Maladie du Bois, une situation 2013 très préoccupante

26 février 2014

respecter et rénover les souches

Après une récolte 2013 décevante en rendements dans beaucoup de propriétés de la région délimitée, une majorité d’observateurs considère que les mauvaises conditions de floraison ont eu une incidence majeure sur la tenue du potentiel de grappes. Pourtant, les écarts de rendements importants de 6,5 à 12 hl d’AP/ha d’une parcelle à l’autre ou d’une propriété à l’autre interpellent ! Les dégâts des maladies du bois encore très présentes en 2013 sont venus s’ajouter aux effets de la coulure et du millerandage. Les travaux de recherche de la Station Viticole du BNIC confirment que les pertes de récolte moyenne liées au « trio infernal eutypiose-esca-BDA » se situent autour de 20 %. Ce chiffre moyen de perte de récolte inquiétant masque en plus de gros écarts selon les sites. Les effets viticulteurs et entretien du vignoble s’avèrent déterminants vis-à-vis de la pérennité du capital souches. Les exploitations dont la productivité est cette année supérieure à 10 hl d’AP/ha sont, en règle générale, beaucoup moins affectées par les maladies du bois. De bons gestes de taille, un repérage précoce des symptômes, des recépages bien conduits, le remplacement systématique des manquants, l’entretien soigné des jeunes plants dans les parcelles contribuent à préserver la productivité et à allonger la durée de vie des parcelles. Dans le vignoble de Cognac, les maladies du bois sont devenues une problématique majeure et difficile à combattre. Les seuls moyens de lutte dont les viticulteurs disposent, tendent soit à retarder l’expression des symptômes, soit à remplacer les ceps morts. Les viticulteurs ne peuvent pour l’instant que limiter le pouvoir de nuisance des maladies du bois en mettant en œuvre des démarches de rénovation de leurs parcelles. C’est un réel investissement dans des compétences, du temps et des moyens. Préserver l’intégrité des souches au fil des années est aujourd’hui la seule solution efficace pour réduire fortement les nuisances des maladies du bois sur les rendements.

 

 

L’Observatoire des maladies du bois a été créé en 2003 en Charentes pour quantifier l’évolution des dégâts au fil des années. Un réseau de 29 parcelles d’Ugni blanc réparties dans l’ensemble de la région délimitée permet d’apprécier l’évolution des symptômes d’eutypiose et d’esca-BDA. Patrice Rétaud, l’animateur vigne de la Chambre régionale d’agriculture Poitou-Charentes, vient de publier la synthèse des résultats 2013. Ce travail est le fruit d’une collaboration étroite avec les techniciens des Chambres d’agriculture de Charente et Charente-Maritime, de la FD-CETA, de la FREDON, de la Station Viticole du BNIC, de la société Fortet-Duffau et des viticulteurs. Les résultats 2013 confirment toujours de fortes expressions de symptômes et un taux de mortalité des souches en constante augmentation.

p29a.jpgL’Observatoire des maladies du bois, qui est implanté dans les deux départements, permet de suivre l’évolution des maladies sur un échantillon de 11 435 ceps (toujours les mêmes) répartis dans 29 parcelles d’Ugni blanc, dont l’âge varie entre 11 et 43 ans (7 parcelles de 11 à 23 ans, 10 de 24 à 33 ans et 9 de plus de 34 ans). Les parcelles sont réparties sur différents types de sols, 9 porte-greffes et les principaux systèmes de conduite (cordon haut, cordon bas, vignes palissées taillées à plat ou en arcure à différents écartements). P. Rétaud estime que le dispositif permet d’obtenir une « photo » annuelle de l’expression de symptômes. Par contre, il n’est pas possible d’utiliser cet outil d’observation pour quantifier précisément les effets porte-greffes, nature du sol et du sous-sol, taille… Le nombre de parcelles trop limité rend aléatoires toutes interprétations d’éléments de ce type. L’investissement technique mis en œuvre pour réaliser les observations est pourtant important car les notations d’expression de dégâts se déroulent à deux périodes différentes : fin mai ou début juin pour l’eutypiose et courant septembre pour celles de l’esca-BDA. Chaque parcelle de l’observatoire est totalement cartographiée et les observations sont effectuées toujours sur les mêmes ceps sauf lorsqu’un arrachage se produit.

Des notations de symptômes tenant compte de l’intensité d’expression des maladies

p29b.jpgLes techniciens qui réalisent les notations des symptômes tiennent compte de l’intensité d’expression sur les souches. Pour l’eutypiose, les symptômes légers avec seulement des tâches foliaires sont différenciés des formes fortes matérialisées par le rabougrissement de un ou plusieurs rameaux. Les notations de symptômes d’esca et de BDA sont réalisées de manière commune sans différencier les deux maladies. En effet, il est difficile de distinguer les dégâts liés aux deux maladies au moment des observations qui se déroulent en fin de saison (dans la première quinzaine de septembre en 2013). La forme lente d’esca commence par des jaunissements foliaires dont l’évolution dans le temps provoque des phénomènes de gril-
lure du limbe. Pour le BDA, les premiers dégâts apparaissent plus tôt, débutent par des grillures du limbe qui engendrent ensuite un jaunissement de leur périphérie. Par contre, l’intensité de la maladie est prise en compte en quantifiant deux niveaux d’expression de symptômes, ceux dits faibles (les décolorations foliaires) et ceux dits forts (apoplexie d’un seul bras de cep ou totale)

Un niveau d’expression de l’esca-BDA élevé en 2013

p30a.jpgL’enregistrement du niveau d’expression des symptômes sur le réseau de 29 parcelles depuis 11 ans permet d’observer une nette tendance du développement des maladies depuis 2005. Les résultats 2013 présentés par P. Rétaud confirment la gravité de la situation. L’expression des symptômes d’eutypiose a baissé (un niveau de 11,3 %) alors que les mois de mai et de juin ont été particulièrement humides et frais. Au niveau de l’esca-BDA, la légère baisse observée par rapport à 2012 ne doit pas occulter que le niveau d’expression de la maladie reste élevé. Presque 11 % des ceps ont été porteurs de symptômes. L’autre sujet d’inquiétude majeur de l’année concerne le taux de ceps morts ou absents qui continue de progresser régulièrement pour atteindre le niveau record de 7,1 %. La proportion de souches en fin de vie augmente malgré les efforts des viticulteurs de remplacement des manquants. Ce dernier point est sans aucun doute le point positif de l’année 2013. La plus forte implication des viticulteurs dans l’entretien des parcelles avec de réels efforts de remplacements des ceps morts se poursuit. Depuis maintenant quatre ans, l’entreplantation devient une pratique plus systématique dans de nombreuses propriétés (entre 2,2 et 2,8 % de jeunes plants d’un an dans les parcelles).

Un impact sur la productivité que l’on ne peut pas nier

p30b.jpgL’ensemble de ces données confirme le pouvoir de nuisibilité des maladies du bois en 2013 et la situation est très préoccupante. Le cumul des dégâts liés à l’eutypiose, à l’esca-BDA et du taux de ceps morts de 7,1 % a sans aucun doute eu un impact sur la productivité des parcelles. Les travaux de la Station Viticole du BNIC situent les pertes moyennes de rendements à 20 %. C’est un chiffre qui fait réellement peur ! Dans certaines parcelles, la productivité semble moins affectée mais, dans d’autres, c’est encore plus inquiétant. L’autre élément dont il faut tenir compte est la forte fluctuation de l’expression des symptômes au sein de l’échantillon des parcelles

L’extériorisation de l’eutypiose et de l’esca-BDA varie fortement et certains sites semblent très peu touchés et d’autres littéralement « infestés ». L’analyse plus détaillée des enregistrements au niveau des 29 parcelles révèle que l’âge des plantations et le soin apporté à l’entretien du capital de souches par les viticulteurs ont une incidence sur le degré de nuisance des maladies du bois.

De plus fortes fluctuations des symptômes d’eutypiose

p31.jpgL’évolution des symptômes d’eutypiose révèle des variations assez importantes depuis 11 ans. Les premières années de 2003 à 2005, les dégâts constatés se situaient aux alentours de 20 %. Ensuite, durant la période de 2006 à 2008, leur intensité est restée à un niveau élevé (entre 16,7 et 18,6 %). Les dégâts ont ensuite fortement régressé entre 2009 et 2011, dont les printemps avaient été secs et plutôt chauds. En 2012, l’extériorisation de la maladie semble avoir été favorisée par les conditions humides du printemps. Les techniciens pensent que les toxines produites par l’eutypiose ont agi plus longtemps. Des observations de terrain antérieures ont démontré l’influence des printemps frais et humides vis-à-vis de plus fortes expressions de symptômes. Ce constat ne semble pourtant pas s’être reproduit en 2013 où, malgré un climat assez comparable à celui de 2012, ils ont régressé. Cette situation interpelle beaucoup les techniciens.

 

Une progression modérée et régulière de l’esca et un effet âge des parcelles

p31b.jpgL’évolution des dégâts d’esca-BDA depuis 2003 dans les 29 parcelles de l’observatoire est très préoccupante. Les dégâts qui pouvaient être considérés comme minimes en 2003 (2,6 %) atteignent aujourd’hui 10,8 %. La fréquence des symptômes forts d’apoplexie en 2013 dépasse 20 %, ce qui renforce l’inquiétude pour les années à venir. La progression des dégâts a été modérée mais régulière jusqu’en 2011 ; mais, en 2012, la nuisibilité a battu tous les records en atteignant 12,9 %. La petite diminution des symptômes observée en 2013 ne doit pas occulter le fait que les dégâts restent bien supérieurs à ceux de 2011 (10,8 % en 2013 et 8,4 % en 2011). Le traitement statistiques des données de l’Observatoire illustre l’absence de relation entre l’expression de l’esca et celle de l’eutypiose. Le taux de ceps morts est aussi indépendant des taux d’expression annuels d’esca ou d’eutypiose, même s’il est la conséquence des infestations de ces maladies lors des années antérieures. L’âge des parcelles a permis de mettre en évidence que les plantations entre 15 et 30 ans sont les plus atteintes. Au-delà 35 ans, les parcelles expriment moins de symptômes.

Le remplacement des ceps morts en nette progression depuis quelques années

p32.jpgLe remplacement des ceps morts par le biais de l’entreplantation ou des recépages reste une pratique qui ne fait pas encore l’unanimité au sein de l’Observatoire des maladies du bois. 10 parcelles sur les 29 ne font l’objet d’aucune démarche de rénovation. Le remplacement des ceps absents, morts ou fortement déficients permet de reconstituer le potentiel de souches des parcelles et de préserver les niveaux de productivité. Les jeunes plants implantés dans des parcelles adultes subissent les effets de concurrence et mettent souvent du temps à devenir pleinement productifs. Au sein de l’observatoire, les huit parcelles ayant le moins de ceps morts présentent aussi le taux de rénovation le plus élevé. Néanmoins, les démarches de remplacement perdent une partie de leur intérêt dans la dernière décennie précédant l’arrachage d’une parcelle.

 

Un degré d’implication dans la rénovationdes parcelles variable selon les viticulteurs

p33.jpgL’implication dans les démarches de rénovation des parcelles est directement dépendante de la volonté personnelle de chaque viticulteur. Certains considèrent ces interventions comme indispensables pour prolonger la longévité des parcelles de 10 ou 15 ans alors que d’autres les jugent comme peu efficaces et trop contrai-
gnantes à mettre en œuvre. Les promoteurs de l’entreplantation et du recépage mettent en œuvre ces pratiques sans se soucier de l’âge des vignes. D’une manière générale, les parcelles régulièrement rénovées ont un taux de ceps morts moindre. Ce constat est confirmé par les résultats de l’Observatoire sauf dans deux parcelles (les 12 et 48). Le taux de mortalité élevé de ces deux sites fortement entreplantés est la conséquence d’un manque d’entretien des entreplants pendant les périodes de chaleur de juillet-août 2012 et 2013. Faute d’avoir été arrosés au bon moment, une proportion importante de jeunes plants se sont desséchés à l’intérieur des manchons. La charge de travail engendrée par les démarches de rénovation des parcelles ne doit pas être sous-estimée, car la réussite du développement des jeunes souches est directement proportionnelle au niveau de soins cultu-raux apportés lors des premières années. La mise en terre des greffés soudés dans de bonnes conditions aux mois de février ou mars doit s’accompagner ultérieurement d’une succession d’interventions en cours de la saison qui contribuent à la réussite de leur implantation.

La maîtrise des chantiers d’entreplantation et de recépage est déterminante

La notion de chantier d’entreplantation ou de recépage a dans les faits une véritable signification. Le suivi et l’établissement de jeunes plants dispersés dans des parcelles adultes demande le même niveau d’implication et d’attention que la réalisation d’une plantation entre la première et la troisième feuille. Dans les parcelles désherbées, l’adaptation des programmes d’herbicides et la pose de manchons de protection s’avèrent indispensables pour préserver les jeunes pousses. En cours d’été, l’élimination des herbes pouvant se développer à la base des manchons et la réalisation d’un ou plusieurs arrosages (selon les conditions climatiques) contribuent à favoriser la croissance des jeunes plants. Dans les parcelles dont le dessous des rangs est travaillé mécaniquement (avec des interceps), la pose de deux tuteurs est une sage précaution pour éviter tous dégâts des lames sur la base du porte-greffe. La bonne alimentation en eau des jeunes plants en été doit aussi être surveillée de près. La réalisation d’un ou deux arrosages est parfois indispensable. La pratique du recépage nécessite également beaucoup d’attention pour réussir l’établissement du nouveau tronc dans de bonnes conditions. Le tuteurage et l’attachage des jeunes pousses souvent vigoureuses sont indispensables pour les protéger des phénomènes d’essolage. Les interventions d’égourmandage des jeunes plants en 2e-3e feuille et des ceps recépés sont des opérations importantes pour la construction des troncs des futures sou-
ches. Tous ces travaux supplémentaires doivent être bien organisés et anticipés, sinon la réussite d’une démarche de rénovation peut être décevante.

Rénover avec constance les parcelles donne de bons résultats

La maîtrise globale de l’ensemble des travaux de rénovation demande du savoir-faire, du temps, de la réactivité et forcément des moyens. Leur mise en œuvre fait encore débat au sein de nombreuses propriétés. Dans les exploitations de grandes surfaces employant exclusivement de la main-d’œuvre salariée, la maîtrise des chantiers de rénovation paraît plus difficile à gérer principalement en raison des exigences de réactivité à certaines périodes de l’année. Les opérations d’attachage des jeunes pousses, l’égourmandage, l’arrosage doivent être réalisées au moment opportun. Dans les propriétés de plus petites surfaces, il est plus facile de faire preuve de réactivité pour réaliser l’ensemble des interventions de rénovation. Le remplacement des ceps morts est ac-
tuellement la seule solution efficiente pour conserver une bonne productivité et prolonger la durée de vie des parcelles (de 10, 15 ans). Dans des vignes à faible densité (3 m sur 1,20 m), l’augmentation des nuisances des maladies du bois et des taux de mortalité dégrade de manière inéluctable le potentiel de souches. Faute d’un entretien régulier, la productivité des parcelles peut décrocher assez rapidement dès le cap des 15 ans. Ensuite, la rénovation de jeunes parcelles fragilisées demande la mise en œuvre des moyens encore plus conséquents dont l’efficacité n’est pas immédiate. Il faut souvent attendre 4 à 5 ans pour voir la productivité remonter, ce qui crée souvent un climat d’insatisfaction autour des pratiques de rénovations.

Respecter les réalités agronomiques : un acte de gestion à part entière

Voir au bout de seulement 15 à 20 ans, des parcelles non rénovées (ayant perdu 20 à 25 % de leurs ceps d’origine) peiner à pro-
duire 60 à 70 hl/ha est bien sûr vécu comme une situation d’échec par les viticulteurs. Malheureusement, cette réalité agronomique ne peut plus être occultée et cela a des conséquences économiques dans le long terme. Un, deux, trois hectolitres d’alcool pur de moins par hectare pèsent lourd dans le résultat d’un compte d’exploitation. Les propriétés peuvent-elles prendre le risque financier de produire moins en n’entretenant pas leur capital de souches de vignes jusqu’à 25 ans ? Les démarches de rénovation des parcelles donnent pleine satisfaction dans la mesure où elles sont réalisées régulièrement. C’est une stratégie de lutte contre les maladies du bois qui demande de la cons-
tance. L’investissement annuel dans la rénovation de 3 % des souches dans des parcelles de 15 à 30 ans est un acte de gestion économique du potentiel de production des propriétés. Il n’existe actuellement pas d’autres solutions curatives de pallier la mortalité et les nuisances des maladies du bois. Ne pas investir dans le travail de rénovation, c’est assumer le risque de voir vieil-lir prématurément les parcelles. Certains responsables de propriétés, qui ne souhaitent pas s’engager dans des démarches de rénovation systématiques, préfèrent planter des jeunes vignes à des densités plus élevées. L’augmentation du potentiel de souches/hectare à 3 000-3 500 ceps au lieu de 2 000-2 500 représente un moyen efficace d’accroître et de maintenir à la fois la productivité et la longévité, mais en contrepartie cela engendre des investissements et des coûts de production annuels supplémentaires. C’est une autre approche agro-économique de gestion du potentiel de production.

Bibliographie :
− Synthèse 2013 des résultats de l’Observatoire des maladies du bois publié dans le BSV Viticulture Charentes du 14 janvier 2014.
– Patrice Rétaud, l’animateur filière vigne de la Chambre régionale d’agriculture Poitou-Charentes.

 

 

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