Maison pasive : l’autonomie énergétique en action

26 juillet 2010

Une maison qui se chauffe toute seule… c’est le concept de la maison passive, qui n’a de passive que le nom. Une série de techniques très pointues sont mises en œuvre – isolation, étanchéité, circulation de l’air, construction bioclimatique – pour réduire la facture énergétique à presque rien. La France commence à découvrir les maisons passives. Une des premières en Poitou-Charentes va voir le jour à Eraville, chez Biomotik.

nebout.jpgAprès avoir fait partie des pionniers du solaire photovoltaïque dans la région (voir Le Paysan Vigneron n° 1100), Eric Nebout récidive avec la maison passive. Il est en train de mettre la dernière main à sa propre maison d’habitation, conçue selon les principes de la maison passive. L’ouvrage servira aussi de bâtiment témoin. Car la société d’E. Nebout, Biomotik, proposera bientôt des maisons passives clé en main. Mais pour en arriver là, il fallait se tester, tester les matériaux et les artisans chargés de les mettre en œuvre. Voilà trois ou quatre ans qu’Eric Nebout et son équipe travaillent au projet. Une plongée assez fascinante dans les arcanes de la performance énergétique.

se passer de chauffage

Qu’est-ce qu’une maison passive ? C’est une maison dans laquelle on peut se passer de chauffage. Comment ? Les principes de base de la maison passive reposent sur plusieurs éléments : une isolation et une étanchéité parfaites à l’air ; avec des matériaux qui accumulent la chaleur le jour et la restituent la nuit ; l’application du concept de construction bioclimatique ainsi que l’utilisation d’une VMC double flux, pour le renouvellement de l’air. Relativement simple sur le papier, la maison passive réclame, pour sa réalisation, une exigence de tous les instants. Rien ne doit être laissé au hasard, ni les matériaux utilisés, ni l’exécution. Une erreur et plus rien ne marche. C’est pourquoi un gros travail d’ingénierie accompagne l’édification d’une maison passive.

La maison construite par Eric Nebout près de son atelier, à Eraville, présente une surface habitable de 180 m2. Elle compte une pièce principale de vie, quatre chambres, deux salles de bains, une cuisine, un « home cinema ». Pour cet ensemble, il est prévu d’installer juste deux radiateurs dans les deux salles de bains, alimentés entre autres par des panneaux solaires thermiques. En tout, la facture « chauffage » ne devrait pas excéder, annuellement, 30 à 50 €. « Dans cette maison, nous visons une consommation énergétique pour le chauffage de 3 kWh/m2 et par an » indique Eric Nebout. Ce niveau de consommation est inférieur à ce qui est admis pour avoir droit au label « maison passive » : ne pas consacrer au chauffage plus de 15 kWh/m2/an.

bioclimatisme

En fait, le concept de maison passive est plus ambitieux que cela. Il pointe ni plus ni moins la totale autonomie énergétique ou au moins les 98 %. Pour en arriver là, il faut d’abord exploiter tous les gains que peut apporter le bioclimatisme. La façade de la maison d’E. Nebout est bien évidemment exposée au sud. Toutes ses ouvertures – de larges baies vitrées – sont orientées côté soleil. Au nord, il n’y a aucune fenêtre. D’ailleurs, le bâtiment est en partie enterré sur cette face. Eric Nebout reconnaît « qu’au niveau architectural, cela donne des maisons toujours un peu pareilles. » Comme matériau de construction, il a opté pour le béton cellulaire.

Plus connus sous le nom commercial de Siporex, ces panneaux blancs qui ressemblent à des parpaings mais en plus légers, se composent de sable, de chaux et de ciment. Doté d’une forte capacité d’inertie, le béton cellulaire est un excellent accumulateur thermique. Quand le soleil darde ses rayons sur les murs, le béton cellulaire emmagasine la chaleur et la « relargue » la nuit, à coup de 10-12°. On parle alors de « déphasage ». Les maisons charentaises traditionnelles, construites en moellons, présentent à peu près les mêmes caractéristiques, sauf que la pierre est beaucoup moins isolante que le béton cellulaire. Sur les parois de béton cellulaire, va venir s’apposer une isolation par l’extérieur, selon le principe de « l’isolation thermique répartie ». A Eraville, on a utilisé du « multipor », un matériau qui s’apparente au béton cellulaire mais rempli d’air et donc ultra-léger. A l’application, il ressemble à du polystyrène expansé. C’est un très bon isolant.

Côté menuiserie, la maison passive commande de travailler avec des matériaux spécifiques, présentant un coefficient d’isolation très important. Il s’agira de double ou de triple vitrage – on trouve les deux – mais avec un bâti triple épaisseur : intérieur bois, mousse polyuréthane, capotage aluminium extérieur. Autre équipement indispensable : la VMC. Une maison passive ne se conçoit pas sans sa VMC (ventilation mécanique contrôlée). La VMC, c’est l’équipement pour ainsi dire consubstantiel de la maison passive. Compte tenu du degré d’étanchéité, il est en effet nécessaire de « faire respirer » la maison, c’est-à-dire renouveler l’air et le faire circuler, si possible en le réchauffant l’hiver. La VMC pourra être simple flux ou double flux mais plus sûrement double flux. Avec la VMC double flux dite « thermodynamique », l’idée est de récupérer les calories contenues dans l’air chaud vicié de la maison (cuisine, salle de bains) par l’intermédiaire d’un échangeur air/air (sorte de pompe à chaleur). Il s’agira ensuite de faire circuler l’air froid provenant de l’extérieur sur cet échangeur, afin de le réchauffer. Selon la célèbre formule de Lavoisier – « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » – une VMC double flux de qualité récupère jusqu’à 90 % des calories l’hiver.

On l’aura compris ! Le fonctionnement de la VMC double flux, montée sur courant continu, repose sur sa capacité à guider les flux d’air. Pour ce faire, il conviendra de positionner l’entrée d’air neuf à l’opposé de la sortie d’air vicié. Naturellement, pour l’entrée d’air neuf, on choisira plutôt les pièces de nuit et, pour la sortie, plutôt la cuisine et la salle de bains. Bénéfice associé de la VMC double flux : elle facilite la circulation de l’air entre parties basses et parties hautes des pièces, alors que la ventilation classique, en « laissant faire », a plutôt tendance à stratifier l’air – renouvellement seulement en partie basse et non en parties hautes – d’où la nécessité d’ouvrir fréquemment les fenêtres pour changer l’air. Toujours en ce qui concerne la VMC double flux – décidément un organe vital de la maison passive – le « must » va consister à l’associer à un puits canadien.

une longue chenille

Le « puits canadien » n’est pas autre chose qu’une longue chenille de tuyaux plastiques d’une cinquantaine de mètres, enterrée dans le sol à environ deux mètres de profondeur. Les tuyaux, dont les cercles sont espacés les uns des autres de 2 mètres, contiennent de l’eau glycolée. Un ventilateur fait circuler l’air dans les tuyaux, un air filtré en sortie de buse avant d’être expédié vers la VMC. L’hiver, quand la température du sol affiche 7° et celle de l’air extérieur – 5°, le puits canadien – qui fonctionne comme un échangeur thermique – permettra de récupérer jusqu’à 3°. A l’inverse l’été, quand les températures extérieures grimpent à 30-35°, le puits canadien joue l’effet inverse. Avec des températures de sol contenues à 12-15°, il fera office de climatiseur.

éviter la surchauffe l’été

Eric Nebout note d’ailleurs que le principal problème de la maison passive n’est pas tant de récupérer des calories l’hiver que d’éviter la surchauffe l’été. Chez lui, le technicien espère bien ne pas dépasser les 26° intérieurs. Pour ce faire, le puits canadien peut se révéler un auxiliaire fort utile. A condition d’être bien posé et bien géré. « C’est un outil qui donne toute satisfaction quand tous les paramètres sont remplis » note l’électricien spécialisé dans les énergies renouvelables. Lors de la pose, il faudra être particulièrement attentif à la pente et, en cours de vie, veiller à l’évacuation des condensats qui se forment inévitablement dans les tuyaux. A cette fin, on utilisera une pompe de relevage. A défaut, le puits canadien pourrait devenir un nid à germes. C’est pour cela que, dans ses installations de puits canadiens, Eric Nebout équipe systématiquement la pompe de relevage d’une alarme, au cas où l’appareil manifesterait une défaillance.

Une fois la maison passive presque achevée – hors d’eau, hors d’air – elle passera le test de l’étanchéité à l’air, dit encore test de l’infiltrométrie, pour savoir si, oui ou non, les critères de « passivité », autrement dit d’inertie thermique, s’appliquent bien à elle. Portes et fenêtres bouclées, un gros ventilateur soufflera à l’intérieur tandis qu’à l’extérieur, l’on mesurera les fuites d’air. Si les fuites dépassent 0,6 fois le volume de la maison en une heure, elle ne pourra pas prétendre à la qualité de « maison passive. » Et les rattrapages ne seront sans doute pas évidents à opérer. C’est pour cela qu’une maison passive souffre mal l’approximation, tant dans sa conception que dans sa réalisation.
E. Nebout évoque la difficulté à trouver de bons artisans, au fait des nouvelles techniques et des matériaux. Pour le béton cellulaire, il s’est adressé au maçon Jean-Jacques Dumas, spécialiste dans le domaine (voir article page 33).

Une étude thermique et dynamique précède obligatoirement tout projet de maison passive. Dans le cas d’Eric Nebout, c’est son collaborateur Nicolas André qui l’a réalisée. Jeune ingénieur en thermique du bâtiment, il a rentré sur l’ordinateur de très nombreux éléments : surfaces intérieure, extérieure, données bioclimatiques, types d’isolation, types de matériaux, U des matériaux… Le U des matériaux correspond au coefficient de transmission thermique. L’homologation « maison passive » nécessite des U très faibles. Plus le U est faible, plus l’isolation est significative.

surcoût

Une maison passive coûte-t-elle beaucoup plus cher qu’une maison normale ? Eric Nebout évalue le surcoût dans une fourchette de 200 à 500 € le m2, sachant que le prix de revient d’une maison « normale » tourne autour de 1 200 € le m2. Selon les cas, le surcoût représenterait donc de 15 à 40 %. A Eraville, il semble que la facture soit contenue à + 200 € du m2 mais l’électricien le reconnaît : « Cela va très vite. Le dérapage est facile. Il faut vraiment être vigilant sur tout. » C’est aussi pour cette raison qu’il n’a pas choisi d’utiliser des matériaux écologiques type bois. « Cela faisait exploser les budgets ». Par ailleurs, tout en étant sensible à la cause écologique, l’électricien avoue être pour l’instant davantage tourné vers la performance énergétique. A ce titre, un matériau comme le béton cellulaire répondait parfaitement à ses attentes.

Reste à savoir si, sans chaleur d’appoint, on peut « passer l’hiver » ? Si la maison passive ne vire pas à la maison glaçon ? Le technicien annonce une température moyenne autour de 19-20°. Ne serait-ce pas un peu juste pour être franchement à l’aise ? « Non répond l’installateur. « Il faut savoir qu’à température égale, ce type de maison ne génère pas la même sensation de froid qu’une maison peu isolée. En terme de confort, la différence est extrêmement sensible. Grâce à l’absence de rayonnement du vitrage, à l’hyper isolation des sols, on gagne facilement un ou deux degrés. » A Eraville, la maison d’Eric Nebout se complète de tout un aspect « domotique » : variation électrique en fonction de la présence, de l’intensité lumineuse…

En Poitou-Charentes, la maison passive de Biomotik sera sans doute l’une des premières du genre. Une autre pointe son nez en Charente-Maritime. Dans ce domaine aussi, la France affiche un franc retard par rapport à l’Allemagne. Là-bas, des maisons passives existent depuis les années 80. Outre-Rhin, le « père » du passif s’appelle Wolfang Feist. Créateur du Passivhaus Institut de Darmstad, il a posé les bases de l’habitat passif, avec ses collègues danois et suédois (Bo Adamson, de l’université de Lund en Suède). En France, une association fédère les initiatives, facilite les échanges. Il s’agit de l’association La maison passive France et son lien internet www.lamaisonpassive.fr. A partir de l’été, la maison passive d’Eric Nebout pourra être visitée, sur rendez-vous.

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