Le rôle du packaging dans la dégustation : ces sens si influençables …

16 janvier 2018

La neurologie est une science passionnante qui explique parfois l’inexplicable. Lorsqu’elle s’invite à la dégustation, un art complexe empreint de subjectivité, la promesse est alléchante. Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde et Gabriel Lepousez, docteur en neuroscience et chercheur à l’institut Pasteur ont animé une conférence à la demande de la fédération française du liège en marge du salon de l’emballage VS Pack. Les experts ont expliqué ces phénomènes qui viennent influencer nos perceptions organoleptiques auxquelles et au fil des mots, on comprend que le rôle le l’emballage et du bouchon va bien au delà de l’imaginable. Une intervention à savourer sans modération…

Chacun a déjà vécu dans sa vie l’expérience surprenante de la suggestion en dégustation. On vous dit que ça sent la pomme avec un peu d’assurance et vous cherchez la pomme… Vos sens se concentrent sur ce parfum que vous connaissez bien, et au bout de quelques secondes, vous en êtes convaincus, l’odeur est bien présente. Vous pouvez alors l’affirmer comme un certain Lino le faisait à la table des tontons flingueurs… « Y en a ! ». Cette expérience, Gabriel Lepousez, docteur en neurosciences et chercheur à l’institut Pasteur, la connait bien. Il en a même fait l’un de ses thèmes de prédilection dans des travaux de recherche. L ‘avis de notre voisin peut influencer notre perception, c’est une certitude. Mais en réalité, il y a bien d’autres phénomènes qui viennent manipuler nos jugements et tout ceci découle de réflexes pavloviens profondément ancrés en nous. Car avant de percevoir le stimulus activé par l’un de nos sens, notre cerveau se prépare, pré informe certaines zones du cerveau en prévision des sensations à venir.

Réflexe d’anticipation

Pour illustrer ses propos le Docteur Lepousez explique : « Prenons l’exemple de l’odeur du Citron qui stimule instantanément la salivation. En réalité ce réflexe permet tous simplement de préparer l’organisme à l’étape d’après qu’est le goût ». Lorsqu’il est soumis à un stimulus qu’il reconnaît, le cerveau est donc capable d’activer la mémoire pour reproduire des gestes ou des attitudes d’anticipation. Ainsi, l’odeur du chat dans la cage de la souris lui provoque une poussée d’adrénaline pour pouvoir s’enfuir rapidement, et la présentation à un sujet d’un produit riche en sucres provoque selon la même logique une poussée d’insuline pour assimiler ces substances.

La hiérarchie des perceptions

Le cerveau humain sait hiérarchiser les informations qui lui parviennent et cela a une incidence toute particulière dans la présentation d’un produit avant une dégustation. Si on prend le seul sens qu’est la vue, il y a deux mécanismes de priorisation qui entre en compte. D’abord sur le plan temporel, la vue précède toujours les autres sens. Le cerveau qui aime anticiper l’avenir prépare l’ensemble des récepteurs à la perception à venir, parfois à se tromper… Ensuite du point de vue sensoriel, le cerveau accordera toujours plus d’importance à une information visuelle qu’olfactive. Ce n’est d’ailleurs pas un hazard sur les fonctions visuelles occupent 20% du cerveau alors que les fonctions olfactives seulement 2%. Le rôle d’un packaging qui met en valeur le produit est donc aussi d’influencer la perception olfactive du consommateur.

Sensation perçue ou imaginée ?

En 2001, les chercheurs de la faculté d’œnologie de Bordeaux ont mené une expérience simple sur un panel de dégustateurs confirmés. Deux vins blanc identiques ont été soumis à la dégustation mais l’un d’entre eux avait été « taché » avec un colorant inodore et insipide pour le rendre rosé d’apparence. On devine aisément la suite… La compétence des dégustateurs n’y a rien fait. Le vin rosé a systématiquement reçu des commentaires en lien avec des fruits rouges alors qu’il n’en était rien. Une seconde expérience menée en Angleterre est allée plus loin. Deux gelées, l’une orange et l’autre rouge ont été présentés à un jury de dégustateur en leur disant qu’elles étaient à base de betterave rouge et d’orange. Les dégustateurs ont donc volontairement été préconditionnés sauf que les saveurs étaient inversées (Betterave orange et orange sanguine). La dégustation a provoqué soit un sentiment de surprise soit le rejet. « Par cette expérience, nous avons démontré la puissance de l’anticipation dans le cerveau. Lorsque deux sens sont mis en opposition, la perception est perturbée au risque de provoquer la répulsion » explique le docteur Lepousez.

Un packaging en phase avec le produit

Selon Philippe Faure Bracq, cette notion d’anticipation est fondamentale pour la mise en condition d’une dégustation. A titre d’exemple, le format de la bouteille (Bourguignonne ou Bordelaise), son poids, son type de bouchage va influencer le jugement et même si les professionnels sont attentifs à ce phénomène, ils auront toujours beaucoup de mal à s’en détacher. Le docteur Lepousez explique : « Lorsque nous nous préparons à déguster un vin, nous savons que nous allons vivre un moment agréable, notre cerveau génère un pic de dopamine, hormone du plaisir. Cela nous prédispose à vivre cet instant dans les meilleures conditions. Si la promesse est à la hauteur de l’annonce, l’information est mémorisée et servira de référence pour les expériences à venir. Mais dans le cas contraire, on constate une chute brutale de dopamine qui génère une situation d’inconfort voire de déplaisir à laquelle le cerveau est extrêmement sensible. Il faut prendre soin de tous les éléments qui concourent à prédisposer le consommateur. En cas de déception, le cerveau assimilera le produit et tout ce qu’il véhicule à une duperie, et ceci de façon durable ».

Le bouchage liège influence la perception

Tous les éléments qui évoquent une signature de qualité concourent à un amorçage cognitif dans le cerveau. Il est d’ailleurs largement démontré que l’appréciation d’un produit est directement corrélée à son prix. Le type de bouchage induit la même réaction. Une expérimentation conduite sur un panel de dégustateurs a démontré qu’un même vin présenté avec un bouchage liège avait une connotation plus festive qu’avec un bouchage capsule. Jusqu’ici rien de bin surprenant mais ce qui est le plus étonnant, relève de la perception organoleptique. L’intensité et la qualité de la bouteille de vin « bouchée liège » est évaluée à 4,5/5 lorsque celle avec la capsule vis n’est que de 2,5/5. Une déformation qui est, selon le chercheur, parfaitement justifiée sur le plan physiologique. « Au moment du débouchage de la bouteille nait une dimension émotionnelle forte en lien avec le produit qui passe d’abord avec la rencontre du Bouchon. C’est un produit noble, naturel, haut de gamme. Il était caché par la capsule et vous êtes le premier à le rencontrer depuis la mise en bouteille. A ce stade, vous allez déjà percevoir des émotions et la dopamine viendra probablement interférer dans vos perception et pré conditionner votre cerveau pour la suite » indique le chercheur. Selon Philippe Faure Bracq, c’est l’une des raisons pour lesquelles il est si important en sommellerie d’assurer un service à table en présentant le bouchon au client. « Cela fait partie de la mise en condition qui permet d’apprécier un vin à sa juste valeur » explique-t-il.

Dégustation plaisir ou analyse sensorielle.

Mais si nos sens sont aussi imprécis ou influençables, quelle caution peut-on donner aux dégustations techniques qui attribuent notes et médailles ? Pour répondre à cette question, le chercheur expose une dernière expérimentation réalisée cette fois-ci en observant l’activité cérébrale des dégustateurs dans un scanner. En comparant les clichés effectués entre des experts et des non-experts, on distingue une différence flagrante : Les experts qui sont entrainés et rôdés à l’analyse sensorielle utilisent précisément la zone du cortex olfactif, centre du fonctionnement analytique et attentionnel. Les non-experts activent l’amygdale (centre de gestion de l’émotionnel) ainsi que des zones beaucoup plus diffuses dans le cerveau. L’entraînement peut donc permettre à chacun de s’affranchir de l’influence de son environnement et de ses souvenirs. Mais certains diront que l’absence d’entraînement est une chance pour le commun des dégustateurs puisqu’ils peuvent se laisser emporter par toutes les sensations agréables que leurs procurent la vue d’une belle bouteille, d’une étiquette, d’un bouchon liège… puis enfin de la dégustation d’un vin ou d’une eau de vie.

 

 

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