Lorsqu’à la fin des années 80, André Royer a décidé de céder le capital de l’entreprise familiale, la recherche d’un partenaire qui respecterait les structures humaines et historiques de la société familiale était pour lui un critère de choix déterminant. 20 ans plus tard, il peut être fier d’avoir confié les destinées de la société Louis Royer à un groupe étranger qui partage cette même volonté de développement à dimension humaine. Il y a quelques semaines, les responsables de la société Louis Royer et du groupe Suntory avaient organisé une manifestation interne pour célébrer, avec l’ensemble du personnel, deux décennies de collaboration fructueuses.
Durant la période 1989-2009, les expéditions de Cognac dans le monde et sur le marché intérieur japonais ont connu de fortes fluctuations. La forte expansion des ventes de Cognac de vieilles qualités au Japon a créé un climat d’euphorie de 1988 à la fin 1991. Par la suite, la région délimitée a traversé l’une des crises les plus importantes de son histoire qui a fragilisé considérablement l’outil de production. L’augmentation régulière des expéditions à partir du début des années 2000 et une baisse des volumes distillés ont permis au vignoble de retrouver un équilibre économique satisfaisant. Depuis le milieu de l’année 2008, la crise économique mondiale semble impacter l’évolution des ventes et la perspective d’une nouvelle période difficile « pointe son nez ».
1989, le marché Japonais « tire » les ventes de Cognac
1989, une année qui reste gravée dans la mémoire de beaucoup de professionnels de la région délimitée. Les ventes de Cognac augmentent de façon très forte sous l’impulsion du marché japonais qui consomme des volumes inégalés de qualités supérieures. Les expéditions totales de Cognac au 30 août 1989 atteignent le niveau inespéré de 423 000 hl d’AP, en progression de 5 % en volume et de 14 % en valeur. L’explosion d’un seul marché, le Japon avec + 35 % en volume et + 44,5 % en valeur sur une campagne, provoque tout d’un coup la psychose de la sous-production : « va-t-on manquer d’eaux-de-vie rassises ? ». Le stock d’eaux-de-vie régional va-t-il permettre d’alimenter ce marché que tous les acteurs commerciaux considèrent comme « un Eldorado ».
Les Japonais apprécient beaucoup les qualités supérieures dont la consommation entre chefs d’entreprises, collègues de travail, symbolise la réussite sociale. De grandes sociétés japonaises et des distributeurs de vins et spiritueux travaillent de longue date avec des négociants de Cognac pour promouvoir les ventes de grandes marques. Des volumes d’eaux-de-vie en vrac significatifs sont aussi utilisés pour bonifier les fabrications de brandies japonais. La dynamique très positive autour du nectar charentais à la fin des années 80 amène beaucoup d’importateurs à construire des partenariats avec le négoce cognaçais pour travailler les marchés bouteilles, et les résultats sont à la hauteur des espérances. Certaines entreprises nippones vont même jusqu’à investir dans des maisons de négoce à la recherche de partenaires financiers. Jusqu’en 1991, le vignoble de Cognac a été tiré par le marché japonais qui était devenu le premier débouché de la région.
Des premiers contacts commerciaux remontant à la fin des années 60
Le grand négoce a fortement bénéficié de l’explosion du marché japonais et de gros efforts sont concentrés sur ce pays. Les petites et moyennes sociétés ont vu aussi leur activité « dopée » par la demande japonaise qui pour certaines est nouvelle alors que d’autres travaillent depuis longtemps dans ce pays. C’est le cas de la société Louis Royer de Jarnac dont les premières démarches commerciales au Japon remontent à la fin des années 60. Dans les années qui ont suivi, les premières transactions de Cognac de la société Louis Royer ont commencé et se sont pérennisées. André Royer a noué des relations plus étroites avec l’important groupe familial Suntory dans le courant de la décennie 80. La société était incontournable dans l’univers des spiritueux de ce pays avec une position de producteur et de metteur en marché n° 1 du whisky, la distribution des Cognacs Martell et une image de producteur de Brandies de qualité. C’est cette dernière activité qui a amené les responsables du groupe Suntory à tisser des liens plus étroits avec la région de Cognac où des achats d’eaux-de-vie en vrac significatifs étaient effectués pour bonifier les productions de Brandies japonais.
A partir du milieu des années 80, les échanges commerciaux entre la société Louis Royer et le groupe Suntory ont connu une nette expansion et les deux partenaires ont appris à se connaître et progressivement des liens plus profonds se sont tissés. La société Louis Royer évoluait dans l’univers des petites et moyennes maisons de négoce dont le fonctionnement reposait sur une diversité de produits, du Cognac, du Brandy, des vins….
Une synergie de culture d’entreprise
L’équilibre économique de l’entreprise était assuré par cette diversité de produits et de débouchés différents. M. André Royer, qui présidait aux destinées de la société, était convaincu que pour développer l’activité Cognac, des investissements conséquents dans le moyen terme étaient nécessaires. Or, les moyens financiers d’une PME du Cognac bien gérée ne lui paraissaient pas suffisants pour atteindre cet objectif. Progressivement l’idée de rechercher un partenaire pour structurer dans le long terme l’activité de Louis Royer s’est imposée. Prendre une telle décision au sein d’une entreprise familiale d’environ 40 salariés où tout le monde se connaît ne peut pas être abordée avec légèreté. Au-delà les aspects financiers, le devenir des hommes et de l’entreprise jarnacaise était pour ce responsable très attaché à la région de Cognac des éléments importants. Etait-il possible de trouver un investisseur qui donne à cette PME du Cognac les moyens de se développer dans le long terme en s’appuyant et en valorisant les équipes et les infrastructures existantes ? Les inquiétudes d’A. Royer sur ce sujet étaient justifiées par le devenir d’un certain nombre de PME du Cognac qui, une fois rachetées, ont souvent été profondément restructurées, fusionnées et parfois délocalisées. Après avoir étudié plusieurs propositions de reprises, A. Royer a décidé de céder le 23 mars 1989 l’entreprise au groupe japonais Suntory dont il connaissait de longue date les dirigeants tous issus de la famille Torii. En 1989, Suntory était le n° 1 de la distribution des vins et spiritueux au Japon et commercialisait 15 000 000 de caisses de Whiskys, 3 200 000 caisses de Brandies. La principale spécificité du groupe Suntory est que son capital est totalement contrôlé par les membres de la famille Torii depuis sa création et la volonté première des dirigeants est de conserver la pleine maîtrise du devenir de leur entreprise. L’ensemble de l’activité est réalisé à plus de 80 % au Japon et à partir du milieu des années 80, le groupe a eu la volonté d’acquérir un certain nombre d’activités de production et de marques commerciales dans le monde pour mieux assurer le développement de son marché intérieur. L’acquisition de la société Louis Royer est intervenue à l’époque où les ventes de Cognac sur le marché japonais étaient en forte expansion, d’où la volonté du groupe de sécuriser ses approvisionnements de Cognac destinés à bonifier les Brandies Suntory et à développer une marque de Cognac dans le monde.
Une volonté de structurer l’activité Cognac dans la durée
Au moment de son rachat, la société Louis Royer était une PME dont l’activité était diversifiée dans le Cognac, les Brandies et les vins. L’entreprise réalisait un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros et employait 50 à 60 personnes. Le groupe Suntory a connu à la fin des années 80 un fort développement de son activité en raison de l’expansion du marché des alcools bruns : les Whiskys, les Brandies et le Cognac au Japon. Les ventes en duty free et les consommations sous la forme de cadeaux d’entreprises ont tiré le marché jusqu’à la fin de l’année 1991. A cette époque, le groupe commercialisait 15 millions de caisses de Whiskys, 3 200 000 caisses de Brandies supérieurs. Dès son rachat, la société Louis Royer a bénéficié des investissements conséquents du groupe Suntory qui se sont concentrés sur la filière Cognac. Le souhait des nouveaux propriétaires était de structurer l’activité Cognac en ayant une approche technologique et humaine pleinement respectueuse des usages de la filière de production régionale d’eaux-de-vie. Elaborer des eaux-de-vie de qualité en s’appuyant sur des compétences humaines a été une des priorités du groupe japonais pendant les 5 à 7 premières années.
Le fonctionnement de cette PME s’est accéléré avec le renforcement et la formation des équipes (recrutement d’un responsable de laboratoire Pascal Ribe, d’un jeune maître de chais Laurent Robin), la création d’un service qualité, la forte hausse d’achats d’eaux-de-vie (pour se constituer un stock), l’acquisition d’une distillerie, les moyens de stockage (bâtiments et futaille), la rénovation complète du centre d’embouteillage.
Une diversification initiée suite à la crise financière au Japon à partir de 1991
La crise financière au début de l’année 1992 a entraîné une brutale chute de la consommation des spiritueux haut de gamme car les entreprises japonaises ont demandé à leurs cadres de réduire, voire de stopper l’utilisation des cartes de crédit des sociétés. Ainsi, les ventes de Whiskys, de Brandies et de Cognac ont baissé régulièrement jusqu’à la fin des années 1990. Les consommateurs historiques de VSOP, d’XO n’avaient plus les moyens d’acheter à titre personnel des bouteilles de Cognac et progressivement ils se sont détournés de ces produits. Par ailleurs, les attentes de consommation des nouvelles générations étaient orientées vers d’autres produits moins alcoolisés, des cocktails, des liqueurs, des vins.
Pour faire face à ce changement d’attitude des consommateurs japonais, le groupe Suntory a décidé, à partir de 1992-1993, de diversifier son activité en s’engageant dans la production et la distribution de nouveaux produits, des boissons non alcoolisées, des vins, des liqueurs et de la bière. Les ventes de Whisky, de Cognac et de Brandy du groupe Suntory ont été divisées par 6 en deux décennies suite à une évolution de la demande. L’entreprise s’est donnée les moyens de faire face à cette évolution et actuellement elle est toujours un acteur de tout premier plan au Japon : « Le n° 1 des liqueurs et des spiritueux, le n° 2 des vins, le n° 2 du sans alcool et le n° 3 de la bière.
Un débouché « liqueurs » qui crée une nouvelle dynamique commerciale
La filiale charentaise Louis Royer a ressenti avec trois-quatre ans de décalage les conséquences de la baisse de la demande de Cognac sur le marché japonais au début des années 90. En effet, le groupe Suntory a continué de soutenir l’activité de sa filiale charentaise en lui donnant les moyens à la fois de poursuivre une politique d’investissements structurée sur la filière eaux-de-vie de Cognac et de développer de nouveaux produits dans l’univers des spiritueux. La recherche de nouveau secteur d’activité en dehors du Cognac était devenue un objectif important pour que l’entreprise retrouve des capacités financières suffisantes.
L’arrivée de Megumi Kato en 1994 au poste de directeur général a marqué le démarrage d’une nouvelle aire pour la société Louis Royer. Les équipes techniques de Jarnac, animées par P. Ribe et L. Robin, ont travaillé avec leurs collègues japonais à la définition de nouvelles boissons spiritueuses et tout particulièrement des liqueurs qui étaient un créneau de marché en plein essor au Japon. En 1998, Louis Royer a lancé une première liqueur aux litchis Paraiso dont le succès rapide a conforté le bien-fondé de cette diversification. Le savoir-faire des équipes de production de L.R. en matière d’élaboration de liqueurs a permis de nouer des contacts avec des importateurs sur de nouveaux marchés pour élaborer des spiritueux spécifiques. Dans des pays comme les Etats-Unis, l’Europe et l’Asie, la commercialisation de ces produits a connu un certain succès. Actuellement, 15 liqueurs sont élaborées (certaines avec du Cognac) et commercialisées par la société L.R. dans le monde entier. La dynamique commerciale créée par la nouvelle activité liqueurs a eu des retombées positives sur les ventes de Cognac. Les importateurs qui distribuaient les liqueurs se sont aussi intéressés au Cognac et les ventes sont rentrées dans une dynamique de progression régulière depuis 10 ans.
Une politique d’achat de vin et d’eaux-de-vie structurée
La capacité d’innovation et les progressions commerciales de l’ensemble des familles de produits ont permis de tisser des liens solides entre les équipes de Suntory et de Louis Royer. Un dialogue de confiance s’est instauré entre le groupe japonais et sa filiale. L’entreprise dispose aujourd’hui de structures technologiques performantes et l’ensemble du personnel (environ 100 personnes actuellement) fait preuve d’implication et de réactivité pour satisfaire les attentes des importateurs.
La société Louis Royer a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de 36 millions d’€ dont 50 % de l’activité s’effectuent désormais en dehors du marché japonais. Le débouché Cognac représente 220 000 caisses, les Brandies 296 000 caisses et les liqueurs 140 000 caisses. Les ventes de Cognac connaissent depuis 10 ans une progression régulière avec une proportion de qualités supérieures en net développement. Pour l’instant, les effets de la crise économique ne se font pas sentir sur les ventes de la marque grâce à la bonne tenue des débouchés en Asie. Les approvisionnements d’eaux-de-vie (des besoins annuels de 8 000 à 10 000 hl d’AP) sont abordés d’une façon structurée depuis un certain nombre d’années. Les enjeux qualitatifs sont importants car l’entreprise élève un stock d’eaux-de-vie conséquents dans les chais de Jarnac. Jérôme Royer, qui a en charge la gestion des approvisionnements d’eaux-de-vie, a mis en place une démarche d’achat contractuelle en eaux-de-vie nouvelles et en rassises. La maison de négoce travaille avec des viticulteurs répartis dans tous les crus qui livrent soit des vins soit des eaux-de-vie.
Le fait que la société Louis Royer possède une unité de distillation à Aumagne (8 alambics) en Charente-Maritime atteste de son implication dans la filière de production charentaise. D’ailleurs, les responsables de l’entreprise ne cachent pas leur scepticisme vis-à-vis du futur cadre réglementaire propice à l’hyperspécialisation des propriétés dans la production de vins de distillation et d’eaux-de-vie, et la réflexion de J. Royer sur ce sujet est explicite : « Au cours des 20 ou 30 dernières, les propriétés viticoles de la région qui ont réussi à traverser les périodes difficiles dans les meilleures conditions, ont toujours consacré une partie de leurs productions aux autres débouchés, les vins et les jus de raisins. C’était un moyen de faire de la trésorerie, de stabiliser l’équilibre financier des exploitations et cela permettait aussi de continuer à produire des volumes significatifs de vin de distillation et d’eaux-de-vie. Aussi, vouloir se priver de cette source de revenu nous paraît assez inquiétant pour l’avenir. »