Philippe Coste, représentant de l’Union syndicale au Comité permanent du BNIC

29 avril 2009

Dans un contexte de tension sur l’approvisionnement des eaux-de-vie, les « PME du Cognac » se sentent particulièrement exposées. Elles paient plus chère une marchandise qu’on a tendance à leur mégoter. Comment, dans ces conditions, profiter pleinement de l’expansion des marchés ? Représentant de l’Union syndicale au comité permanent du BNIC, Philippe Coste (Cognac Meukow), exprime les difficultés intrinsèques du « petit négoce » qui, selon lui, pourraient pénaliser à terme la filière. Au passage, il tord le cou à quelques idées fausses.

« Le Paysan Vigneron » – Le marché libre soufre aujourd’hui ?

costesassis.jpgPhilippe Coste – Effectivement, depuis maintenant plus de deux ans, l’approvisionnement du marché libre – c’est-à-dire du marché hors contrat – est difficile. Tout ce passe comme si ce marché libre, largement dénigré et déconsidéré par certains viticulteurs, leur servait en même temps de « défouloir ». « Ce que je n’ai pas réussi à obtenir avec mes contrats, je vais essayer de le rattraper sur le marché secondaire ! » C’est une situation parfaitement injuste et dommageable. Et ce à au moins deux titres : limitées dans leurs achats, nos maisons ne peuvent pas profiter pleinement de l’expansion des marchés, ce qui contribuera à terme à diminuer la progression générale du Cognac. Ce qui me paraît peut-être encore plus grave, c’est de laisser croire à des viticulteurs sans contrat qu’ils s’en sortent mieux que des viticulteurs engagés contractuellement.

« L.P.V. » – Vos maisons se sont donc converties aux vertus de la politique contractuelle ?

P.C. – En ce qui concerne notre société par exemple, la mise en place d’une politique contractuelle est assez récente mais elle s’exerce de manière fidèle, avec des gens qui nous font confiance et qui comprennent ce que nous faisons pour la promotion du Cognac, la mise en valeur du terroir, de la tradition, de la culture. Cette nouvelle approche, où chacun fait un pas vers l’autre, je l’ai d’ailleurs ressenti au Bureau national du Cognac. Depuis que Jean-Pierre Lacarrière en a pris la présidence, nous nous sommes tous efforcés, en assemblée plénière comme au comité permanent, de travailler dans le sens de la « raisonnabilité », c’est-à-dire communiquer, échanger, s’écouter et éventuellement se comprendre. Je vois dans l’outil de détermination de la QNV le symbole de cette volonté d’arrêter les excès, dans un sens ou dans un autre. Personne ne gagne à ce que la région produise trop et tout le monde perd à ce qu’elle ne produise pas assez.

« L.P.V. » – Malgré tout, cette « union sacrée » n’a pas suffi à vous protéger des difficultés actuelles.

P.C. – La phase de contingentement que traverse la région – qui, je dois dire, ne touche pas seulement les PME du Cognac mais tout le négoce, petit ou grand – s’explique, selon mon modeste point de vue, par trois phénomènes. Le premier renvoie à la production trop faible des récoltes 2001, 2002 et 2003. Cette cure d’amaigrissement relevait d’une forme de sacrifice pour sortir de la crise alors que, dans le même temps, la progression des ventes avait été probablement sous-estimée, eu égard à l’ouverture du marché chinois notamment. Le deuxième phénomène a trait à la sorte de rétention qui a pu s’exercer dans les années 2004 et 2005. Quant au troisième phénomène, je le situerais dans un certain état de concurrence entre négociants, ne relevant pas forcément d’une volonté de nuire mais par l’envie, somme toute assez légitime, de sécuriser la progression de ses ventes. Bien évidemment, il faut aussi parler du paysage qui a complètement changé lors de ces deux ou trois dernières années. En 2005, personne n’aurait osé imaginer que les ventes progresseraient aussi vite. Le négoce n’a sans doute pas bien communiqué sur ces aspects même si l’Union syndicale a souvent attiré l’attention sur l’impact du déclassement. Face à un stock « objectif » qui existait dans les chais, le déclassement des eaux-de-vie a effectivement permis de lisser les faibles niveaux de QNV. Mais ce sont ces vieilles eaux-de-vie qui manquent aujourd’hui.

« L.P.V. » – Le petit négoce s’entend parfois adresser des reproches du style « quand les eaux-de-vie n’étaient pas chères, vous en avez bien profité ! » Qu’en pensez-vous ?

P.C. – C’est absolument faux. Je ne trahis pas un secret en disant que les marques appartenant aux PME du Cognac jouissent d’une renommée bien plus faible que celle des quatre grands. Cela signifie que nos ventes sont avant tout des ventes de « produit » Cognac même si des contre-exemples existent partout. Ainsi dans notre maison, la présence de la marque Meukov a changé notre politique d’achat, en nous permettant de nous positionner sur des engagements plus longs. A l’inverse, les marchés « produit » s’avèrent bien plus volatils. Ils peuvent changer d’un magasin à l’autre très rapidement. En clair, il est beaucoup plus facile d’établir un contrat pour livrer Meukov que pour approvisionner l’une de nos marques secondaires ou la marque d’un client, sachant que ce dernier peut changer de fournisseur du jour au lendemain. En même temps, la concurrence la plus rude se fait sentir sur les marchés faiblement impactés par les marques, y compris entre nous négociants. Donc, quand le prix d’achat diminue, nos marchés sont attaqués et finalement bloqués. Une question se pose alors : faut-il suivre ou lâcher prise ? A la limite, notre métier est plus facile quand les prix augmentent, à condition bien sûr que ces hausses de prix s’inscrivent dans une marge raisonnable. Dans le cas contraire, et même si nous pouvons éventuellement répercuter certaines hausses de prix aux distributeurs, c’est le consommateur final qui ne suivra pas. De but en blanc, il n’est pas capable d’accepter des augmentations de prix de 40 %. Un équilibre est à trouver. C’est pour cela que j’ai plaisir à travailler au BN, où se mène le combat contre les excès. Nos entreprises participent à cette recherche d’équilibre, même si leur part reste modeste.

« L.P.V. » – Revenons sur l’aspect prix. Acquérir une marchandise à bas prix ne représenterait donc pas une « bonne affaire » pour vous ?

P.C. – Nous avons tous en mémoire l’épisode des Cognacs à 3 200 F l’hl AP. Le problème c’est qu’à ce moment-là, ces prix bas n’ont enrichi personne. Nous-mêmes avons revendu ces Cognacs à bas prix. Il n’était pas possible de les vendre cher et c’eut d’ailleurs été un scandale. Quand quelqu’un vend à bas prix – viticulteur comme négociant – c’est généralement qu’on lui force la main. On ne vend jamais bon marché de bon cœur. Les échéances à rembourser conduisent à écouler des stocks, le banquier se fait plus présent, quitte à nous demander de déclasser des eaux-de-vie. Il faut bien voir que dans notre métier, le discours se tient à trois : viticulteur, négociant et partenaire financier. Il faut que les trois se parlent, se comprennent, travaillent dans le même sens.

« L.P.V. » – Quand vous dites préférer payer plus cher une marchandise, n’est-ce pas cultiver le paradoxe ?

P.C. – Si tout le monde est logé à la même enseigne, bien sûr que c’est vrai ! Après, il ne faut pas verser dans l’excès. Quand les prix sont trop élevés, on ne trouve plus de marchandise et c’est de nouveau la catastrophe. A ce moment-là, tout le monde y perd. C’est pour cela que j’insiste sur la nécessité d’arriver à cette « raisonnabilité » qui consiste à calibrer la production en fonction des marchés.

« L.P.V. » – Aujourd’hui, pensez-vous que nous atteignons une sorte d’excès en terme de prix ?

P.C. – Nous sommes passés d’un stade de revalorisation du travail de la viticulture, tout à fait nécessaire et qui nous a permis nous-mêmes de monter nos prix, à quelque chose qui frôle la spéculation dans certains cas. Sur les eaux-de-vie rassises, le phénomène trouve sans doute son origine dans la pénurie des années 2001 à 2003, pénurie entre nous organisée par la viticulture pour faire monter les prix contractuels mais qui est peu ou prou passée à côté de son objectif. La spéculation quant à elle consiste à imaginer que le marché libre peut accepter des prix de 15 à 20 % supérieurs à ceux des contrats. Y a-t-il une logique à cela ? Sur quelle base un viticulteur peut décider que sa marchandise vaudra 20 % plus cher si elle est vendue sur le marché libre plutôt que sur le marché contractuel ?

« L.P.V. » – Est-ce à dire que le marché contractuel n’est pas assez cher ?

P.C. – C’est probable. Mais une fois encore, j’insiste sur le paradoxe qui consiste à voir les maisons possédant le moins d’image contraintes de payer plus cher la marchandise. La science du marketing ne nous enseigne-t-elle pas que la marque apporte une sur-valorisation, que d’aucun qualifie même d’artificielle. La situation qui aboutit à « taxer » les petites maisons ne pourra pas durer longtemps et ce sera dommage. Même si j’ai le plus grand respect pour nos grands confrères, je crois qu’il ne serait pas bon que le marché soit entre les seules mains des grands acheteurs ou des acheteurs fortunés.

« L.P.V. » – En êtes-vous à freiner vos ventes ?

P.C. – Disons que nous nous interdisons toute expansion. Nous préférons bien servir nos clients existants sur la base des contrats que nous pouvons avoir plutôt que de prospecter une nouvelle clientèle.

« L.P.V. » – Sur les marchés, constatez-vous une augmentation des prix du Cognac ?

P.C. – Cela dépend des situations, des pays mais l’on peut dire que, globalement, sur les segments de marché où les prix étaient les plus bas, les plus compétitifs, la hausse du prix consommateur atteint 35 %. C’est moins vrai sur le « on trade » – les bars, hôtels, restaurants – où la hausse est forcément plus limitée. Même chose pour les grandes marques qui s’efforcent de préserver leurs positions concurrentielles. De par son système de distribution, très compliqué, le marché américain jouit également d’une certaine inertie des prix. Mais pour combien de temps ? L‘augmentation viendra, inévitablement, ne serait-ce que par l’effet dollar. On a beau posséder un grand nom et beaucoup de stock, certains phénomènes sont incontournables. En tout cas sur la grande distribution, en France comme en Grande-Bretagne, Hollande, Allemagne, le Cognac s’oriente vers des augmentations de l’ordre de 30 %. C’est un souci dans la mesure où il paraît difficile que le Cognac s’exclut de la grande distribution. En France par exemple, cette forme de commerce concentre 90 % des achats agro-alimentaires.

« L.P.V. » – Sur les marchés phares du Cognac, une augmentation substantielle des prix pourrait-elle ralentir la progression des ventes ?

P.C. – Même si le Cognac est un produit de luxe, il n’est pas acheté par n’importe qui à n’importe quel prix. On ne peut pas exclure qu’une progression trop importante des prix nous fasse perdre des positions concurrentielles face à la Vodka, au Rhum ou à la Tequila, un des produits les plus en vogue aujourd’hui. Ces alcools, moins chers à produire que le Cognac, disposent d’une force de frappe publicitaire impressionnante. Quand un produit prend 35 % de hausse, le consommateur n’est-il pas tenté d’essayer autre chose ou d’en consommer moins ? Alors que le potentiel de croissance existe pour le Cognac, le principal regret de la période actuelle consiste à se dire que l’on rate des opportunités de développement.

« L.P.V. » – En tant que PME du Cognac, profitez-vous autant que les grands groupes de ce potentiel de croissance du Cognac ?

P.C. – Etats-Unis, Chine, Russie… ces pays recèlent de telles perspectives de développement pour le Cognac que forcément, chacun peut espérer en capter une partie mais certainement pas au même moment et dans les mêmes proportions. A l’évidence, le marché chinois s’avère compliqué pour nous PME. Sur cette destination, il y a des coups à prendre, terribles. Les grands groupes possèdent l’énorme avantage de maîtriser leur propre circuit de distribution, ce qui leur permet de contrôler ce qui se fait avec leur marque. D’où un marché chinois infiniment plus porteur pour eux que pour nous. C’est d’ailleurs très bien ainsi. Les grandes marques jouent leur rôle de locomotives. A titre personnel, je confie très humblement nourrir une prédilection pour la Russie. A la différence de certains autres marchés, asiatiques notamment, les consommateurs russes aiment le produit Cognac. Chez eux le goût l’emporte sur l’image.

« L.P.V. » – Pardonnez ce qu’il y a de provocateur dans la question : pourquoi la disparition de marques telles que les vôtres serait-elle dommageable au Cognac ?

P.C. – Je ne vous étonnerai pas en vous répondant qu’en effet la disparition de certaines de nos marques serait très préjudiciable à la filière. Le propre d’une marque de moindre notoriété – disons d’une marque secondaire – c’est que les ventes qu’elle perd ne sont jamais reprises par les autres. Il y a bien trop d’intuitu personae entre nos maisons et leurs clients. Le passé nous l’a démontré. Ce que la viticulture ne réalise pas toujours, ce sont les efforts de promotion déployées par nos entreprises en terme de défense du produit, de défense de l’appellation, du terroir. Tous autant que nous sommes, je suis sûr que nous parlons beaucoup plus du Cognac que de nous-mêmes. Ainsi, je crois pouvoir dire que la région a beaucoup à perdre à ce que nos sociétés ne puissent pas aspirer à une croissance normale de leurs affaires « dans un marché qui va bien ». Déjà qu’en Cognac la croissance n’est jamais chose aisée. Mais, aujourd’hui, nos PME se trouvent confrontées à des difficultés techniques particulièrement ardues. Comment imaginez qu’un partenaire financier nous permette de sur-contractualiser des volumes alors que le viticulteur a toujours plus de mal à warranter les eaux-de-vie engagées chez nous que celles engagées auprès du grand négoce. Heureusement que nous pouvons compter sur les autres produits. C’est une bonne chose pour nous et, quelque part, pour le Cognac.

« L.P.V. » – Remarque « bateau » : ces « autres produits » élaborés dans la région délimitée ne font-ils pas de l’ombre au Cognac ?

P.C. – Vous conviendrez avec moi que le Cognac appartient à la catégorie des spiritueux de premier ordre. Alors, est-ce un service à lui rendre que de le voir s’afficher à moins de 10 € dans les linéaires de la grande distribution, comme on a pu le constater les années passées. Je fais partie de ceux qui pensent que non. Convient-il pour autant de laisser le créneau des 8-9 € aux seuls Blended Whskies, dans lesquels moins de 20 % du produit proviennent de la distillation de malt, alors que le Cognac, lui, s’apparente à un « Pur malt » ?. Quelle solution ? Pour que le Cognac reste un « Single malt » entouré de toutes les garanties de l’appellation, il faut trouver un bon produit à base de vin qui puisse rivaliser avec les Blended Whiskies en ne leur laissant pas le champ libre. Nous l’avons avec le Brandy, à condition que ce Brandy s’entoure des éléments de qualité et de distinction nécessaires, afin de ne pas être confondu avec d’autres types de Brandies. Nous devrions pouvoir créer une forme de coexistence pacifique entre un Brandy générique français et les Brandies d’appellation Cognac ou Armagnac. Dans ces régions d’appellation, le réflexe le plus courant est plutôt de considérer que le Brandy est un concurrent et donc un ennemi. Si je peux me permettre, je pense que c’est une erreur. Les vrais concurrents du Cognac sont les alcools qui utilisent une matière première différente. En l’occurrence, l’opposition de base reste toujours celle du grain contre le raisin.

« L.P.V. » – Voyez-vous dans la situation actuelle une analogie avec celle de 1990-1991 ?

P.C. – Pas vraiment. A l’époque le boom des ventes était motivé par l’alimentation d’un seul marché avec des eaux-de-vie vieilles vendues chères. On ne craignait pas de faire monter les cours, tant l’espoir régnait d’une « culbute des prix ». Aujourd’hui, la progression des ventes ne concerne pas un seul marché mais plusieurs et la croissance porte sur à peu près toutes les qualités. Par ailleurs, l’outil d’aide à la détermination de la QNV laisse espérer une production à l’équilibre, si tant est que la nature y consente. Enfin une grande différence existe par rapport à hier : la position des partenaires financiers qui, je le répète, constitue un élément à part entière de la filière. Sans justification précise, motivée, argumentée, je ne pense pas que l’on arrive à trouver des financements au même niveau et pour les mêmes quantités qu’en 1990. Et c’est heureux ! Je voudrais aussi saluer les viticulteurs qui ont contractualisé avec nous dans toutes les zones. Ils manifestent un sens du sérieux et de la fidélité qui me réjouit. Je crois qu’ils comprennent le métier que nous faisons. Ils voient que nous y passons beaucoup de temps, y consacrons beaucoup d’énergie et qu’en aucun cas nous ne faisons de tort à la filière.

L’Union syndicale regroupe environ 25 membres, parmi lesquels les maisons Camus, H. Mounier, Ferrand, Royer, Larsen, Gabrielsen, Tiffon, Château Paulet, Compagnie commerciale de Guyenne (CCG), Jean Filloux… Celles que l’on a coutume d’appeler les « PME du Cognac » fonctionnent pour la plupart sur la base d’un actionnariat familial, appartiennent rarement à un grand groupe. C’est Antoine Cuzange qui préside l’Union syndicale depuis une bonne quinzaine d’années. Les statuts interprofessionnels accordent à l’Union syndicale trois sièges à l’assemblée plénière – occupés à ce jour par les maisons Camus, H. Mounier et CCG – et un représentant au comité permanent de l’interprofession. Le syndicat a confié cette responsabilité à Philippe Coste (CCG).

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