Intervention de Claude Bourguignon

31 janvier 2010

Ingénieur agronome (INA PG), spécialiste de la microbiologie des sols, Claude Bourguignon est appelé un peu partout dans le monde au chevet des sols fatigués, pour relancer leur activité biologique. Doublement Bourguignon par son nom et par son ancrage, il milite pour une gestion durable des sols viticoles et une reconquête du « goût de terroir » attaché à l’enracinement profond des vignes.

c_bourguignon.jpgA Galienne, le 20 novembre, les premières minutes de l’intervention de Claude Bourguignon ne laissaient pas augurer de la suite. Discours un peu confus, un brin décousu d’un homme qui peine à atterrir dans une région et une problématique que, manifestement, il connaît mal. Et puis le propos s’est recentré et le public a pu se régaler sans restriction à la source d’une connaissance scientifique que l’on devine ample et profonde. Mieux, le docteur ès sciences est aussi un homme de terrain. D’où un ton tout sauf professoral et une approche pragmatique qui a séduit les viticulteurs. Claude Bourguignon et sa femme Lydia ont fondé le LAMS (Laboratoire d’analyse microbiologique des sols) il y a vingt ans, après leur départ de l’INRA. Ils travaillent chez eux, à Marey-sur-Tille, un petit village à 30 km au nord de Dijon. Pour l’anecdote, Claude Bourguignon est le frère de l’actrice Anémone, de son vrai nom Anne Bourguignon.

la synthèse des parfums

« Si vous voulez que vos produits expriment toute la typicité du terroir, il faut que les racines plongent loin dans le sous-sol et, pour ce faire, il faut que les sols soient vivants en surface. » Ce message, Claude Bourguignon le délivre, inlassablement. En effet, ce sont les oligo-éléments présents dans la roche mère qui, en servant à la synthèse des parfums, vont conférer ce « goût de terroir », apanage des appellations. Mais pour que les racines plongent profondément dans la roche, elles ont besoin d’oxygène, et l’oxygénation des sols, c’est la vie microbienne du sol de surface qui la procure. D’où la nécessité de conserver un sol vivant. De quelle manière ? « C’est un vaste sujet reconnaît Cl. Bourguignon. Aujourd’hui les viticulteurs sont un peu perdus face à la gestion de leurs sols. Faut-il désherber totalement, désherber sous le rang, pratiquer l’enherbement contrôlé ? On voit un peu de tout. » Pour le biologiste, il n’y a pas de doute. « Le désherbage total devrait être interdit dans les vignobles d’appellation. Il n’y a pas mieux pour tuer tout le milieu. » Reste le désherbage chimique sous le rang. L’agronome n’y est pas opposé, à condition de savoir gérer les doses. « Vous n’allez tout de même pas revenir au cheval, comme à Romanée-Conti. Sinon les gens vont sortir le fusil ! » « En dessous de 1,5 l voire 2 l/ha, dit-il, le désherbage n’a pas d’effet négatif sur la vie microbienne du sol. Le but n’est pas de tuer l’herbe mais de limiter sa compétition avec la vigne. Et quand est-ce que cette compétition est la plus forte ? Quand la vigne est en fleur. L’objectif est donc d’éviter que les adventices fleurissent en même temps que la vigne. On peut très bien y arriver avec des doses de 0,8/0,9 l/ha. Pour ce faire, il suffit de jouer avec le pH de l’eau. Avec des pH de 7/7,5, ça ne marchera pas. Avec un pH de 4,5, oui. » Comment faire pour obtenir un pH de 4,5 ? Réponse du scientifique : « Pour faire tomber le pH de l’eau, il suffit tout simplement d’ajouter de l’acide de batterie dans votre eau. Une fois le bon dosage réalisé, vous le reproduirez par la suite. » Pour la bande enherbée, Claude Bourguignon préconise de procéder de la même manière, si besoin s’en fait sentir : « Vous pourrez très bien calmer l’herbe sans la tuer à 0,2/0,4 l/ha. » Accessoirement, travailler à petites doses empêche – statistiquement – l’apparition de souches résistantes. Pour Cl. Bourguignon, l’enherbement au milieu du rang représente une bonne réponse dans les vignes larges. « Je ne tiendrais pas le même discours pour les vignes étroites, présentant un écartement entre rangs inférieur à 1,35 m. La canopée de la vigne protège alors le sol. Il en va différemment en situation de vigne large, où l’enherbement évite l’érosion du sol et apporte de la matière organique. Il relance l’activité biologique du sol. » En matière d’enherbement, plutôt que de se contenter du seul ray-grass, l’agronome conseille d’implanter un mélange de graminées et de légumineuses, fétuque, paturin, trèfle, légumineuse rase… Il plaide aussi pour l’amendement, les engrais verts et le broyage des bois. « Surtout ne les brûlez pas. »

la vigne a besoin des microbes

Parler de sol vivant sous-entend que des organismes vivants s’y trouvent. L’agronome a cité les organismes vivants se trouvant normalement dans le sol : les animaux (la faune), les microbes. En ce qui concerne la faune, il y a d’abord la faune « épigée », la faune qui se trouve à la surface du sol. Elle se nourrit des déchets de la vigne, bois, détritus végétaux. Elle transforme la litière en humus en produisant des boulettes fécales (des crottes). C’est le rôle des cloportes, crustacés adaptés à la vie terrienne, araignées et autres vers de terre. En France, le plus gros ver de terre repéré en sol viticole se trouve à Jurançon et mesure 1 m de long. Parmi la faune, un autre groupe existe, celui des collemboles et des acariens. Claude Bourguignon a regretté que le dernier spécialiste français des acariens soit parti à la retraite. « Aujourd’hui, il nous faut aller en Allemagne pour les étudier. » La famille des collemboles est très mal connue. Ne seraient répertoriées que 10 % des espèces. Dans un sol bien entretenu, vivraient de un à quatre milliards de colemboles par ha. Enfin, dans le sous-sol, existe la très importante famille des microbes. Pour se nourrir la vigne a besoin des microbes. Ce sont les microbes qui vont lui fournir son alimentation, les vitamines, les oligo-éléments. Le scientifique a noté un appauvrissement général des cultures en vitamines et oligo-éléments. « Aujourd’hui, pour retrouver dans une orange autant de vitamines A et C qu’il y a trente ans, il faut en manger huit au lieu d’une. » Autre indicateur livré par Cl. Bourguignon : « En 1900, les sols européens étaient vivants sur 3,5 m ; aujourd’hui, ils ne le sont plus en moyenne que sur 50 cm. » Naturellement, les pesticides n’y sont pas étrangers. Le biologiste a noté que si la viticulture et l’arboriculture occupaient 3 % du territoire dans le monde, ces cultures consommaient 30 % des pesticides.

l’oxygénation des sols

Un sol bien aéré grâce à la présence d’organismes vivants va pomper l’eau de pluie. Cette eau de pluie, surtout en hiver, quand elle est froide, va oxygéner les sols et permettre aux racines profondes de descendre pour aller capter les fameux oligo-éléments. C’est d’autant plus important en période de changement climatique. « Les taux d’alcool augmentent régulièrement, altérant la finesse des vins. Un enracinement profond rendra la plante moins stressée et surtout permettra de diminuer le feuillage. » Ainsi, la vigne sera un peu moins dépendante de la photosynthèse pour son alimentation même si le biologiste n’a pas caché le rapport très inégalitaire entre les apports de la photosynthèse et du sol. Globalement, 94 % de la matière sèche de la vigne provient du soleil (phénomène de la photosynthèse) et 4 % du sol. Mais, en terme de parfums, ces 4 % sont essentiels. « La vigne est la seule plante capable de supporter une taille de ses parties aériennes et de ses racines superficielles. Voilà 7 000 ans que les hommes pratiquent de cette façon. Ils permettent ainsi au système racinaire de plonger loin pour trouver le “goût de terroir”. N’a-t-on pas retrouvé, dans le calcaire jurassique fissuré, des racines de vigne colonisant la roche à 75 m de profondeur. »

En ce qui concerne la préparation des sols, Claude Bourguignon a largement mis en garde contre le défonçage avant plantation. « C’est la meilleure façon d’empêcher la formation des petites galeries microscopiques. Le défonçage n’est pas une bonne pratique en viticulture de qualité et je ne dirais rien du dérocage, qui fait son apparition dans certains vignobles. C’est la pire des choses. » Quant à la désinfection du sol après arrachage, aujourd’hui confrontée à une impasse technique – les produits homologués sont en passe de ne plus l’être – le scientifique a indiqué que son laboratoire « proposait une technique efficace, respectueuse de l’environnement ». Pour doper la faune auxiliaire et notamment les typhlodromes, Claude Bourguignon défend l’idée d’implantation de haies. Ces haies, parallèles au rang de vigne, comptent des essences qui supportent la taille quatre ou cinq fois par an, au même rythme que le rognage de la vigne.

les maladies du bois

En toute fin d’intervention, alors qu’on ne l’attendait pas vraiment sur le sujet, dans la mesure où son exposé était jusqu’alors centré sur la vie microbienne des sols, Claude Bourguignon a lancé un pavé dans la mare en s’attaquant au problème des maladies du bois et plus particulièrement de l’esca. Comme facteur aggravant, il a d’abord cité la taille trop courte, associée au sécateur électrique. « Quand on taille un bois avec un sécateur électrique, on a d’abord tendance à tailler plus court et, par ailleurs, la lame écrase le bois, contrairement à des techniques plus ancestrales de taille. Quand on taillait à la serpe, on taillait le bois en biais. Sans parler de ça, la taille manuelle se montre moins agressive. » Dont acte. La communauté scientifique qui travaille sur les maladies du bois admet volontiers que la taille représente un facteur de risque supplémentaire même si « changer les pratiques de taille ne résoudra pas tout ». Plus surprenant fut le dégagement de Claude Bourguignon sur la greffe Omega. Inventée dans les années 30 dans les pays de l’Est, la greffe Omega représente aujourd’hui 99,9 % des greffes pratiquées par la pépinière viticole. Sur le principe de l’assemblage tenon/mortaise (pour reprendre l’image de la charpente), c’est la seule greffe mécanisable, contrairement à la greffe en fente (greffe anglaise), uniquement manuelle. Sur la base des observations qu’il a conduites, l’agronome a émis une hypothèse de risque concernant la greffe Omega. « C’est d’abord un constat empirique qui nous fait tenir ce discours. Partout dans le monde, nous nous sommes aperçus que les vignes plantées avant 1970 étaient indemnes d’esca, contrairement aux vignes plantées après 1970. Dès la sixième année, l’esca s’installe dans les jeunes plantations. Ce phénomène nous a frappés, de l’Europe à la Nouvelle-Zélande. Ensuite des observations au microscope nous ont prouvé que l’infection de l’esca se produisait toujours au niveau du point de greffe Omega, surtout dans les vignobles exposés au vent, comme au Chili ou dans le Sud de la France. Horizontale et non verticale la greffe Omega s’avère sans doute plus fragile aux microvibrations exercées par le vent. Avec la greffe anglaise, la longueur de contact entre les cortex est bien supérieure et la soudure toujours meilleure. C’est pourquoi, quand je suis amené à conseiller les grands vignobles de Bordeaux ou de Bourgogne, je demande toujours aux pépiniéristes de pratiquer la greffe en fente. Certains refusent mais d’autres se montrent plus compréhensifs. Je crois que tout doucement, le concept est en train de s’installer au sein de la pépinière viticole. Dans le Kurdistan, au nord-est de l’Irak, nous avons trouvé des pieds de vignes vieux de quatre siècles. Les Romains fabriquaient des meubles avec du bois de vigne. Les systèmes de greffage ont réduit l’espérance de vie de la vigne à 100 ans. Aujourd’hui, avec la greffe Omega, nous sommes passés à 25 ans. Ce n’est pas normal. Dans une civilisation, tout n’est pas que progrès. »

réactions

Comme on l’imagine, ces considérations n’ont pas manqué de susciter des réactions, chez les pépiniéristes mais aussi parmi les personnes concernées par la qualité du matériel végétal, scientifiques ou travaillant dans les organismes de contrôles. Certains avaient déjà entendu parler de la « rumeur concernant la greffe Omega, qui voudrait qu’une poche de vide se crée entre les deux sujets, favorisant le développement des champignons ». « Le problème, disent-ils, c’est que rien aujourd’hui ne permet d’étayer ces arguments. Il n’existe pas de publication scientifique sur le sujet. Les maladies du bois ont fait l’objet l’an dernier d’un appel d’offre assez conséquent de plusieurs millions d’euros. La communauté scientifique a proposé des pistes de recherches mais rien sur le mode de greffage. Si le problème était si prégnant, les scientifiques n’auraient pas manqué de s’en emparer. Sur de simples suspicions, il est assez dommageable de montrer du doigt une profession. Comment imaginer revenir à la greffe en fente, qu’il n’est pas possible de mécaniser ? Qui plus est, Claude Bourguignon n’est peut-être pas la personne la plus au courant des questions de maladies du bois. » Responsable de la certification plants de vigne pour l’Aquitaine et les Charentes à FranceAgriMer, Yvan Colombel note lui aussi l’absence de publication scientifique au sujet de la greffe Omega.

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