Libéralisation des droits de plantation : AOC/vin sans IG, le mythe du « cordon sanitaire »

30 juillet 2012

p9.jpgDans l’hypothèse d’une libéralisation des droits de plantation, les vins d’AOC jouiraient-ils d’un statut protecteur qui les mettrait à l’abri ? Et, à front renversé, les vins sans IG seraient-ils les seuls dans le collimateur ? Où l’on voit que le sujet appelle à une lecture plus nuancée.

Le cordon sanitaire des AOC – Clairement, dans l’hypothèse d’une libéralisation des droits de plantation, les vignobles sous IGP (Indication géographique de provenance) seraient sans doute plus protégés que les vignobles sans IG. C’est quand même à l’aune de la compétitivité des vins sans IG que la Commission a bâti toute sa philosophie pro-libéralisation. Par ailleurs, si l’on se réfère à ce qui s’est passé pour le lait, les AOP fromagères jouissent d’un statut plus encadré que le lait. Mais faut-il pour autant penser que la qualité de vignoble IGP règle tout ? Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC, parle de la « grande naïveté » qu’il y aurait à le croire, ne serait-ce qu’au plan réglementaire. « Au niveau des vins AOC, la Commission évoque un système qui, à travers les organisations de producteurs, les interprofessions, les cahiers des charges, encadrerait les volumes mais sans encadrer les surfaces. Il s’agirait alors d’un tout petit instrument. »

Les zones mixtes IG/sans IG – Quand on parle « vignoble sans IG », viennent tout naturellement à l’esprit les vignobles des Charentes et du Languedoc-Roussillon (au moins en partie). Mais Michel Servage, président de la Confédération française des vins de pays (CFVDP), corrige cette première impression. « Les zones mixtes dit-il, IG et sans IG, sont de plus en plus nombreuses, ne serait-ce que pour corriger les suppléments de production des vins sous signe de qualité. Et je ne parle pas des vins sans IG avec mention de cépage qui ont les faveurs des metteurs en marché. » Le responsable professionnel souligne que Bordeaux s’est mis à produire des vins sans IG l’an dernier. On en retrouve de longue date en Val de Loire ainsi que dans la vallée du Rhône. « A part la Champagne, l’Alsace et la Bourgogne, il y en a partout ». Conséquence : si la libéralisation des droits devait s’appliquer aux vignobles sans IG, l’effet systémique serait énorme. Michel Servage et la Confédération française des vins de pays réclament un système de régulation sur les trois segments, AOC, vins sous IG et vins sans IG.

Un risque de déstabilisation – Christian Paly, président du Comité national vins et eaux-de-vie de l’INAO, met en garde contre le risque de déstabilisation générale qu’entraînerait une libéralisation des droits de plantation sur les vins sans IG. « L’étanchéité entre les marchés est un leurre. Tout interfère sur tout. Le danger de déstabilisation serait énorme, même en terme qualitatif. On risquerait de voir s’implanter de façon massive des vignobles sans IG partout en Europe, partout en France. »

Le modèle champenois – Qui, plus que les Champenois, peuvent se prévaloir d’un filet de sécurité par rapport à la libéralisation des droits de plantation ? Vignoble AOC de plein exercice, avec cahier des charges, aire délimitée et délimitation parcellaire, les surfaces plantées collent, à quelques centaines d’ha près, à la surface plantable. Et pourtant, les Champenois s’affichent, depuis le départ, comme d’indécrottables défenseurs de la cause des droits de plantation. Ils soutiennent sans état d’âme la position générale défendue par la profession. « Notre boulot, disent-ils, est de faire revenir la Commission sur sa décision. » Ils parlent de la Champagne comme le « contre-exemple absolu » de la libéralisation du potentiel de production. « Nous prouvons tous les jours que la régulation des surfaces n’empêche ni de se développer ni de voir le nombre de producteurs augmenter. Elle ne joue pas non plus contre les consommateurs. A meilleure preuve, nous courrons tout le temps après la valorisation. L’abaissement des barrières fonctionne peut-être dans les secteurs pondéreux mais certainement pas pour les produits ancrés dans leur territoire. Pour nous, il s’agit de quelque chose d’entièrement contraire à notre modèle ». « Un modèle, répètent-ils, où le contrôle des plantations joue comme une pierre angulaire, avec d’autres éléments. » Ce que les Champenois redoutent par-dessus tout, c’est la concurrence déloyale, le détournement de notoriété exercé à leurs frontières par des vins qui « auraient l’odeur, la couleur du Champagne mais qui ne seraient pas du Champagne. » « Le danger est encore plus prégnant que les vins de Champagne sont des vins d’assemblage » rajoutent-ils mezza voce. Et puis, imaginez des producteurs champenois cadenassés dans leur cahier des charges tandis qu’à leurs portes, des opérateurs totalement libres jouiraient de toutes les facilités. L’horreur absolue !

Le PAPE – Comment s’articule le PAPE ou Potentiel annuel de production par exploitation dans la dialectique de la libéralisation des droits de plantation ? Disons que les Charentais ont fait preuve d’anticipation quand ils défendaient une gestion par les volumes, sous la responsabilité des interprofessions. C’est à quelque chose près ce que promeut aujourd’hui la Commission pour les vignobles AOC et IGP. Mais entre-temps, la Fédération des interprofessions charentaises a avancé et validé l’idée d’une gestion certes par les volumes mais des volumes rattachés à des surfaces. A ce jour, la proposition charentaise se retrouve donc en décalage par rapport à la vulgate de la Commission. Et, de toute façon, son vignoble est sans indication géographique et donc, objectivement, très exposé en cas de libéralisation. C’est pourquoi certains considèrent que l’intérêt des Charentes n’est pas de chercher une solution de repli mais bien de se mobiliser avec les autres régions pour obtenir un maintien de l’encadrement des plantations pour toutes les catégories de vin.

Vignoble AOC : un statut protecteur pour les Charentes ? – Dans l’absolu sans doute, en tout cas autant que l’AOC puisse protéger de la libéralisation (voir les propos de P. Bobillier-Monnot en début d’article). Le sujet n’est pas nouveau. Voilà presque 40 ans que l’on en parle dans la région délimitée. Pour se heurter à un mur. Car qui dit vignoble d’AOC dit, aux yeux de l’INAO, délimitation parcellaire et donc… délimitation des parcelles. Les plus optimistes parlent « d’au moins dix ans de boulot » et les autres « d’un travail de malade » pour ne pas dire « la déclaration d’une guerre civile ». Que les volontaires se déclarent !

 

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