Jean-Michel Naud, Distillerie de La Tour

29 avril 2009

La Rédaction

La Distillerie de La Tour (Jean-Michel Naud) a construit son développement sur l’ensemble des produits de la viticulture charentaise (1). Aujourd’hui l’entreprise se pose la question de la pérennité des
« débouchés autres » à l’intérieur de la région. Faut-il externaliser l’activité ? Mais le flou réglementaire actuel ne facilite pas la « prise de risque » et Jean-Michel Naud ne voit pas dans le Schéma d’avenir viticole la réponse « ad hoc » au problème posé.

 

 

« Le Paysan Vigneron » – Pourquoi n’êtes-vous pas un supporter dithyrambique du Schéma d’avenir viticole alors que ce système est censé donner du « grain à moudre » ou du vin à travailler à des entreprises comme les vôtres ?

Jean-Michel Naud – Je suis naturellement favorable à la diversification des débouchés en Charentes. Mais je ne suis pas persuadé que le Schéma d’avenir viticole constitue la bonne réponse. Tout d’abord pour un fait simple : au rythme où sont partis les besoins Cognac, le vignoble charentais est tout juste dimensionné pour y faire face. Prenons un rendement moyen de 125 hl vol./ha à 9 % vol. sur 73 000 ha. Si on extrapole la courbe des besoins, c’est quasiment le volume de Cognac que le marché sera capable d’absorber d’ici peu. Pourquoi dans ces conditions entretenir la fiction d’une pluralité de débouchés vins sur le vignoble actuel ? Une autre fiction consiste à dire que, pour faire jeu égal avec le Cognac, les ha dits « industriels » devront produire 300 hl/ha. Je suis également viticulteur et je sais que c’est pure utopie de fonder les calculs de rentabilité sur de tels rendements. Déplafonner les volumes, d’accord, mais ne prenons pas les gens pour des idiots en leur « vendant » des volumes irréalistes sur nos vignobles, en tout cas tels qu’ils sont implantés aujourd’hui. Par contre, je confirme qu’il est indispensable que les hectares « industriels » ne soient pas limités en rendement, pour le jour où la réforme pourra s’appliquer. Cependant, croyez-vous que dans le contexte actuel, un viticulteur puisse affecter à autre chose qu’au Cognac ? Si l’affectation avait dû s’appliquer il y a quatre ans, à l’évidence c’eut été une autre histoire. Mais, objectivement, aujourd’hui, il s’agit du pire moment pour essayer de mettre en place un tel système, alors que les réflexions visent plutôt à pallier une situation de pénurie.

« L.P.V. » – Si le Schéma d’avenir viticole ne vous semble pas approprié, quel régime aurait votre faveur si tant est que l’on veuille « sauver » les débouchés industriels dans la région ?

J.-M.N. – Dans le contexte actuel, je ne vois pas d’autres alternatives que d’attendre la libéralisation des droits de plantations annoncée par l’Europe pour 2013-2014. Qui plus est, cela me semblerait correspondre à une logique réglementaire autant qu’économique. Dans nos métiers, si nous sommes convaincus d’une chose, c’est bien qu’il faut traiter les productions en fonction de leur nature. Le Cognac, produit d’AOC, a la nécessité de voir sa production protégée, régulée, ses stocks encadrés en fonction des ventes. Par contre les marchés dits « industriels », méritent d’être abordés de façon industrielle. Les jus de raisin, les vins de table, les vins de base mousseux entrent directement en concurrence avec les autres produits de l’U.E. Malheureusement leur réussite ne se fonde pas sur le seul élément qualitatif. C’est surtout l’économique et en l’occurrence les prix qui priment. Dans ce domaine, il faut se donner les moyens de la compétitivité dès l’établissement du vignoble. Une vision administrative des choses qui voudrait maîtriser ce qui, par nature, est immaîtrisable – les cycles économiques – me semble contre-productive.

« L.P.V. » – Certains doutent de l’avenir de ces débouchés industriels.

J.-M.N. – Les marchés existent, j’en suis convaincu et pour un bout de temps ! Il n’y a qu’à voir la structuration du vignoble européen. Le déséquilibre entre vin blanc et vin rouge est criant et ne fera que s’accentuer avec le réchauffement climatique. Cette année déjà, le marché des vins blancs risque d’être déficitaire en Europe. Je me répète : nos produits représentent un réel intérêt. En dehors de l’Italie, qui répond mieux que nous au cahier des charges des jus de raisin ou des vins de base mousseux ? Nous avons le débouché, nous possédons la qualité. Il faut juste travailler la rentabilité. Et cette rentabilité, nous pouvons l’obtenir avec un vignoble vraiment dédié aux produits industriels. A côté d’une activité traditionnelle Pineau, Cognac, vin de pays encadrée, la création ex nihilo d’un nouveau vignoble constituerait sans doute un passage obligé pour conserver une autre activité à côté du Cognac. Ceci dit, en aurons-nous la volonté ? J’en doute. Si le Cognac continue de vivre des années prospères, il y a fort à parier que le débouché vin passera à la trappe en Charentes. Nous n’aurons pas le temps de nous retourner avant 2013-2014 pour mettre en place les structures adaptées.

« L.PV. » – A votre avis, l’activité vin mérite-t-elle cependant d’être défendue ?

J.-M.N. – C’est comme demander à un aveugle s’il veut retrouver la vue. Le développement de la Distillerie de La Tour s’est bâti en fonction des aléas de l’activité Cognac. Nous avons toujours eu la volonté d’avoir plusieurs cordes à notre arc. Certaines années, l’activité vin a représenté chez nous 50 % du chiffre d’affaires. Il faut quand même se souvenir que dans les années 2000, le Cognac n’absorbait que 35 % de la production régionale. Comme nombre de nos collègues impliqués dans la filière vin, nous avons essayé de nous structurer techniquement et commercialement pour développer nos marchés. C’est triste de voir que tous ces efforts risques d’être anéantis du jour au lendemain. On a un peu l’impression d’être des laissés-pour-compte, sollicités uniquement quand ça va mal. Mais c’est ainsi. Il est normal que la priorité aille au Cognac, le produit phare de la région, le plus rémunérateur aussi.

« L.P.V. » – Votre société va donc se concentrer sur son activité de distillation et de marchand en gros de Cognac ?

J.-M.N. – C’est une hypothèse. Effectivement, aujourd’hui le contexte s’avère favorable aux marchands en gros. Ils peuvent réaliser leur stock (au moins ceux qui en ont). Mais une fois ce stock vendu, il faut le renouveler, le remplacer, à un coût forcément élevé. Dans ces conditions, le travail de marchand en gros peut devenir dangereux. Il réclame de la prudence pour tenter de prévenir les retournements de cycle. Nous ne nous interdisons pas d’autres pistes de développement. L’entreprise peut aussi décider de valoriser son savoir-faire vin. A ce moment-là, elle devra sans doute externaliser son activité. Il y a des vignobles en Europe et notamment en Europe de l’Est qui seraient très contents de récupérer cette manne même si, en tant que Charentais, je trouverais dommageable de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Mais, à un certain moment, il faut prendre des décisions d’investissements produits qui nous permettent d’être crédibles vis-à-vis de nos acheteurs.

« L.P.V. » – Difficile de négocier de tels virages ?

J.-M.N. – C’est très difficile en neffet, même si nous y sommes sans doute un peu mieux préparés que d’autres. La Distillerie de La Tour a toujours évolué dans un environnement mouvant. En 1998, quand nous avons décidé d’investir sur la valorisation des excédents à travers des outils de distillation, de concentration et de rectification, il s’agissait déjà d’une prise de risque. Aujourd’hui cependant, la prise de risque est maximale dans la mesure où nous sommes tributaires d’éléments que nous ne maîtrisons absolument pas : nature, environnement économique, réglementaire. La visibilité est nulle. Pourtant, ne rien faire, c’est reculer. Nous devons absolument trouver des axes de développement, ici ou ailleurs.

(1) L’activité de la Distillerie de La Tour repose sur un triptyque : une activité Cognac de distillateur et de marchand en gros ; une activité « vin » en général qui recouvre les jus de raisin, vins de table, vins de base mousseux, vins pays tiers, et une activité plus industrielle liée à la distillation d’excédents à travers des outils de distillation, de concentration et de rectification.

« La réforme en place,
pour le jour où… »

Prenant en quelque sorte le contre-pied du discours ambiant, l’opérateur charentais Gilles Merlet (Distillerie Merlet) défend la pertinence du Schéma d’avenir viticole. « Évidemment, cette réforme tombe au plus mauvais moment. On ne pouvait pas rêver plus mal. Il n’empêche ! L’important, c’est que le mécanisme soit en place. Même si, dans un premier temps, l’affectation 100 % Cognac a de forte chance de l’emporter, le jour où le besoin se fera sentir, le système sera là et pourra être activé. Car forcément, les mêmes causes entraînant les même effets, viendra l’heure où la diversification retrouvera du lustre. Pour l’heure, il faut faire avec ce qu’il y a de dérangeant à introduire un système dont l’application concrète ne saute pas aux yeux. »

Brandy : Une transition pas simple

En tant que rectificateur, la Distillerie de La Tour redistille des produits pour le marché du Brandy. Jean-Michel Naud est donc bien placé pour apprécier la portée de la suppression des distillations communautaires inscrites dans le projet d’OCM. Il en profite pour répondre aux rumeurs sulfureuses qui entourent le brandy.

Jean-Michel Naud – « La disparition annoncée de l’ensemble des distillations communautaires à l’exception des Prestations viniques supprime de fait toute source d’approvisionnement des brandies. Un nouveau circuit d’approvisionnement va devoir se créer à partir des vins de table non aidés.

D’un point de vue éthique et même commercial, ce ne sera pas forcément catastrophique. A partir du moment où il n’y aura plus d’aide pour personne, que tout le monde sera logé à la même enseigne, on peut même imaginer que le prix de la matière première se restaure. Sauf que cela se traduira par une incidence sur le prix de la bouteille. Mme Fischer-Boël considère que le marché peut l’absorber… Cependant, la transition risque de ne pas être simple. Quid des stocks, quid des achats qui vont entrer en concurrence avec les vins de distillation et les vins de table ? Ne risque-t-on pas de voir s’installer un marché spéculatif dans certaines zones de production ? En Italie mais surtout en Espagne, des vignobles entiers ont été organisés autour de la distillation aidée, en dehors de toute logique d’ailleurs. Cela va représenter un gros changement pour eux. La filière du brandy français avait émis l’idée que les prestations viniques puissent venir alimenter le marché. Il semble que la proposition soit repoussée. En terme d’image, il paraissait difficile que le brandy soit produit à partir de résidus de la production, même si seuls les alcools issus de la décantation des lies auraient été utilisés et non ceux issus des marcs.

Sur l’accusation, maintes fois entendue, qui consiste à dire que les vins pays tiers envoyés hors U.E. nous reviennent sous forme de brandy, je m’inscris totalement en faux. Cela relève du mauvais procès. Mieux : ceux qui tiennent ce langage ne connaissent rien à la réalité de terrain. Admettons que ces vins naviguent entre la France et la Russie. Pour que l’opération se justifie économiquement, entre les frais de distillation et de transport, il faudrait que la matière première de départ soit payée 2 e l’hl vol., autant dire rien. Qui plus est, ces vins partent le plus souvent sulfités et devraient donc subir une désulfitation. C’est comme dire que les jus de raisins exportés en Italie se transforment en alcool de vin. Ce genre de casserole a toujours été attaché au brandy, sans aucun fondement.

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