Ses – très – bons résultats, la coopérative de distillation des marcs et lies de Coutras les doit autant à sa capacité de valoriser ses produits et co-produits qu’à son bilan énergétique, excellent. Une bonne chose, tant pour ses comptes que pour l’environnement. Par contre, les viticulteurs en profitent peu. La faute au règlement communautaire.
Finie d’installer fin août 2011, elle a été mise en service après les dernières vendanges. Elle, c’est la chaudière poly-combustible (dite encore chaudière biomasse) acquise par l’UCVA. Mastodonte de 400 tonnes, haut de 20 mètres, large de 12, qui a coûté la bagatelle de 3,2 millions d’€ (sans parler des coûts annexes), la chaudière biomasse met la touche finale à l’indépendance énergétique de la coopérative de distillation. Le site de Coutras ne fait plus appel à l’énergie fossile ou vraiment à la marge, pour déshydrater le tartrate de chaux. La chaudière poly-combustible est une chaudière sophistiquée, « un peu trop à mon goût » note Jean-Michel Letourneau, directeur de l’UCVA. Elle a vocation à produire de la vapeur. Il en sort toutes les heures 15 tonnes, à 15 bars. Cette vapeur sert à faire fonctionner les colonnes de distillation des marcs, lies et vins. Auparavant, la chaudière de production de vapeur utilisait déjà le bio-gaz dégagé sur place grâce aux méthaniseurs (de l’ordre d’1,2 million de m3 par an). Mais, dans son fonctionnement, elle incluait aussi une part d’énergie fossile sous forme de gaz naturel, pour une facture annuelle de 800 000 à 1 million d’€, une facture amenée forcément à grimper d’année en année. C’est cette facture énergétique que la chaudière biomasse permet d’éliminer. Car, comme énergie complémentaire au biogaz, la chaudière poly-combustible brûle des pulpes de raisins déshydratées qui, elles-mêmes, proviennent du séchoir de l’UCVA, monté depuis 1983 et qui fonctionne… aux pulpes de raisin. Le séchoir économise l’équivalent d’une semi-remorque de 25 tonnes de fioul lourd. Energie auto-produite, auto-consommée…la boucle est bouclée. Naturellement, la coopérative se prive du chiffre d’affaires tiré des pulpes de raisin mais s’assure d’un delta positif de 400 000 € l’an (moins l’amortissement de la chaudière). Une bonne opération qui, en outre, lui permet de s’affranchir d’une dépendance énergétique.
« L’UCVA touch »
Cette capacité à financer des investissements, non seulement productifs en terme environnemental mais aussi financier, caractérise « l’UCVA touch ». Frédéric Pelenc, directeur de la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives vinicoles) a décrit la « justesse des investissements » de la coopérative ainsi que sa « bonne gestion », une gestion que l’outil collectif a su transformer en valeur cardinale.
Le sous-préfet de Coutras, Patrick Martinez, ancien membre de cabinets ministériels, ne s’y est pas trompé. Il a parlé « de pertinence énergétique et environnementale ». « Mais cette pertinence, a-t-il dit, on ne peut l’avoir qui si on en a les moyens. » Pour lui, la clé de la réussite, c’est « cette capacité de diversification mais aussi d’anticipation que vous avez toujours su manifester ».
L’anticipation du jour, c’est l’investissement dans de la cuverie, pour stocker les jus de silos. En pleine collecte de marcs, l’usine récupère jusqu’à 300 hl vol. à l’heure et ce sur 24 heures. Sur la dernière campagne, ont été collectés 170 000 hl vol. de jus. Est également envisagée la construction d’un bâtiment pour stocker le compost agricole. Le compost se trouve actuellement dans une zone potentiellement inondable. « Depuis 33 ans que je suis ici, j’ai vu deux fois l’eau monter sur le terrain mais c’est deux fois de trop » a souligné J.-M. Létourneau. « Après avoir installé, depuis 2004, un système de traitement des fumées, c’est désormais le seul point noir de l’UCVA. Nous allons y remédier. » En terme de dépollution, le site de l’UCVA traite l’équivalent des rejets d’une ville de 200 000 habitants.
90 000 tonnes de marcs
Sur l’exercice clôturé au 31 août 2011, la coopérative de distillation a collecté près de 90 000 tonnes de marcs et 165 000 hl vol. de lies. En tout, elle a produit 65 000 hl AP d’alcool, dont 41 000 hl AP issus des marcs et 14 000 hl AP issus des lies. La distillation des lies (exception faite des lies des Charentes, orientées vers la carburation par décision régionale) sert majoritairement à alimenter le marché des brandies via l’UFAB (Union française des alcools et brandies), filiale de l’UCVA. L’alcool de marcs, lui, part sur le marché de la carburation.
Son activité marcs et lies, la coopérative de Coutras la tire à 60 % des Charentes. Autant dire que la région délimitée Cognac fait figure de poids lourd dans le fonctionnement de l’UCVA.
Toutes activités confondues, le chiffre d’affaires de la coopérative s’est élevé, sur l’exercice 2010-2011, à un peu plus de 8 millions d’€. Une année qualifiée « d’exceptionnelle » par tous. Ces bons résultats sont à mettre au crédit des cours des alcools « qui se tiennent » et de prix des coproduits qui ont véritablement décollé (+ 20 % pour les pépins secs, + 56 % pour le tartrate de chaux). Grosso modo, le produit de l’exercice s’est partagé en trois tiers : un tiers pour la vente d’alcool, un tiers pour la vente des co-produits (produits tartriques, pépins secs, pulpes séchées, compost) et un tiers tiré des subventions de l’Europe liées aux prestations viniques.
« Je suis un président heureux » n’a pu s’empêcher d’avouer Hubert Burnereau. Heureux mais conscient de la « volatilité » de son bonheur. D’abord parce qu’il préside la FNDCV (Fédération nationale des distilleries coopératives) et, qu’à ce titre, il n’ignore rien des difficultés traversées par ses collègues. En France, l’UCVA est un peu l’arbre qui cache la forêt. Pour une distillerie qui tire son épingle du jeu, combien souffrent et sont au bord de la faillite. Sans toujours en être responsable. Joue l’arrache (dans le Midi), les petits rendements, la déprise de la production, des tailles d’entreprise trop petites. En ce qui la concerne, l’UCVA considère que son seuil de collecte ne devrait pas descendre en dessous du seuil de 80 000 tonnes de marcs. C’est son point d’équilibre. Signe sinon inquiétant, du moins à prendre en compte : le nombre de viticulteurs-apporteurs à l’UCVA est passé de 10 000 en 2007 à 8 000 en 2011.
Des apports non rémunérés
Hubert Burnereau sait aussi que ses bons chiffres, la coopérative les doit en partie au fait qu’elle ne rémunère plus les apports des adhérents. Non qu’il s’agisse d’une volonté délibérée de sa part. Mais elle en est empêchée par l’OCM vin qui, depuis 2008, a inscrit dans ses tablettes la non-rémunération des prestations viniques. Dans le nouveau modèle économique proposé par Bruxelles, au lieu de bénéficier d’un soutien au prix de vente de l’alcool, les distilleries se portent elles-mêmes sur le marché libre de l’alcool, « à leur risque et péril ». En contrepartie, elles reçoivent de l’Europe des subventions au transport et à la collecte.
A l’usage, le modèle a plutôt bien fonctionné à l’UCVA (moins pour d’autres distilleries). Quand il marche – comme c’est le cas à Coutras – ce « modèle » présente l’inconvénient majeur de créer une sorte de hiatus entre la structure (qui réalise des profits) et ses adhérents, empêchés d’être rémunérés. Dès le départ, la coopérative de distillation a quand même prévu de compenser les frais d’approche des marcs et lies jusqu’aux plates-formes de collecte. Sur la récolte 2010, ces compensations ont représenté 5 € de la tonne pour les marcs et 2 € de l’hl vol. pour les lies. Eric Chadourne, de la FCVA (Fédération des coopératives viticoles d’Aquitaine), n’a pu s’empêcher de soulever cette espèce de paradoxe. « Les comptes de l’UCVA frappent par leur bon niveau. Quelque part, les coopératives que nous sommes aimeraient bien récupérer quelques euros de notre Union. Mais on sait aussi que l’OCM vin nous l’interdit. Dans ces conditions, sachons au moins apprécier que de tels outils existent. Cela prouve la force du modèle coopératif. »
Le président Burnereau n’a pas dit autre chose : « Après plusieurs campagnes sous le régime de la nouvelle OCM, les résultats de l’Union ne se sont pas écroulés, bien au contraire. Mais l’évolution qu’impose la réglementation viticole s’est faite au détriment des viticulteurs. Il est donc du devoir de l’Union de mettre sa capacité d’autofinancement au service de la modernisation de l’outil, pour plus de productivité et de maîtrise des charges. »
Incertitudes sur l’avenir
L’autre souci du président de la FNDCV concerne l’avenir. L’actuelle OCM vin doit être revue en 2013 (fin du plan quinquennal 2008-2013). Une nouvelle période va s’ouvrir, de 2014 à 2019. L’obligation de livraison des prestations viniques sera-t-elle maintenue ? De même, l’enveloppe nationale d’aide à la distillation des sous-produits de la vinification, autrement dit des prestations viniques, sera-t-elle prorogée ? Financée sur fonds européens, cette enveloppe s’élève aujourd’hui à 40-45 millions d’€ par an pour l’ensemble des distilleries françaises. Elle sert à subventionner les activités de transformation et de collecte des prestations viniques. Les premières discussions laissent entendre un maintien du système. A confirmer toutefois. Les deux fédérations de distilleries – la FNDCV pour le secteur coopératif et l’UNDV (Union nationale des distilleries vinicoles) pour le secteur privé – ont financé une étude sur l’analyse du cycle de vie comparatif d’une tonne de marcs traitée dans les filières distillation, compostage et épandage. Par chance, l’étude démontre que la filière distillation a un impact environnemental positif. La FNDCV a l’intention d’éditer un numéro spécial sur cette étude.
Brandies à partir de vin issus de lies
Mais un autre problème assaille le président Burnereau : la perspective de perdre la possibilité de produire des brandies (des eaux-de-vie de vin) à partir de vins de décantation issus des lies. Depuis trois campagnes, les distilleries avaient en effet obtenu du ministère de l’Agriculture français ainsi que du ministère des Finances (Douanes et Fraudes) cette souplesse d’utilisation. En utilisant des vins issus de lies (produits parfaitement « tracés » au demeurant), il s’agissait de palier la pénurie d’alcool de bouche destiné aux brandies. Mais les distillateurs italiens et espagnols, concurrents des distillateurs français, ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils ont saisi la Commission européenne. Et cette dernière vient de rendre, début mai 2012, un avis motivé. Cet avis n’est pas favorable aux distillateurs français. La Commission estime que les vins issus de la décantation des prestations viniques ne peuvent pas être considérés comme des vins au sens réglementaire du terme ; mais qu’ils ont la nature de produits secondaires. La fin de la campagne de distillation devrait néanmoins se terminer sans dommage. Mais quid de la prochaine campagne ? Un plan B est en train de s’échafauder. Il consisterait à introduire un changement de définition au niveau du règlement communautaire sur les boissons spiritueuses. Il serait question de considérer que l’approvisionnement des brandies peut se faire à partir de distillats viti-vinicoles. En sachant que les vins de décantation sont, par définition, des distillats viti-vinicoles, au sens même de l’OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin). Si ce changement de pied ne fonctionnait pas, le manque à gagner se chiffrerait à plusieurs millions d’euros pour les distilleries françaises. Il équivaudrait au différentiel de prix entre le tarif de l’alcool de bouche et celui du biocarburant. Les plus grosses distilleries verraient, au bas mot, leurs chiffres d’affaires amputés de 2 millions d’€. Dans ce contexte, Jean-Michel Letourneau ne peut s’empêcher de regretter la position ferme des Charentes vis-à-vis de la filière brandies (veto absolu ). « En Charentes, souligne le directeur de l’UCVA, on détruit la production au-delà du rendement Cognac alors que la filière brandy manque de produit. Ce que la France ne fait pas, d’autres pays sauront le faire à notre place. »