Après la période de glaciation 2009, où le marché foncier viticole s’était effondré, le second semestre 2010 marque un certain réchauffement du marché des vignes en Charentes, tant en volume qu’en prix. Ce n’est pas l’euphorie mais les transactions redémarrent… au moins dans certains crus.
Depuis 2005-2006, les prix des vignes progressaient régulièrement dans la région délimitée Cognac. En 2007-2008, ils crèvent littéralement les plafonds. Ne voit-on pas dans certains crus (Grande Champagne, Fins Bois de Rouillac-Matha), des parcelles atteindre les 46 000 € l’ha. De la folie ! Du jamais vu sauf peut-être en 1991-1992. Mais en 1992, année de sinistre mémoire, les prix seront divisés par deux en à peine un mois.
En 2009 aussi, une crise économique – la crise immobilière des subprimes – est venue doucher les ardeurs. En six mois, les ventes de Cognac reculent de 27 % et le marché foncier viticole suit la même pente. Anticipant même le phénomène, il se ferme à double tour. Plus de transactions ou si peu. Dans l’aire géographique du Cognac, le marché foncier traverse alors une mini-période glaciaire.
un frémissement l’été 2010
Le premier semestre 2010 n’est guère différent. Le marché est stationnaire. L’heure reste toujours à l’attentisme. Les vendeurs potentiels gardent toujours en mémoire les prix de 2008. Quelque part, ces prix font figure de référence. « Et si jamais ils revenaient ! » Quant aux acheteurs, la confiance n’y est pas vraiment. Il faudra attendre l’été 2010 pour constater un frémissement de relance. Les ventes redémarrent un peu et les prix se raffermissent légèrement mais sans atteindre des excès. Dans de nombreux secteurs, les 28-30 000 € l’ha représentent souvent la norme. Dans de toutes petites régions très prisées par les acheteurs, les prix peuvent friser les 35 000 €-38 000 € l’ha mais encore davantage sur de la restructuration parcellaire (achat de parcelles) que sur de l’installation (surface plus importante de 5-10 ha et davantage). Dans les crus périphériques, les prix ne s’envolent pas, loin s’en faut. Quand il y a des acheteurs, c’est à 20-25 000 €.
Comme à son habitude, le marché des vignes reste très contrasté. Joue bien sûr la localisation des parcelles. La situation ne sera pas la même en Double Saintongeaise (secteur des « Bois » de Saint-Genis à Montguyon) ou dans le canton d’Archiac. Existent des secteurs où l’installation demeure très vivace comme le canton de Matha. Dans ces zones, face à une pléthore de candidats, l’offre constitue le facteur limitant. Ainsi, par exemple, pour 12 ha de vignes et 24 ha de terres qui sont à vendre sur le secteur du canton de Matha, la Safer Poitou-Charentes a reçu 21 candidatures, dont 3 ou 4 émanaient de jeunes cherchant à s’installer. A noter d’ailleurs que l’installation reprend un peu partout du « poil de la bête ». Voilà environ 5 ans que la tendance se vérifie en zone délimitée Cognac, avec un pic en 2008, suivi d’une pause en 2009. Décidément, l’année 2009 aura été une année à mettre « entre parenthèses ».
Sur le terrain, les conseillers fonciers de la Safer constatent un regain d’intérêt pour les échanges. « Les viticulteurs souhaitent limiter leurs coûts de production et donc leurs frais de déplacements. » Les acheteurs potentiels regardent également de près l’état du vignoble. Qu’est-ce qui peut faire varier de 1 à 2 voire de 1 à 3 le prix d’une vigne ? Son âge, sa situation (en terrain gélif ou pas), l’écartement, l’entretien. Des taux de pieds manquants de 25-30 % peuvent entraîner des décotes de 10 à 15 %. L’époque où l’on achetait « le lapin dans un sac » est passée de mode. Il faut assurer les volumes.
« des déserts viticoles »
Les techniciens fonciers s’avouent interpellés par un phénomène grandissant, le transfert de droits de plantation des crus périphériques vers les crus centraux. En jeu, la « création de déserts viticoles » dans certaines zones de Bons Bois et de Bois Ordinaires. « Il fut un temps, disent-ils, où la réglementation encadrait strictement ces transferts. On ne pouvait que monter d’un cru et encore fallait-il que ce soit dans le même canton ou dans un canton limitrophe. Ensuite, il fut admis de pouvoir descendre de cru et, aujourd’hui, la notion de cru a pratiquement disparu. Ne subsiste que la règle des 70 km et encore de manière très lâche. Le champ des possibles est ouvert. » Concrètement, aujourd’hui, le contrôle ne peut venir que de la Safer et de ses des comités techniques départementaux, c’est-à-dire des représentants des syndicats généralistes. Quand il y a vente, les délégués Safer sont appelés à se prononcer sur les candidats à la reprise. Pour s’interposer à la fuite du potentiel viticole vers d’autres crus, ils peuvent décider de préempter. Toutefois, en l’absence d’autres candidats, l’exercice trouve assez vite ses limites.
Ceux qui pilotent le marché foncier s’interrogent. « Pourquoi la profession viticole ne se saisit-elle pas davantage du problème ? Une réflexion ne pourrait-elle pas être menée pour revenir à un cadre plus strict ? Pendant ce temps, la concentration des exploitations va bon train. »
Quelqu’un comme Jean-Marie Baillif, président du Syndicat des producteurs de Pineau, partage cette inquiétude. Des élus de collectivités locales aussi, eux qui voient fondre le nombre de leurs administrés et les ressources de leurs communes, par la baisse des revenus cadastraux (voir témoignages de Jean-Marie Baillif et de Jacky Quesson).
droits de plantation
Autre sujet d’actualité : la menace de suppression des droits de plantation à l’horizon 2015-2017. Certes, rien n’est arrêté pour l’instant mais, dans les campagnes, le sujet s’est déjà invité dans les conversations. Ne conditionnerait-il pas déjà en partie les stratégies d’achat et de vente ? On lui imputerait aisément l’attentisme constaté ces derniers temps. Il est curieux de voir de quelle façon, avant tout début de commencement, les gens se projettent. En la matière, l’anticipation « ne fait pas un pli. » Par un phénomène de vases communicants, le prix des vignes irait à la baisse, tandis que monterait le prix des terres plantables. Si les droits de plantations disparaissaient, on peut parier sans risque d’erreur sur un énorme chambardement ; d’incalculables réactions en chaîne ; des régions viticoles à feu et à sang. Vision apocalyptique. Certes la grande majorité des viticulteurs se déclarent opposés à la dérégulation des droits de plantations, mais personne en exclut totalement l’éventualité. « On a vu tellement de choses en viticulture. »
Comment évoluera le marché foncier viticole charentais dans les mois à venir ? Les conseillers fonciers ont un avis clair sur la question. « Si les expéditions de Cognac se poursuivent au rythme actuel, elles auront une influence très forte et très rapide sur le nombre de transactions. Le marché n’est pas encore fluide mais le deviendra très vite. » Par expérience, ils parient sur la réactivité des viticulteurs. « Le foncier viticole, disent-ils, est en prise directe avec les indicateurs économiques du Cognac. » Quant à d’hypothétiques amortisseurs, personne n’y croit trop. « On entend un peu de tout sur le sujet. Les banques semblent dire qu’elles ne prêtent pas au-delà de 25 000 € de l’ha. Mais, sur certains dossiers, on a vu des montants bien plus élevés. Certes, peut-être ces clients ont-ils fait des apports personnels. Une chose est sûre, les banques partagent avec les viticulteurs le besoin de se développer. » « Il n’y a pas d’acheteur sans banquier, ajoute-t-on. Pour une bonne part, ce sont les banques qui sélectionnent les candidats potentiels. » Et l’on pourrait ajouter, les négociants. A l’évidence, le commerce joue un rôle dans la concentration. Comment rester modéré quand une convergence de vue s’instaure entre viticulteurs, négociants et banquiers ? Pas facile dans ces conditions de s’en tenir à la stricte orthodoxie, celle de la rentabilité de l’ha de vigne.
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