Des bois de vignes cisaillés par les grêlons, des parcelles qui changent de saison en l’espace d’une demi-heure, virant du vert au brun, des tiges de blé rognées au pied, comme subitement atteinte de nanisme et le plus triste peut-être, ces bois qui ont perdu leurs feuilles, chemins forestiers jonchés de débris végétaux, odeur d’ensilage qui monte de la terre, expression d’une nature souffrante, lapidée par les éléments. Au lendemain de la grêle du 11 mai, le spectacle était proprement stupéfiant, entre ces congères de grêlons au bas des talus qui, à Vaux-Rouillac, formaient des ponts ployant sous la charge, les coulées de boue qui à Péreuil, à proximité de Blanzac, ravinaient le paysage. Partout, à Poulignac, Saint-Aulaye, Aubeville, Plaizac, Rouillac, Foussignac, Fleurac, Saint-Fort-sur-le-Né, Saint-Palais-sur-le-Né, Arthenac, Archiac, Sainte-Lheurine… le même spectacle et la même consternation dans tout ou partie du vignoble. Les témoins disent avoir « les jambes coupées », ils se sentent « foudroyés, dépités, démoralisés, avec l’envie de baisser les bras. » « J’ai pas le moral que voulez-vous. »
La veille de la grêle, un viticulteur confiait à son courtier : « si je loupe cette année, c’est cuit pour moi ». Le mildiou lui avait valu deux petites années. Son vignoble se retrouve détruit à 100 % et ses espérances aussi. Sur la commune de Péreuil, Gilles Fouassier et sa femme exploitent 18,5 ha de vignes, et 45 ha de céréales, le tout haché, mâché par l’orage. Les tournesols étaient beaux, c’est un souvenir. Rien ne subsiste, pas même le jardinet de la grand-mère où poireaux et salades pendent lamentablement. « Toutes les cultures sont nettoyées ». Gilles Fouassier décrit ce mur blanc comme un cylindre qui s’est avancé vers eux dans l’horizon dégagé qui s’offre de la maison. Un grand coup de vent de nord a précédé la nuée. Puis ce fut 20 mn d’abats de grêle, avec des grêlons « pointus et diamanteux » qui déchirent tout ce qu’ils touchent. « Par terre c’était tout blanc. » Le couple envisageait d’acheter un tracteur d’occasion équipé d’une fourche. Il en a abandonné l’idée. De même les engrais verts vont rester dans les big bag. Le viticulteur se demandait comment faire « pour sauver le peu qui va sortir derrière. » Les anciens préconisaient de faire tomber ce qui subsistait. Faut-il s’y résoudre ? « Le chef a envie d’essayer sur quelques parcelles » confirme son épouse. Au lendemain de la grêle, les viticulteurs s’interrogeaient sur la faculté de résilience de la plante : « qu’est-ce qui va sortir et où ? » Des poussées de sèves allaient-elles se manifester ? Contre-boutons et yeux sourds pourront-ils donner la taille de l’an prochain ? Beaucoup évoquaient déjà la couverture maladie des vignes. « Il faudra passer face par face. Au prix où sont les phyto, le produit devra aller sur les feuilles et pas à côté. »
un potentiel de 200 hl vol./ha
Sylvain Guillet, de Mainfonds près de Blanzac, a fait des pieds et des mains pour que sa région ne soit pas oubliée dans la vague d’émotion soulevée par les dégâts de grêle. « En 1991 (l’année du gel NDLR), c’était pareil. J’avais décroché mon téléphone pour rappeler qu’ici aussi, de l’autre côté de la RN 10, il y a de la vigne. » Dans sa région, huit à dix communes sont très touchées. Le syndicaliste, membre du SGV Cognac, retenait, au lendemain du sinistre, trois interlocuteurs principaux : les organismes financiers, la MSA et les acheteurs. Devant le sous-préfet de Cognac, Bernard Guionnet, président de l’Interprofession, en a cité un quatrième, la viticulture elle-même. « Si j’ai bien compris, on ne peut pas grand-chose pour nous. Essayons d’organiser une solidarité professionnelle couverte par l’Etat. » En disant cela, le président faisait explicitement référence au transfert autorisé de vendange fraîche.