Grosso modo, Cognac facture au moins la moitié de ses exportations en dollars, tant auprès des importateurs, clients directs que des filiales de certaines maisons. Mais tandis que 100 000 $ U.S de ventes rapportaient, en novembre 2003, 86 900 €, les mêmes 100 000 $ U.S ne rapportaient plus que 78 700 € le 15 janvier dernier. Une différence énorme en un laps de temps si court. « C’est notre marge qui part » s’alarment les négociants qui, s’ils facturent en dollars, paient une grande partie de leurs charges en euros (salaires, charges sociales…). Et la matière première Cognac ne se délocalise pas ! En un peu plus de deux ans, le $ a perdu environ 35 % de sa valeur. A son point le bas plus – octobre 2000 – la parité €/$ s’élevait à 0,80 (€ faible/$ fort). Elle a atteint presque 1,30 le 3 janvier 2004 (€ fort/$ faible). A l’heure où s’imprimaient ces lignes – le 20 janvier – la cotation était redescendue à 1,24, une valeur toujours soutenue pour l’euro par rapport au dollar. Sur les trente dernières années, on s’aperçoit que la monnaie américaine a connu des variations de fortes amplitudes, de 0,80 à 1,60. Pour les exportateurs, à 0,80 % « la vie est belle ». Leur euro leur rapporte plus de dollars et ils engrangent des gains de change. Ce fut le cas au milieu des années 80 et, dans une période plus proche, entre 2000 et 2002. Si jusqu’à 1,10 les exportateurs ne disent trop rien, à l’inverse « ils ne rigolent plus et font la tête » dès que la parité euro/dollar frise les 1,25-1,30. C’est la situation qu’ils sont en train de vivre aujourd’hui. Est-elle franchement nouvelle ? Pas vraiment. Ils l’ont déjà rencontrée au début des années 80 (parité €/$ de 1,60).
Dans ces conditions, comment peut-on se prémunir du risque de change ? Il y a d’abord la solution commerciale qui consiste à augmenter ses tarifs en dollars. Ce fut le cas à la fin des années 80 où le marché asiatique, alors en pleine expansion, supportait plusieurs hausses de prix par an. Inutile de dire que cette piste trouve assez vite ses limites aujourd’hui, sauf à accepter de perdre en volume ce que l’on gagne en argent. En règle générale, c’est le compromis qui prévaut : l’exportateur rogne un peu sur sa marge tout en essayant de faire passer une petite augmentation de prix. Il y a ensuite tout le côté « couverture à terme ». Les maisons de négoce d’une certaine taille y recourent systématiquement. Le système consiste à se garantir un taux de change à terme en achetant par anticipation des devises, en l’occurrence des dollars (en fait c’est la banque qui s’en charge, en se rémunérant sur la marge prise sur les devises). Ces marges, faibles, s’expriment en 10 millièmes de point). C’est la valeur au moment de l’achat qui prévaudra obligatoirement lors du dénouement. Si l’achat a porté sur une parité €/$ à 1,10 et qu’à l’époque de la réalisation la parité s’affiche à 1,25, le souscripteur aura gagné de l’argent. Si, à l’inverse, la parité n’est plus qu’à 1,05 il en aura perdu ou, en tout cas, il n’aura pas réalisé de bonus. Cependant, il aura garanti sa marge en euro, ce qui, après tout, est l’essentiel. Pour Olivier Boulet, responsable du centre d’activités internationales à la Caisse régionale de Crédit Agricole Charentes-Périgord, la stratégie de la couverture est claire. « Il ne s’agit pas, dit-il, de multiplier les gains de change mais de s’assurer une marge en euros, comme si vous vendiez dans la monnaie européenne. » La couverture de change porte sur une période donnée, qui n’excède généralement pas 18 mois. On peut penser que toutes les maisons de Cognac d’une certaine importance facturant en dollars ont couvert leurs commandes tant que la valeur du dollar n’était pas trop dégradée (après, cela ne vaut plus la peine). Ainsi, leur reste-t-il peut-être « six mois de bon » avec l’espoir que, d’ici là, la valeur du dollar se sera redressée. Les cambistes des salles de change n’étant jamais à court d’imagination, à côté de la couverture à terme, existent d’autres mécanismes pour se protéger du risque de change. C’est tout le système des options, simples ou plus sophistiquées. En contrepartie du paiement d’une prime d’assurance – chère – vous exercer l’option de vendre ou de ne pas vendre vos devises à un moment donné, en fonction du cours. Les options simples s’exercent à partir de 50 000 € mais le ticket d’entrée pour activer des options plus complexes est plus élevé. Il démarre à partir de 500 000 €.
Tout le monde ne facture pas en dollars et de nombreuses maisons moyennes à petites choisissent de facturer en euros. A priori, elles ne sont pas concernées par le risque de change. Simplement, ce risque est transféré à l’importateur. Actuellement, ce dernier « touche » les produits français bien plus chers et sera donc tenté d’exercer une forte pression pour diminuer les prix d’achat. « La négociation commerciale est toujours beaucoup plus difficile dans un contexte de monnaie dépréciée » confirme un responsable de marché.
L’effet dollar ne se borne pas au seul continent américain. La plupart des monnaies asiatiques appartiennent à la mouvance du dollar – dollar de Hong Kong, ringgit malais, won coréen – et il est un fait que les exportations de Cognac dans ces pays marquent actuellement le pas. « Le problème du taux de change €/$ est pire que le SRAS. Il est plus insidieux » souligne un négociant. Un autre met en garde contre l’excès d’optimisme concernant le marché américain. « Certes, sur les 12 derniers mois (décembre 2002/décembre 2003), les expéditions outre-Atlantique ont augmenté de 6,4 % % en volume mais, en valeur, elles ont perdu 7,3 %. » Quand il corrèle cela à la hausse du prix des eaux-de-vie à la production, il y voit un facteur de déstabilisation potentielle.
La parité €/$ à 1,50 nous pend-elle an nez ? Certain ne l’exclue pas mais le redressement du dollar paraît cependant l’hypothèse la plus probable. Certes, depuis la récession du 11 septembre le gouvernement américain a laissé filer sa monnaie pour relancer son économie. Les exportations américaines en ont profité de même que l’emploi. On estime que la baisse de parité de 20 % du $ a valu aux Etats-Unis d’économiser 720 000 emplois. Ce n’est pas rien, même à l’échelle de ce grand pays. Sur le dernier trimestre, l’Amérique affiche un taux de croissance insolent, proche de 7 %. Cependant les Etats-Unis ont aussi besoin des épargnants asiatiques pour rembourser leur dette. Avec des taux d’intérêts court terme de 1 % contre 2 % et des poussières côté Europe, l’attractivité de la planète U.S pourrait être mise à mal. Depuis quelques mois d’ailleurs, le flux des capitaux a légèrement baissé sur les places financières américaines. En outre, les banques centrales, européenne ou nippone, ont pris la mesure de l’enjeu. Il y a un mois, la Banque centrale japonaise a dépensé des millions de dollars pour soutenir le cours de la monnaie américaine. La communauté internationale appelle de ces vœux une parité €/$ autour de 1,05, une parité où « tout le monde gagnerait sa vie ».
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