de ce cercle vicieux qui veut que la logique des volumes supplante la logique de la valorisation ? Comme nul n’est prophète en son pays, Jean-Marie Baillif et son équipe ont sollicité « un regard neutre et sans complaisance », celui d’Etienne Laporte. Spécialiste des filières agricoles et viticoles, E. Laporte a travaillé pour de nombreuses appellations et interprofessions. Il cerne bien les problématiques d’échelle de valeur. Salle de l’Aviron, à Cognac, il a proposé à l’assemblée générale des producteurs, réunie le 11 avril dernier, une « lecture » de la filière Pineau, telle qu’il la perçoit. Il a ensuite posé quelques enjeux, surtout pour donner envie de « réfléchir ensemble ». Objectif de l’exercice ? Qu’un déclic s’opère, en interne.

« Qu’a-t-on pour 8 €? »

Le consultant est parti du prix moyen d’une bouteille de Pineau en grande distribution : 8 € TTC (issu de panels consommateurs). « Qu’a-t-on pour 8 € » s’est-il interrogé ? « Entre deux et demi et trois cafés en terrasse à Paris (en sachant que le café dans la tasse ne représente que 10 % de la valeur du produit), un peu plus d’un Perrier rondelle (ce qui porte le litre d’eau pétillante à 15 € et le m3 à 15 000 € !), une petite entrecôte charolaise pour deux personnes ou encore une bouteille d’AOC Médoc et certainement pas de la meilleure qualité. » « Ce que je veux vous suggérer par là, a-t-il dit, c’est que la valeur aval – ce que le consommateur est prêt à payer – ne se résume pas au coût de production, loin de là. Il y a tout l’imaginaire autour du produit, sa valeur immatérielle, sa valeur d’image. Qu’une BMW coûte 25 000 € ne choque personne. Ce niveau de prix est légitime. Le consommateur l’accepte. Mieux ! Il ne comprendrait pas qu’une BMW soit vendue 10 000 €. »

Une valorisation de 16 %

« Dans une bouteille de Pineau vendue 8 €, poursuit-il, il y a 3,29 € de coûts de production (41 % de la valeur) et 2,65 € de fiscalité (33 % de la valeur). Ainsi, les frais fixes représentent 74 % de la valeur. Le prix de vente de 8 € ne dégage donc, à la bouteille, qu’une valorisation de 2,06 € soit environ 16 % du prix de vente. En règle générale, pour gagner de l’argent, il est d’usage de considérer que la valeur ajoutée (la différence entre le prix de vente et les coûts fixes) doit s’approcher des 50 % ou, du moins, être contenue dans une zone de viabilité oscillant entre 30 et 50 %. C’est la norme dans l’univers du vin, en tout cas pour les vins qui ne fonctionnent pas trop mal, Côtes de Provence, Côtes du Rhône… Votre valorisation est plus faible que celle du vin. D’un point de vue collectif, vous avez un modèle économique difficile. Je vous invite à y réfléchir. »

Aujourd’hui, argumente l’expert, la conjoncture est plutôt bonne. Le Cognac marche bien. Mais que ce passerait-il si la conjoncture se retournait ? Vos coûts de production ne baisseraient pas pour autant. » L’intervenant n’ignore pas que « ce que les opérateurs ne gagnent pas sur le prix, ils veulent le gagner sur le volume ». « Mais c’est un cercle vicieux », met-il en garde. « Des prix trop bas contaminent toute l’économie. Ils sont destructeurs de valeur. En dessous de 6 € la bouteille, vous perdez de l’argent d’un point de vue collectif. Bien sûr, des entreprises peuvent fonctionner à ce tarif-là, par leur niveau d’amortissements, leur façon de travailler. Mais globalement, la filière s’appauvrit. »

« Vous avez de l’or dans les mains »

Pour Etienne Laporte, le diagnostic est simple : la filière Pineau se pénalise elle-même par un déficit de conscience collective. « Vous donnez l’impression de ne pas être suffisamment fier de votre produit. »

Situation d’autant plus paradoxale que le Pineau est loin d’être un produit basique. Jus de raisins mutés au Cognac, il mobilise deux appellations notoires, Cognac et Pineau. « Vous avez de l’or dans les mains ! » Un constat que la dégustation ne fait que renforcer : « Le Pineau des Charentes est un produit naturel, sucré, croquant, expulsif en bouche. Il a tout pour plaire aux consommateurs. Qui plus est, avec 100 000 hl vol. de production, vous êtes typiquement un produit de niche. Et, par essence, un produit de niche se vend cher ! »

Alors, comment sortir de cet engrenage infernal où les prix bas appellent les prix bas ? Le consultant a quelques idées sur la question. D’un point de vue général, il parle de « gold ambition », d’envie de gagner plutôt que de « peur de perdre ». Concrètement, il pointe du doigt « une trop forte centralisation des ventes de Pineau en région ». « Entre Nantes et Bordeaux, vos ventes représentent 40 % des volumes. Cette focalisation du business en région a pour effet d’exacerber les enjeux régionaux, leur donner une trop grande importance.La peur de perdre des référencements dans la grande distribution incite les opérateurs à baisser leurs prix. » La pire de choses serait que cette tendance baissière en région gagne les enseignes au niveau national.

Vendre ailleurs qu’en région

La recommandation ! Commercialiser du Pineau ailleurs qu’en région, en France et à l’exportation, pour alléger cette tension régionale. » « Toute la planète a le droit de boire du Pineau des Charentes » lance le consultant en guise de boutade. « Et ne me dites pas que vous réalisez 20 % de vos ventes à l’export. D’une certaine façon, c’est vrai mais sur un seul marché, la Belgique, qui n’est pas, à proprement parler, un vrai marché d’export. Ouvrez de nouveaux débouchés, en Italie, en Angleterre, en Chine ou ailleurs. » Autre étonnement d’Etienne Laporte : voir que « plus on se rapproche du littoral, plus les prix diminuent. Ce n’est pas normal. En général, c’est le contraire qui se produit. En vacances, les touristes ne sont pas toujours à regarder leurs calculettes ». Il recommande la différenciation de l’offre, d’explorer de nouvelles pistes comme les Pineaux de terroir, les Pineaux de cépages ou encore de tester de nouveaux usages comme les très vieux Pineaux, les Pineaux en digestif… « Assumez votre statut de produit de niche. Soyez imaginatifs. » Plus globalement, le consultant dénonce « une indiscipline collective qui vous tue. A tirer à hue et à dia sur les prix, vous courrez à votre perte. Un jour, vous ne pourrez plus passer. Vous vous retrouverez avec des tarifs indigents. Il ne faut pas avoir fait HEC pour le comprendre ».

Cercle vertueux

Pour renouer avec le cercle vertueux des prix rémunérateurs, que mettre en place ? « Vous devez vous retrouver sur un pacte commun, une ambition collective. » Le consultant considère que cette ambition collective pourrait prendre un tour très concret : s’engager à ne pas vendre le Pineau en dessous d’un certain prix. « Collectivement, vous pourriez définir un prix psychologique en dessous duquel vous ne devriez pas vendre. Par exemple, vous pourriez décider qu’un Pineau à moins de 8 € n’a plus droit de cité. Mieux ! Vous pourriez promouvoir un prix médian de 12 €. A ce tarif-là, vous vous rapprocheriez d’une valeur ajoutée de 50 %, qui correspond aux normes de votre univers. Tout le monde gagnerait à une politique de promotion qualitative, et vous et les distributeurs. Une appellation qui n’avance pas recule. »

Etienne Laporte relate l’expérience qu’il a eue avec l’AOC Sainte-Victoire, sous-appellation de l’appellation générique Côtes de Provence. « A un moment donné, l’appellation a décidé qu’elle ne vendrait plus à moins de 7 € en grande distribution. Et elle s’y est tenue. Voilà 6-7 ans que ça dure. Il y a eu convergence d’intérêt, combat collectif mené par les coopératives et les vignerons indépendants. Une feuille de route a été tracée, un plan d’action déployé. »

Si Jean-Marie Baillif ne cautionne pas forcément l’idée d’un prix plancher (voir interview), il milite pour une prise de conscience collective. « Demain, s’ouvre un séminaire de réflexion de tous les acteurs de la filière. Nous devrons nous dire, entre nous, ce que nous voulons faire du Pineau dans les 5, 10 ans qui viennent. Mais cette volonté collective est l’affaire de tous. Rien ne se fera sans l’adhésion de l’ensemble des acteurs. » Pour Etienne Laporte, il est clair que le Pineau doit prendre son destin en main, y compris par rapport à son « grand frère », le Cognac. « Arrêtez de vous voir comme le sous-produit du Cognac. Vos performances ne doivent pas toujours apparaître en creux par rapport à celles du Cognac. »

Si Jean-Bernard de Larquier, président de l’interprofession du Pineau des Charentes, ne verrait sans doute pas d’un mauvais œil un Pineau au prix médian de 12 €, il sait aussi que cette marche ne se gravira pas « demain matin en se levant ». Il va falloir initier le mouvement, faire progresser l’appellation, dans un contexte où l’économie du Cognac porte toute la région. « C’est humain, reconnaît-il. Quand une certaine aisance s’installe, on a tendance à s’endormir. Pourtant la région des Charentes a besoin d’avoir ses trois produits en bonne santé, le Cognac, le Pineau et les vins. Elle ne s’en portera que mieux. »

Profession consultant
Etienne Laporte exerce le métier de consultant, spécialité stratégie & marketing. Issu de l’école d’ingénieurs agricoles de Purpan, il a d’abord travaillé dans une agence marketing et de communication internationale, l’agence TBWA (groupe Euro RSG), notamment pour des entreprises du Champagne. Puis il a intégré la Sopexa, l’agence para-publique de promotion des produits agro-alimentaires. Auparavant, il avait suivi un cursus d’œnologie à Bordeaux (diplôme national d’œnologie), histoire d’accrocher un double profil, à la fois marketing et sensoriel. A la Sopexa, il y a dirigé pendant 5 ans (de 1995 à 2 000) le département vins & spiritueux à l’international. En 2001, il a créé sa propre société de consultant, à Marseille. Il intervient essentiellement auprès d’interprofessions
viticoles (Bordeaux, Loire, Bourgogne, Côtes de Provence…), sur des problématiques d’aval. Il y a quelques années, E. Laporte a mis en musique la campagne Vinplissime du CNIV
(Comité national des interprofessions des vins à appellation d’origine et indication géographique). A cette occasion, il était rentré en contact avec la filière Pineau.

Le Pineau en chiffres
Sur l’année 2011, il s’est élaboré 101 000 hl vol. de Pineau, un chiffre en légère hausse de 2,5 %. Pour la troisième année consécutive, la production de Pineau progresse, après plusieurs années de baisse. L’élaboration de Pineau blanc gagne 8 % alors que le Pineau rouge s’affiche en léger déclin de 4,4 %. Clairement, le Pineau blanc profite d’un courant porteur. Pour la récolte 2012, les producteurs ont affecté 1 047 ha de parcelles « moûts Pineau ». Sous réserve de validation par le Comité national vins et eaux-de-vie de l’INAO, le rendement 2012 devrait s’élever à 85 hl/ha, dont 10 hl de réserve de gestion (75 + 10). En 2011, la réserve de gestion était de 15 hl (70 + 15). Le rendement « produit fini » passe à 42 hl vol./ha. Ces chiffres ont été votés en conseil d’administration du Syndicat des producteurs reconnu ODG.

Sur la campagne 2010-2011, les stocks de Pineau se sont élevés à 348 302 hl vol., pour des sorties de l’ordre de 95 300 hl vol. Ces sorties sont en baisse de 3,8 % par rapport à la campagne précédente. En 6 ans, de 2004 à 2011, le Pineau s’est allégé de 20 % de ses stocks, soit l’équivalent d’une année de production. Le taux de rotation du stock ressort à 3,34 années, ce qui fait de la filière Pineau une filière à l’équilibre. En témoigne un prix du vrac médian autour de 250 € l’hl vol. Sur les dernières décennies, ce prix du vrac se classe parmi les bonnes références du Pineau.

 

 

 

A lire aussi

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Campagne PAC 2024 : Tout ce qu’il faut savoir 

Depuis le 1er avril et jusqu’au 15 mai 2024, les télédéclarations de demande d’aides au titre de la campagne 2024 sont ouvertes.Voici tout ce qu’il faut savoir pour préparer au mieux sa déclaration.

La Chine et le cognac : un amour inséparable

La Chine et le cognac : un amour inséparable

Avec plus de 30 millions de bouteilles officiellement expédiées en Chine en 2022, la Chine est le deuxième plus important marché du Cognac. De Guangzhou à Changchun, ce précieux breuvage ambré fait fureur. Plutôt que se focaliser sur les tensions actuelles, Le Paysan...

error: Ce contenu est protégé