Le syndicat du Pineau mise sur les forces vives de son territoire

10 avril 2019

Entretien croisé au Syndicat du Pineau, avec Philippe Guérin (président et vigneron à Chenas-Saint-Seurin-d’Uzet) et Cyril Michaud (responsable technique : mise en place des laboratoires d’innovation territoriale, la lutte contre la flavescence dorée, suivi de l’ODG, évolution du cahier des charges). Formé en tout début d’année, le duo travaille sur les évolutions à mener sur l’approche de production du Pineau, et notamment son cahier des charges, et sur la place, durable, qu’a à trouver le vin de liqueur charentais.

 

Comment voyez-vous l’état de la filière ?

 

Philippe Guérin : Au niveau de la production, la principale filière viticole se porte bien. La question est l’orientation. Travaillons-nous dans une filière où chacun porte son projet ou bien dans une filière où les voies sont relativement claires et ouvertes. L’adversité oui, mais si nous pouvons trouver de la simplicité, nous ne sommes pas contre. Pour tout le monde, c’est une chance que le Cognac se porte bien : pour la filière viticole, pour la région. De tout temps, la région des Charentes n’a jamais été prospère que quand le Cognac se portait bien. Le Pineau ne peut s’en désoler. Plus que cela amène des difficultés, cela met exergue des questions sur les projets de filière.

 

Quelles seraient ces questions de fond ?

 

Philippe Guérin : Le Pineau est un très vieux produit mais jeune commercialement. Son développement date des années 1970 : de 20 000 à 80 000hl au milieu des années 1980, qui fut plutôt une période de crise pour le Cognac. Le Pineau a grandi, un peu par défaut, pour compenser une mévente. Aujourd’hui, le Pineau ne peut avoir un avenir avec cette approche. Il faut absolument que la filière se donne des objectifs, des orientations, pour que le Pineau ait une place durable. Il y a des évolutions durables, des effets dopants quand le Cognac est un peu plus en difficulté, car il y a plus d’énergie mis sur la commercialisation du Pineau, par nécessité. Cette énergie ne doit pas être mise par nécessité mais pour un réel objectif. Il y a plusieurs facteurs dans la situation actuelle de baisse des ventes du Pineau : certains producteurs vont peut-être être moins dynamiques car ils arrivent à vendre leur récolte sur le Cognac, une tendance à la consommation qui a fortement évolué et le Pineau est, dans la catégorie apéritif, un produit comme les autres qui voit sa consommation diminuer, ni plus ni moins. Le Cognac fonctionne mieux car il a un horizon de vente qui est beaucoup plus large et bénéficie de certains marchés géographiques qui sont en progression : États-Unis, Asie, même l’Afrique est un marché en devenir. Le Pineau est très accès sur le vieux continent, donc sur une dynamique de marché qui est décroissante (comme le Cognac sur ce marché-là). Comment revoyons-nous notre positionnement pour que le produit retrouve des couleurs et gagne aussi du potentiel pour aller gagner d’autres marchés. Il y a une question de repositionnement des produits.

 

Le Pineau Cahier des Charges n’est-il pas un peu trop contraignant ?

 

Philippe Guérin : De fait, le Pineau utilise le Cognac pour sa production, donc pour produire le Pineau, cela amène un petit plus de complexité. Nous sommes sur une approche vin en terme d’appellation. Je peux comprendre qu’il soit ressenti comme cela. Les évolutions que nous avons apportées sur le cahier des charges ont plutôt cherché à ouvrir les possibilités qu’amener encore plus de contraintes. Il y a des règles afin que les choses soient le plus lisibles possibles au niveau du consommateur. Différentes dispositions ont été mises en place. Nous avons précisé la possibilité de Pineaux blancs, rouges et rosés et des périodes de vieillissement moins longues sur les rosés, plutôt d’enlever des contraintes que d’en rajouter. Il faut que le producteur s’approprie ces évolutions-là, pour se lancer une production un peu différente, décliner les gammes. Tous les ans, nous essayons de faire des réunions de secteur pour aller à la rencontre des producteurs pour  communiquer sur tous ces éléments. Nous nous étions rendus compte que les producteurs avaient beaucoup d’idées préconçues sur le cahier des charges et se mettaient eux-mêmes certaines limites. Nous pouvons faire des Pineaux millésimés, de cépage, des assemblages, des débuts de fermentation, utiliser les moûts rouges pour faire des Pineaux blancs (en respectant ses caractéristiques),des périodes de vieillissement laissant des marges de manœuvre. Nous réfléchissons avec la famille du négoce à faciliter le fonctionnement et proposer une nouvelle ouverture du cahier des charges car d’autres sujets ont été travaillés et méritent d’être pris en compte.

 

Cyril Michaud  : Le cahier des charges, et les évolutions qui auront lieu dans les prochaines années, est déjà assez ouvert à différentes possibilités de produits. Les ouvertures prévues sont d’autres moyens d’aller vers une offre intéressante. Pour avoir fait des certifications et des audits externes, il n’est pas trop contraignant par rapport à d’autres cahiers des charges.

 

Quels aspects de la production cela concerne-t-il ?

 

Philippe Guérin : Des dénominations géographiques complémentaires, DGC, avec la possibilité de faire des identifications plus restreintes, à condition que cela corresponde à un projet géographique sur le territoire Pineau. C’est une possibilité sans être une obligation, si une dynamique locale y trouve sa pertinence.

 

Que représentent les zones géographiques ?

 

Philippe Guérin : L’ODG, Organisme de Défense et de Gestion, est en train de finaliser un canevas afin de permettre de faire une proposition de DGC. Deux sont en réflexion : île de Ré et île d’Oléron. Nous pouvons en imaginer d’autres mais dans un cadre clair, de façon à entrer dans une dynamique positive. Cela peut être un outil supplémentaire qui sera à disposition. Le cahier des charges est perçu comme un carcan mais il y a un travail à mener pour qu’il soit plutôt un support.

 

Quels sont les axes de travail avec le négoce ?

 

Philippe Guérin : Le souhait est le négoce trouve toute sa place dans la filière. La viticulture l’attend avec impatience. Il faut que les deux familles, production et négoce, soient bien présentes et porteuses de projets. L’enjeu est là : construire un projet de filière qui va permettre à tous les opérateurs d’être dans une dynamique qui va être partagée et d’avoir un positionnement en phase avec les attentes du consommateur. Nous avons pris des axes clairs sur la montée en gamme, sur l’évolution des modes de consommation, seulement il faut que nous allions plus loin et plus vite sur ces sujets-là, qu’ils soient partagés par l’ensemble des consommateurs. Le Pineau est un produit traditionnel qui peut parfois avoir une image un peu vieillotte, mais il a tout à fait les moyens de montrer combien il peut être un produit moderne et actuel.

 

Il y a une mode du ré-enracinement et le retour de vieux apéritifs. Est-ce trouver de l’innovation dans la tradition ?

 

Philippe Guérin : Des produits industriels, comme l’Apérol, sont clairement sur le marché Pineau sont sur une dynamique. Avec l’enracinement d’une AOP, nous avons des arguments à opposer afin que le Pineau puisse défendre ses couleurs. Ce sont des axes stratégiques qui n’ont pas été développés les vingt ou trente dernières années. Il y a une remise en question ferme au niveau de la filière. Tous les acteurs doivent être partie prenante.

 

Dans cette gamme de produits, rares sont les AOP tel le Pineau, les autres produits restent des produits de marque ou industriels.

 

Philippe Guérin : Nous avons une approche naturelle. Les gens sont à la recherche d’origine, cela est facile pour nous d’en expliquer la provenance. C’est plus compliqué pour d’autres produits. Il faut utiliser ses atouts, qui répondent aux attentes des consommateurs, et être conscient des difficultés, dont je ne veux m’exonérer. Nous sommes une petite filière, sans avoir des volumes pharamineux à vendre, et nous avons un terrain de jeu au niveau de la commercialisation qui est énorme. Nous vendons essentiellement en France et en Belgique, nous sommes loin d’avoir exploré tout le potentiel du marché. La question à se poser est pourquoi avons-nous du mal et le produit est-il présenté et positionné comme il le faut pour ouvrir des portes ailleurs que sur le marché traditionnel.

 

C’est aussi une spécificité française d’avoir des apéritifs locaux fortement implantés.

 

Philippe Guérin : C’est la richesse de la France. Nous sommes le pays du fromage, avec une multitude de productions viticoles. Il y a une disparité d’offres et les produits peuvent facilement être ramener à une consommation régionale. Nous sommes une région touristique, attractive de ce point de vue-là, c‘est l’occasion de faire découvrir notre produit à un large public. Il est diffusé assez largement sur le territoire national et au-delà. Il y a un travail de fond afin de renforcer cette tendance, l’élargir, et permettre au consommateur de retrouver les produits qu’il a découverts en région, de pouvoir se les approprier quand il rentre chez lui.

 

Cyril Michaud  : J’essaye de faire le tour de maximum d’administrateurs pour voir la diversité, les différences, les complémentarité entre les différents producteurs, c’est très enrichissant pour la suite, dans la diversité des produits et des modes d’élaboration que nous pouvons trouver.

 

Les cultures biologique et biodynamique sont-elles une éventualité ?

 

Cyril Michaud  : Par le mode d’élaboration du Pineau, comme pour le Cognac, il y a une complexité, des étapes. Il y a des techniques intéressantes en bio et en biodynamie mais il ne faut se priver de ce qui existe en conventionnel. Cela peut être utilisé de manière transversale.

 

Philippe Guérin : Un des freins des passages au bio réside dans les délais : six ans avant d’avoir les premiers produits disponibles par les temps de vieillissement. Depuis de nombreuses années, il y a une prise de conscience très claire de la part des producteurs sur les problématiques environnementales. Il reste à trouver les bons équilibres entre les différentes méthodes. Je regrette l’opposition entre ces pratiques, elles ne s’opposent pas, elles ont vocation à se compléter. Il y a des voies à trouver pour améliorer nos modes de production. Il y a eu des démarchages environnementales dans les pays charentais : référentiel viticulture durable mis en place par le Cognac, que les producteurs de Pineau se sont appropriés, la certification environnementale HVE, Haute Valeur Environnementale. Nous faisons du Pineau sur deux départements, mais la problématique environnementale de l’île d’Oléron n’est pas forcément celle du coteau d’estuaire de la Gironde ; nous sommes sur une zone géographie large et nous devons considérer les choses sur une petite échelle. Il s’agit de se réapproprier son territoire et comment intégrer l’activité dans ce territoire, en accord avec les habitants. Il faut que l’on partage nos visions pour comprendre, en tant que producteurs, ce qu’ils attendent et ce qui peut les heurter car ils viennent d’autres horizons, leur permettre de comprendre notre métier, qui est aussi un moyen de faire vivre le territoire, pas seulement sur le plan économique, mais le dynamiser sur le plan environnemental.

 

Quels sont les sujets qui vous intéressent ou vous préoccupent davantage ?

 

Philippe Guérin : Nous sommes une petite filière, composée de PME, avec une richesse extraordinaire par l’histoire de notre produit, par ce qui nous a été transmis par les générations passées. Ce sont des filières qui ont participé à structurer notre territoire et nous en sommes riches. Notre rôle et notre devoir est de continuer à les faire vivre et les transmettre. Il y a un véritable enjeu de formation auprès des jeunes générations, leur permettre de découvrir l’existence et les métiers liés. Tous les jours nous entendons parler des jeunes qui ont du mal à trouver du travail, et nous entendons des entrepreneurs qui souhaitent embaucher et qui ne trouvent personne. Il y a une vraie réflexion à mener, faire découvrir ces métiers à des jeunes qui n’en ont pas forcément connaissance, comprendre ce qu’ils peuvent en attendre, faire évoluer l’approche et les activités afin qu’ils répondent mieux aux attentes, et ainsi faire revivre nos territoires. Nous sommes sur des territoires ruraux, sur une zone géographique qui n’est pas très peuplée, donc il y a un véritable potentiel pour faire vivre tous ces territoires tout en respectant ce qui fait leurs qualités. L’objectif n’est pas l’urbanisation à outrance mais de redynamiser, pouvoir porter cette richesse, cette culture locale afin de la pérenniser.

 

Cyril Michaud  : Le Pineau a de la valeur et de l’avenir, il faut le construire.

 

 

LE RÔLE DU SYNDICAT DU PINEAU ET SES POSITIONNEMENTS, AVEC PHILIPPE GUÉRIN.

 

Comment définissez-vous les rôles du Syndicat et du Comité ?

Le Syndicat est l’ODG de l’appellation dans le cadre de la réforme de l’INAO, donc c’est le Syndicat des producteurs qui va travailler sur le cahier des charges, qui va demander les modifications. Nous sommes dans un travail de filière, qui se fait aussi en concertation avec la famille du négoce. Le Comité, son rôle principal est de gérer ce qui est transversal avec les deux familles, et notamment ce qui va être communication, qui permet de porter l’image du Pineau le plus largement possible. Il y a une complémentarité d’actions. Le fait d’être dans les mêmes locaux est très précieux, ce qui permet d’avoir des échanges entre les deux structures, qui, pour ma part, ont des actions complémentaires, ont leur raison d’être mais doivent travailler de concert tel que c’est le cas. Il faut garder cette dynamique.

 

Comment la durée de fabrication du Pineau s’intègre-t-elle dans la société actuelle ?

Les vignes sont plantées pour 40 ans. Le Pineau est préparé, au minimum 2-3 ans de vieillissement et bien plus. Nous sommes sur une dynamique qui est lente, sur du long terme, et nous avons une société qui va à une vitesse extraordinaire, qui fonctionne au jour le jour. Nous avons parfois l’impression d’être des extraterrestres dans cette société-là, car nous avons un temps qui n’y correspond pas du tout.

 

Comment une entreprise peut-elle gérer toutes ces contraintes au quotidien ?

Il y a un transfert, aujourd’hui, de beaucoup de choses au niveau des responsabilités qui va vers les entreprises, qui peut-être assez facilement intégrées sur des grosses entreprises, mais qui est très complexe pour les PME, Petits et Moyennes Entreprises. Notre tissu économique, notamment en région, en France, est un tissu essentiellement composé de PME. C’est une richesse extraordinaire mais avec toutes les contraintes d’une PME. Les moyens humains, économiques, de compétence, sont plus limités, et cela demande une énergie folle pour arriver à garder la cadence et cette dynamique.

 

Comment les petites structures peuvent-elles garder le cap ?

Il y a tout le travail. J’ai beaucoup de plaisir à parler du métier, il faut être un peu passionné, avoir envie de le partager. Quand nous expliquons ce que nous faisons, personne ne dit que le produit est vendu cher. Au contraire. Nous avons l’attitude à revoir cela pour des questions de valeur économique, pour garder le dynamisme de nos entreprises, pour valoriser aussi le choix du consommateur quand il achète du Pineau. Il peut en être fier car je pense qu’il participe au rayonnement de ce produit, et continuer à mettre en valeur et poursuivre le travail à faire sur le territoire. Il y a encore beaucoup de choses à faire et défendre le territoire. Cela nécessite un investissement humain important. Il y a des vocations à aller chercher.

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