Marnier-Lapostolle : concilier l’indépendance à la concentration

20 mai 2010

La Rédaction

Comment rester indépendant face à la concentration des groupes de distribution ? C’est à ce défi que doivent répondre des sociétés comme Marnier-Lapostolle.

lambaard.jpgPour une maison indépendante – non adossée à un grand groupe de distribution – le modèle qui prévalait jusqu’alors consistait à trouver des distributeurs à sa ressemblance, c’est-à-dire indépendants eux aussi. Sauf que la formule trouve aujourd’hui ses limites. La concentration à marche forcée des groupes de distribution, à l’œuvre depuis une dizaine d’années, réduit chaque jour un peu plus le périmètre d’action des distributeurs indépendants. Dans ces conditions, que faire pour conserver son indépendance ? Avoir une attitude jusqu’au-boutiste au risque « d’y laisser sa chemise » ou intégrer de grands groupes de distribution ? Sous l’apparent paradoxe, n’est-ce pas le meilleur gage de pérennité ? Ce choix « cornélien », la société Marnier-Lapostolle a dû l’aborder. Elle l’a fait sans dogmatisme. Déjà, ses produits étaient distribués aux Etats-Unis par Moët-Hennessy, avec succès. En juillet 2009, la maison a signé un accord de distribution avec Diageo pour l’Europe (26 pays). En Amérique latine, c’est Pernod-Ricard qui distribue la marque ; en Asie, Moët-Hennessy. Sur la France, la liqueur vient de conclure en septembre dernier un joint-venture avec Moët-Hennessy Diageo (MHD). Cette nouvelle stratégie, Tom Van Lambaart l’a longuement expliquée aux viticulteurs. Il s’est appuyé sur quelques chiffres clés. En un peu plus de 20 ans (1985-2008), les quatre plus grands groupes mondiaux de distribution – Diageo, Pernod-Ricard, Baccardi, Brown-Forman (Jack Daniel’s) – sont devenus des mastodontes. Dans leurs portefeuilles, le nombre de marques figurant au « top 100 » – les cent plus grandes marques mondiales de spiritueux – est passé de 13 à 54 (de 6 à 16 chez Diageo, de 3 à 18 chez Pernod-Ricard, de 8 à 10 chez Baccardi, de 2 à 5 chez Brown-Forman). Aujourd’hui, ces quatre grands groupes contrôlent 62 % du volume total des spiritueux premium. C’est dire leurs poids. Ce qui s’est révélé très positif pour ces structures s’est avéré redoutable pour les distributeurs indépendants. Une vraie machine à broyer. Prenons l’exemple d’un distributeur grec. Avant la reprise d’Absolut par Pernod-Ricard, il musclait son secteur par la distribution de la célèbre vodka suédoise. Elle représentait 50 % de son chiffre d’affaires. Quand Pernod-Ricard a repris Absolut en juillet 2008, le distributeur grec a logiquement perdu son navire-amiral et, de fil en aiguille, est devenu bien moins performant pour ses autres marques. Avec une coquille un peu vidée de sa substance, il ne possédait plus la taille critique. Cette spirale à la baisse ou son double inversé – la « prime au plus fort » – sévissent un peu partout. Dans ces conditions, comment assurer un bon accès au marché ? En ayant sa propre structure de distribution ? « Grand-Marnier n’est pas assez grand pour avoir sa propre force de vente dans tous les pays. Il lui faudrait un caissage bien plus important » répond sans surprise Tom Van Lambaart. En même temps, le directeur adjoint de la marque sait bien que la force de frappe engagée sur le terrain devient chaque jour plus essentielle. A meilleure preuve, le marché américain. « Voilà 16 ans maintenant que Grand-Marnier est distribué aux Etats-Unis par Moët-Hennessy et la marque a remporté sur le marché américain un véritable succès, en focalisant sur un usage clé : “Grand-Marnier fait le meilleur cocktail Margarita”. Nous avons doublé nos volumes en 15 ans. » Le souhait du directeur commercial ! Que ce succès se duplique en Europe. « A Londres, nous avons changé de distributeur le 1er avril 2010. Auparavant, notre distributeur nous assurait un seul vendeur sur tout Londres. Dorénavant, nous profiterons d’une force de vente décuplée. »

l’image de la marque

En marge de la distribution, le directeur adjoint n’a pas hésité à aborder un aspect plus délicat : l’image de la marque. « Ce n’est peut-être pas ce que l’on aime à dire dans cette enceinte mais Grand-Marnier a une image un peu vieillotte. Nous avons besoin de rajeunir la marque, pour la rendre plus contemporaine. » Focaliser sur un usage clair ! T. Van Lambaart est revenu sur cette idée. « Il faut dire à nos consommateurs comment boire, comment utiliser Grand-Marnier. » Si la marque n’abandonne pas la gastronomie – pour la pâtisserie, elle emploie régulièrement des MOF, meilleurs ouvriers de France – elle se détourne du digestif, « un mode de consommation en train de mourir lentement. » Son envie ! Miser sur une boisson plus contemporaine comme le long drink : Grand-Marnier limonade, Grand-Marnier jus de fruit… « Il faut savoir que 75 % du Cognac dans le monde est consommé en long drink. » Sans surprise, les 30-35 ans représentent la cible privilégiée de la marque. « Aujourd’hui, les trentenaire trouvent la marque Grand-Marnier très chouette mais elle n’est pas tout à fait pour eux. » Pour redonner du « peps » à la marque, Tom Van Lambaart cite trois termes : le caractère, la sensualité, l’audace. « Le caractère, dit-il, la liqueur l’a reçu en héritage. » La sensualité pourrait être synonyme de « french touch », quelque chose de très parisien incarné par la tour Eiffel. Kitsch et démodé ! « Détrompez-vous, les Américains trouvent cela très glamour. » Quant à l’audace, ce sont peut-être ces changements d’habillage une ou deux fois l’an, avec des bouteilles « collector ».

Trouver le bon message et mettre les moyens derrière… Cette formule éprouvée, le directeur adjoint de la marque la fait sienne. A New York, Grand-Marnier a investi les couloirs du métro. A Los Angeles et San Francisco, sa campagne de communication l’a conduit à s’afficher sur les autoroutes. La marque se fait présente sur les réseaux sociaux et sur les i.phones par de petits gimmicks rappelant les cocktails. En recul de 4 % sur un marché des liqueurs en baisse de – 8,3 %, Grand-Marnier n’a pas vraiment l’intention de s’en laisser compter. « Nous sommes en train de revitaliser la marque. »

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