Patrice Rétaud, un référent scientifique en phase avec la nature

13 novembre 2018

Le décès de Patrice Rétaud des suites d’une longue maladie à la fin du mois d’août, a ému beaucoup de personnes dans le vignoble de Cognac. Le parcours professionnel de cet homme intelligent et humble mérite d’être salué. Son attitude plutôt réservée était liée à une certaine timidité qui se brisait vite dès qu’une conservation s’engageait. Le technicien brillant qu’il était, savait écouter, dialoguer et restituer des connaissances complexes de façon accessible. Son professionnalisme, ses compétences, son intégrité, son honnêteté intellectuelle et la rigueur de son travail étaient appréciés des viticulteurs, des techniciens régionaux et aussi de nombreux experts nationaux.

 

Ce fils d’agriculteur natif de Saint-Césaire possédait des facilités intellectuelles bien au-dessus de la moyenne qui lui ont permis de décrocher un bac D’ au lycée agricole de Saintes et ensuite un diplôme d’ingénieur agricole à l’ENITA de Bordeaux. Le choix de cette formation était totalement en phase avec le centre d’intérêt majeur du jeune étudiant : la nature, la connaissance et le respect des écosystèmes. D’ailleurs, le thème de son mémoire de fin d’étude a concerné les insectes. Son passe-temps favori était de parcourir la campagne pour découvrir et comprendre la vie de tous les types d’insectes qu’il pouvait observer. L’entomologie était sa grande passion et ses connaissances dans ce domaine étaient importantes et reconnues. Il a d’ailleurs coécrit un livre sur les insectes avec Michel Toussaint, l’ingénieur responsable de l’antenne SRPV de Niort. L’un des talents était aussi d’être capable d’immortaliser les nombreux spécimens d’insectes avec des photos de grandes qualités.

 

Une vocation d’expérimentateur-conseil au sein du SRPV

 

            À l’issue de son cycle de formation, il a intégré à la fin des années soixante-dix, les équipes du SRPV en tant que contractuel. Son premier poste à l’antenne du SRPV de Niort lui a permis de se confronter aux réalités du terrain. Le jeune ingénieur d’apparence réservé s’est très intégré dans le moule de son nouveau métier en faisant preuve d’une exigence rare. Il a parfaitement rempli sa double mission d’expérimentateur-conseil en grandes cultures et en arboriculture pour nourrir les avertissements agricoles. Il avait trouvé sa voie ! En 1990, le site SRPV de Niort a été supprimé et P Rétaud a mis le cap vers l’antenne SRPV de Cognac. C’était en quelque sorte un retour aux sources dans sa région d’origine. Il s’est littéralement « immergé » dans les problématiques viticoles avec beaucoup de professionnalisme et a accompli un travail important dans la durée.

 

Un expert en matière d’expérimentation mildiou et oïdium

 

            Au côté de Danièle Legall qui dirigeait l’antenne Charentaise spécialisée dans la vigne, il a pris en charge toutes les expérimentations qui représentaient à l’époque un volet d’activité important. Grâce au soutien de la maison Rémy Martin, un site d’essais mildiou et oïdium sous brumisation a été implanté au domaine du Grollet à Saint-Même-les-Carrières. P Rétaud a mis à profit toutes ses compétences pour maîtriser les contaminations artificielles, tester les nouveaux fongicides anti-mildious, anti-Oïdium et surtout en extraire des conclusions indispensables pour maîtriser la lutte. Le site d’essais du Grollet est devenu un pôle d’expérimentation à la fois incontournable et redouté par les firmes d’agrochimie. À l’issue de chaque saison, les résultats obtenus avec une rigueur rare permettaient de faire progresser les concepts de lutte contre le mildiou et l’oïdium et d’apporter aux viticulteurs des conseils pointus. L’homme était déjà pleinement conscient dès le début des années quatre-vingt-dix, que la protection du vignoble devait être abordée avec l’exigence de « traiter juste ».

 

Des résultats majeurs pour faire évoluer les concepts de protection

 

            Pour l’avoir côtoyé à cette époque, je peux témoigner qu’à partir du milieu des années quatre-vingt-dix, P Rétaud avait acquis une aura d’expérimentateur avisé et intègre qui a fait de lui un référent national du mildiou et de l’oïdium. Par exemple, c’est grâce aux « Expé du Grollet » que l’utilisation du fosétyl a pu être optimisée et que des problèmes de pertes d’efficacité liés aux phénomènes de résistance de plusieurs matières actives (AZ, diméthomorphe, bénalaxyl, …) ont été révélés. La qualité de son travail lui a permis de tisser des liens avec les meilleurs experts de la protection du vignoble en France.

 

Un souci de communiquer d’une façon à la fois juste et accessible

 

            Son objectif permanent était toujours d’aller plus loin dans la compréhension des mécanismes biologiques et des contraintes d’utilisation des divers fongicides. Lors de la rédaction d’articles, son sens de la rigueur et de la justesse dans l’expression des conclusions de d’essais était assez remarquable. Il défendait avec vigueur la formulation des choses et savait aussi trouver des compromis intelligents pour rendre le langage technique accessible. C’était un homme ouvert et soucieux de faire partager le savoir à tous les publics, les viticulteurs de base, les acteurs de la distribution, les techniciens régionaux et les experts des centres de recherche. Il avait la capacité de savoir communiquer en faisant preuve de sens des réalités et d’une véritable générosité.

 

Une maîtrise de l’informatique mise à profit pour aller toujours plus loin

 

            À partir de 1991, 1992, les instances nationales avaient décidé d’équiper les sites SRPV de moyens informatiques avec des équipements assez basique à l’époque. P Rétaud a été l’acteur majeur de l’informatisation du site Cognaçais. Il a appris seul à maîtriser les premiers outils informatiques dont il avait perçu immédiatement l’intérêt pour traiter les données et également mettre en valeur les résultats. En quelques années, l’expérimentateur avisé a adopté l’univers informatique avec une facilité rare. Les présentations qu’il réalisait toujours très soignées, pédagogiques étaient toujours une plus-value. La photo était aussi sa grande passion. Les présentations de résultats d’essais étaient toujours illustrées de vues de grandes qualités. Au moment de l’arrivée des premiers appareils photo numériques, P Rétaud s’est équipé à titre personnel et la photothèque du SRPV de Cognac s’est enrichie de vues rares et diversifiées.

 

Un référent scientifique en phase avec le terrain

 

            Sa culture permanente d’acquisition de connaissances et de nouveaux outils pour comprendre le complexe parasitaire du vignoble Charentais, l’a amené à s’intéresser au développement des systèmes de modélisation de prévision des risques parasitaires. Le SRPV de Cognac a été l’un des premiers sites en France avec la Bourgogne à tester et à utiliser le modèle Milvit (sur mildiou de la vigne) à partir de 1991. P Rétaud s’est beaucoup investi dans ce projet avant-gardiste qui représentait un moyen de moins et mieux traiter la maladie de référence du vignoble de Cognac. Lionel Dumas-Lattaque, le technicien viticole de la Chambre d’agriculture de Charente Maritime a beaucoup travaillé lui durant toute la décennie 90. Il en garde des souvenirs riches sur le plan professionnel et humain : « P Rétaud possédait un véritable savoir et de grandes connaissances scientifiques sur le mildiou, l’oïdium et les ravageurs. Pour nous, techniciens de terrain, les collaborations avec lui étaient une chance et cela se passait toujours très bien. Il écoutait, venait sur le terrain pour observer et mieux comprendre, dialoguer avec tout le monde et nous apportait des connaissances. Son discours était toujours juste, précis et synthétique. C’était un référent qui savait à la fois prendre de la hauteur et parler aux viticulteurs. Travailler avec lui était très enrichissant ».

 

Un pionnier des stratégies de lutte biologique et de lutte raisonnée

 

             Avant tout le monde, il avait aussi perçu la nécessité de privilégier les démarches de lutte biologique et de réduction d’utilisation des intrants. Dès le milieu des années quatre-vingt-dix, cet axe de travail était devenu pour lui important et concret. Le SRPV de cognac a été pionnier dans la mise en avant du rôle bienfaiteur des typhlodromes pour contrôler les populations d’acariens nuisibles. Des contacts en 1992 entre le SRPV de Cognac et la coopérative agricole de Cozes ont débouché sur la création d’une structure de conseils de terrain pour observer l’évolution de la pression des maladies et des ravageurs et surtout adapter les stratégies de traitements au niveau de risque observé. Le premier groupe de lutte raisonnée baptisé « vigilance » a été constitué en Charentes à partir d’un partenariat inédit et solide entre le SRPV de Cognac et un distributeur de produits phytosanitaires, la coopérative de Cozes.

 

Une collaboration inédite à partir 1 995 dans le groupe de lutte raisonnée Vigilance

 

             P Rétaud, Danièle Legall et Alain Dubournais, le technicien de la Coopérative de Cozes se sont beaucoup investi, dans ce dossier à partir de 1995. La grosse dizaine de viticulteurs qui avait adhéré au départ au groupe Vigilance, avait comme objectif principal de « moins et mieux traiter ». Le fonctionnement de cette initiative reposait sur un travail d’observation de terrain impliquant chaque viticulteur qui faisait des mesures hebdomadaires dans des parcelles identifiées reconnaissance des stades phénologiques, mesures d’allongement de végétation, relevés météos es réunions bout de vigne, détection de symptômes, et aussi les techniciens pour des comptages plus pointus (sur des témoins O Traitements). Les infos transmises chaque semaine à Cognac étaient traitées et restituées aux viticulteurs lors d’une réunion bout de vignes hebdomadaires animées par les experts du SRPV de Cognac et d’A Dubournais.

 

Un sens du dialogue avec les viticulteurs pour raisonner la protection du vignoble

 

            À l’issue de la première année, les viticulteurs ont été enchantés de cette nouvelle méthode de travail et le groupe de lutte raisonnée Vigilance était lancée. A Dubournais qui a côtoyé de prêt P Rétaud avoue avoir eu des échanges des échanges sérieux et agréables sur le plan humain. « Au départ, j’ai été surpris de l’écoute D Legall et de P Rétaud vis-à-vis de notre projet car nous étions à l’époque catalogués comme des vendeurs d’intrants phytosanitaires. Ils ont compris notre volonté d’évoluer vers plus de conseils et nous ont aidés à construire une démarche de lutte raisonnée globale. Patrice a joué un rôle important dans le traitement des données, dans la mise en place des observations de terrain et dans le dialogue avec les viticulteurs. Son sérieux, son sens de l’écoute des viticulteurs et sa capacité à expliquer des phénomènes complexes ont contribué à la réussite de Vigilance. Le dialogue que j’ai eu avec lui était toujours agréable simple et efficace ».

 

Des travaux scientifiques avec l’INRA de Bordeaux sur le piégeage alimentaire

 

            Au début des années 2000, la montée en puissance des vols d’eudémis et de cochylis (principalement) dans la région est devenue une préoccupation majeure dans certaines parties du vignoble. L’utilisation des pièges sexuels ne donnait pas pleinement satisfaction pour suivre le développement de ces ravageurs et piloter la lutte insecticide efficacement. P Rétaud s’est investi dans ce sujet et a noué un partenariat scientifique avec Denis Thiéry de l’INRA de Bordeaux pour comprendre ce qui se passait et surtout rechercher de nouveaux outils d’observation des populations. Le chercheur garde un souvenir riche de sa collaboration lui : « Patrice Rétaud était un des spécialistes Français des vers de la grappe (Eudémis et Cochylis principalement), à ce titre il était devenu référent national de ces ravageurs de vigne pour la Protection des végétaux. J’ai eu le plaisir à coopérer avec lui sur le vignoble de Cognac. Nous avons ainsi développé et promu la méthode de piégeage alimentaire. Je tiens à souligner que nous étions les seuls à croire à cette technique, parfois dans l’adversité ; technique qui permet de capturer les femelles et donc de prévoir les dates de pontes, alors que tout le monde pratiquait le piégeage sexuel.

J’ai donc eu l’occasion de passer beaucoup de temps avec lui pendant et cette période riche et fructueuse. J’ai aussi pu apprécier ses qualités humaines, sa courtoise, sa gentillesse et sa modestie constante. Sa modestie était un trait important de son caractère et cela malgré la remarquable qualité de ses travaux, qu’il avait souvent tendance à minimiser. Il manquera à la communauté scientifique qui travaille sur les vers de la grappe ».

 

Un animateur du BSV Vignes Charentes concentré sur l’apport de savoir

 

            À partir de 2007, 2008, la profonde transformation des structures du SRPV devenu le SRAL fut une période difficile pour lui. Certains nouveaux décideurs régionaux ont voulu « passer par perte et profit » les acquis des équipes de terrain et les hommes en place. Il fallait passer à autre chose ! Le manque d’élégance dans les propos et les actes de diverses personnes l’ont beaucoup affecté, mais lui a eu la courtoisie et l’intelligence de n’en jamais faire état. Il a rebondi grâce à des soutiens fidèles en intégrant la Chambres régionale d’agriculture Poitou-Charentes et de Nouvelle Aquitaine. Sa nouvelle mission, la mise en place et l’animation du BSV vignes pour le vignoble de Cognac a été son dernier challenge. Il l’a accompli avec le sérieux et les compétences qui étaient les siennes et en tissant toujours des liens forts avec une diversité d’acteurs, des techniciens des services officiels, des techniciens de la distribution et des viticulteurs impliqués dans les divers réseaux d’observation (phénologie, vers de la grappe, maladies du bois, …). Le contenu des infos du BSV fourmillait de compétences et apporter un vrai savoir.

 

Un homme de challenges qui avait une vision lucide des choses

 

             Vincent Dumot, l’ingénieur de la Station Viticole du BNIC qui était aussi un de ses amis proches a toujours été impressionné par l’intelligence, le tempérament de challenger et la lucidité de P Rétaud : « Pour l’avoir côtoyé à la fois dans l’univers privé et professionnel, j’avoue avoir beaucoup apprécié son sens de l’amitié et sa juste vison des choses et des hommes. Sous une apparence réservée, c’était un aventurier qui aimait s’investir dans des challenges en ayant toujours le souci de faire partager les choses. Il avait du respect pour les autres, était très lucide vis-à-vis des attitudes peu complaisantes de certains de ses interlocuteurs mais n’en générait pas de rancœur. C’était aussi un sportif accompli, un kayakiste de haut niveau qui aimait former et partager sa passion. Lorsque son corps a commencé à le lâcher, cela fut pour lui une épreuve qu’il vécût forcément mal mais toujours avec beaucoup de courage et de lucidité. Il lutta pour continuer de faire son travail le plus longtemps possible au prix d’efforts considérables ». L’homme a malheureusement commencé à être fortement affecté par la maladie à partir de 2015 et l’arrêt de son activité professionnelle a été pour lui une épreuve morale supplémentaire. P Rétaud a vécu une fin de vie discrète et difficile et s’est éteint à la fin du mois d’août dernier. L’équipe de la Revue Le Paysan Vigneron tient à apporter à ses deux filles, son profond soutien.

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