le fort impact des maladies du bois sur la productivité

8 janvier 2013

En 2012, les maladies du bois ont-elles eu une incide ce sur la productivité du vignoble charentais supérieure à l’épidémie de mildiou ? Cette question, de nombreux viticulteurs se la posent surtout quand ils ont bien maîtrisé la protection du vignoble. La fréquence des symptômes graves d’esca et de BDA a marqué les esprits et, malheureusement, les observations et les comptages de la Station Viticole du BNIC et de l’Observatoire régional des maladies du bois confirment la tendance. Les pertes de récolte liées aux maladies du bois sont estimées en 2012 à 19 %. Ce chiffre, qui fait peur, suscite une grande inquiétude pour la pérennité du vignoble. La dynamique de recherche qui s’est mise en place depuis trois ou quatre ans n’est pas encore en mesure de proposer des méthodes de lutte efficientes. Le déficit de connaissances fondamentales au niveau des maladies du bois représente un handicap majeur mais, pourtant, certains travaux sont porteurs d’espoirs à moyen terme. Pour l’instant, les axes de luttes les plus réalistes reposent sur la prophylaxie et l’entretien du capital souches des parcelles.

 

 

Les maladies du bois ont exprimé un degré de nuisibilité très important en 2012 que beaucoup de viticulteurs n’avaient jamais observé jusqu’à présent. La fréquence des symptômes d’apoplexie engendrant la mortalité des ceps a été spectaculaire et indéniablement les dégâts cumulés de l’eutypiose, de l’esca et du BDA ont eu une incidence sur la productivité de beaucoup de parcelles. La situation est devenue plus que préoccupante car les symptômes apparaissent dans les vignes jeunes âgées de seulement de 8 à 10 ans. La mortalité des ceps touche particulièrement les parcelles de 15 à 25 ans alors que des vignes âgées de 35, 40, 50 ans présentent moins de symptômes, surtout moins de souches mortes (ou absentes). Ce constat est terriblement alarmant d’autant qu’actuellement, aucun moyen de lutte ne permet d’endiguer ce fléau.

Les pertes de récoltes liées aux maladies du bois estimées à 19 % en 2012

En Charentes, le vignoble semble présenter une sensibilité accrue aux maladies du bois dont l’impact sur le rendement en 2012 est évalué par la Station Viticole du BNIC à 19 % en moyenne. Ce chiffre fait peur quand on sait qu’en 2002, année où l’utilisation de l’arsénite de soude a été interdite, le niveau de nuisance sur la production moyenne se situait autour de 11 %. L’étude conduite par Vincent Dumot, l’ingénieur ayant en charge les travaux sur les maladies du bois à la Station viticole du BNIC, présente l’avantage de chiffrer à la fois les pertes liées aux ceps improductifs (les ceps morts, absents et tous les jeunes plants non productifs) et aussi celles induites par les symptômes foliaires (tenant compte de plusieurs niveaux d’intensité d’expression). En 2012, l’incidence des pertes liées à l’ensemble des symptômes foliaire d’esca-BDA atteint le niveau record et malheureusement inégalé de 5 %, alors qu’entre 2007 et 2011 elles se situaient entre 2 et 2,5 %. Globalement, l’impact volumique des symptômes foliaires cumulés d’esca-BDA et d’eutypiose dépasse 7 % en 2012.

p14a.jpgLa proportion de ceps improductifs dans les parcelles a presque doublé depuis le début des années 2000. Les comptages au niveau du réseau de 55 parcelles de maturation de la Station Viticole du BNIC révèlent que 12 % des souches ne sont pas en état de produire. Cette notion de ceps improductifs englobe la quantité de pieds morts ou absents et l’ensemble des jeunes plants en cours d’établissement (de première, deuxième, troisième ou quatrième années selon le temps nécessaire à l’établissement). Les opérations d’entreplantation et de recépage sont nettement plus importantes depuis trois ans, mais cela n’est pas encore suffisant pour compenser l’augmentation de la mortalité annuelle des souches.

Le vignoble de Cognac ne serait-il pas devenu plus sensible aux maladies du bois ?

p14b.jpgLe fort développement des maladies du bois dans la région de Cognac depuis quelques années est sûrement dû à une conjonction d’éléments favorables : une aire de production mono-cépage, la grande sensibilité du cépage ugni blanc, des itinéraires culturaux depuis 20 ans gérés prioritairement avec un objectif de rationalité économique maximale (au détriment de l’agronomie et de la pérennité), une forte proportion de vignes larges à faible densité, un taux de renouvellement du vignoble très faible dans la période 1995-2008, une séquence climatique peut-être plus favorable à l’expression de ces maladies, l’arrêt de l’utilisation de l’arsénite de soude et des attentes de productivité/ha actuelle en hausse de 70 % par rapport à celle de 2006. Les techniciens et les chercheurs ne disposent pas d’éléments scientifiques permettant de cerner l’importance de ces différents éléments. Au vignoble, les observations d’une majorité de viticulteurs sont pourtant concordantes sur le fait que les vignes de la tranche d’âge de 15 à 25 ans sont les plus touchées alors que leurs aînées de 35, 40, 50 ans résistent. Les comptages de la Station Viticole du BNIC sur les 55 parcelles du réseau maturation confirment cette tendance. Comment faut-il interpréter ce constat ? La sensibilité accrue de cette classe d’âge de vigne est-elle liée à la qualité des plants, aux conditions d’établissement des jeunes ceps, aux méthodes de conduite des vignes ou au climat ? Actuellement, les chercheurs ne sont pas en mesure de répondre à ces questions.

p15.jpgUne autre observation concerne la plus grande sensibilité des vignes larges par rapport aux vignes plus étroites. Ce constat repose sur le fait que lors de millésimes difficiles, les parcelles à 2 m ou 2,50 m d’écartement ayant un âge identique à des vignes à 3 m et plus atteignent des niveaux de productivité supérieurs. Cela relance le débat sur la pérennité des plantations à faible et à plus forte densité ? C’est un sujet toujours sensible qui doit être abordé en faisant preuve d’objectivité. Les techniciens ne constatent pas dans leurs comptages que les vignes étroites en Charentes sont moins affectées par les maladies du bois. On peut expliquer cette capacité naturelle à mieux « encaisser » les millésimes difficiles des vignes étroites par le fait que les viticulteurs ne taillent pas plus courts les vignes plus étroites que les vignes larges (2 fois 8 à 9 bourgeons en Guyot). Au final, la charge de bourgeons/hectare laissée dans les plantations à 2 m ou à 2,50 m est généralement plus importante, d’où un potentiel de grappes plus élevé. Un certain nombre de responsables de propriété se demandent aujourd’hui si un des moyens de lutte contre les maladies du bois ne serait pas d’augmenter les densités des plantations ? Passer de 2 400 à 3 000 ceps/ha en production représente sûrement un gage de longévité supplémentaire pour les plantations au bout de 20 ans. Par contre, malgré un taux de mortalité identique, le nombre de ceps en pleine production sera toujours plus important. Revenir à des densités de plantations plus fortes, de 3 000 à 3 500 ceps/ha, engendre aussi une augmentation des temps de travaux (taille, tirage des bois, attachage, palissage et mécanisation) qui aura une incidence significative sur les coûts de production annuels.

Les vignes larges sont de véritables « athlètes de haut niveau »

Les vignes larges à 3 mètres d’écartement et plus représentent dans la région délimitée 70 à 75 % de la surface totale du vignoble charentais. Beaucoup de viticulteurs estiment que les vignes larges paraissent plus sensibles aux maladies du bois. Cette remarque est-elle fondée ? Les techniciens de la Station Viticole du BNIC considèrent qu’un même taux de ceps morts ou absents engendre des pertes de récolte identiques quelle que soit la densité de plantation. Une expression de symptômes d’esca-BDA de 5, 7, 10 % dans une parcelle à 3 m d’écartement est peut-être perçue de manière plus inquiétante du fait d’un nombre de rangs et de pieds moindres à l’hectare. L’épidémie est visuellement plus perceptible dans les vignes larges. Dans les plantations à 3 m d’écartement et plus, les souches se comportent comme « des athlètes de haut niveau » quand les rendements dépassent régulièrement plus de 10 hl d’AP/ha. Par exemple, dans une vigne à 3 m sur 1,20 m, les 2 360 ceps effectifs (15 % de tournières déduites) sont en mesure de produire facilement 120 hl/ha et même plus quand toutes les souches sont là et « en pleine forme ». Les essais réalisés par la Station Viticole dans les années 70 ont démontré que le modèle vignes larges palissées taillées en arcures ou en Guyot double était aussi productif et voire même plus que les vignes basses à 2 m. Par contre, de tels niveaux de rendements représentent une production de 15 tonnes/ha, soit l’équivalent de 6,4 kg de raisin par cep dans une vigne à 3 m sur 1,20 et de seulement 5 kg dans une vigne à 2,50 sur 1,20. Or, au bout de 20 ans avec un taux de ceps improductifs de 12 % (le niveau actuel lié aux maladies du bois), le rendement ne repose dans une vigne à 3 m que sur 2 077 souches et sur 2 640 souches dans une vigne à 2,50 m. Le maintien d’une production de 120 hl/ha dans une vigne large revient à faire porter à chaque souche 7,2 kg de raisins, soit l’équivalent de 21 grappes (poids moyen d’une grappe d’ugni blanc : 350 g). Les viticulteurs qui atteignent et dépassent ce niveau de productivité dans des vignes larges même dans le cadre d’années difficiles comme 2012, 2007, 2008, sont d’excellents professionnels. Ils possèdent un véritable savoir-faire et portent une attention constante à l’entretien agronomique global. Néanmoins, la présence en Charentes de 70 % de vignes larges n’est pas le fruit du hasard. Cela traduit la parfaite adaptation de ce système de conduite à l’environnement technico-économique de production de la filière Cognac. Les vignes larges, du fait de leur densité de plantation faible, permettent d’optimiser les coûts d’entretien annuel du vignoble, ce qui a aidé beaucoup de propriétés à passer la période délicate 1994-2006. Par contre, le maintien du niveau de productivité nécessite aussi une constance au niveau de l’entretien agronomique des parcelles jusqu’à 25 ans. C’est la condition indispensable pour éviter que le capital souches périclite rapidement et que les rendements baissent. Or, le très mauvais contexte économique entre 1994 et 2006 n’a pas toujours permis d’investir dans les travaux essentiels pour la préservation de la pérennité des parcelles. Ne pas remplacer les souches manquantes, des taux de renouvellement des plantations réduits ou néants, l’absence ou la forte réduction des fumures, des travaux de taille réalisés toujours plus vite… bref, il fallait absolument réduire les charges pour passer la très mauvaise période ! Beaucoup de vignes ont été conduites à « minima » et aujourd’hui, relancer la productivité va nécessiter des moyens et un peu de temps. Un cep de vigne ne se gère pas, il est établi et se conduit avec sagesse et constance dans le temps pour assurer à la fois la récolte de l’année et celles des 5, 10, 15, 20, 30, 40 ans à venir.

Le manque de « vista » du début des années 2000 se paie « cash » aujourd’hui

Dans toutes les grandes régions viticoles jusqu’au milieu des années 2000, les professionnels n’ont pas jugé nécessaire de débloquer des enveloppes budgétaires pour soutenir les actions de recherche. S’intéresser à un sujet ne pénalisant pas la productivité et la pérennité des souches à court terme mais pouvant représenter un handicap majeur dans un délai de 5 à 10 ans était en 2000 un concept de protection et de valorisation du patrimoine viticole irréaliste par rapport aux enjeux économiques immédiats. En Charentes, dans la période 2000 à 2004, produire 6 à 7 hl d’AP/ha était un objectif très facile à atteindre même les années où la nature se montrait peu coopérante. La situation de surproduction chronique du vignoble par rapport aux besoins commerciaux de la filière Cognac de l’époque a relégué au second plan tous les aspects agronomiques et de pérennité du vignoble. L’absence de lisibilité économique n’a pas incité les viticulteurs à réaliser des entreplantations ou à renouveler régulièrement les plantations et la productivité actuelle de nombreuses parcelles s’en trouve affectée. Dans le Bordelais, le merlot étant beaucoup moins sensible que le cabernet sauvignon (planté à très fortes densités dans le Médoc) a permis de maintenir la productivité, d’autant que le bon contexte économique jusqu’en 2003-2004 permettait un renouvellement régulier du vignoble. Les productions de vins blancs à base de sauvignon dans le Bordelais et à Sancerre étaient beaucoup plus concernées par les maladies du bois, mais la dimension réduite de ces aires de production n’a pas été en mesure de créer une sensibilisation large. Les urgences techniques et économiques étaient ailleurs et les décideurs ont sous-estimé le danger maladies du bois. L’interdiction de l’utilisation de l’arsénite de soude à la fin de l’année 2001 n’a pas créé l’électrochoc attendu de la part des professionnels et des techniciens des organismes de développement agricole. Aucune mobilisation d’envergure ne s’est mise en place pour défendre un produit et une méthode de lutte qui présentait un réel danger pour la santé humaine et l’environnement. Les industriels de l’agrochimie n’ont pas souhaité non plus investir dans des recherches pour développer de nouvelles formulations du produit qui auraient été susceptibles de rendre la matière active conforme aux exigences environnementales et de santé humaine. Seules quelques personnes conscientes des enjeux pour le capital souches ont essayé de proposer un encadrement des conditions d’application rigoureux (avec tunnel de récupération) par des prestataires agréés. Leur idée était pleine de bon sens mais la cause était perdue d’avance ! Le ministère de l’Agriculture qui a tranché à l’époque n’a pas non plus décidé d’octroyer des moyens supplémentaires à la recherche publique sur le sujet maladies du bois. La seule contrepartie consentie par l’Administration a été de mettre en place un observatoire des maladies du bois dans toutes les régions viticoles françaises. L’objectif de cet outil devait être de vérifier si la nuisibilité « prédite » par quelques marginaux allait bel et bien se révéler. 10 ans plus tard, le constat dépasse les plus mauvaises prévisions de l’époque et les viticulteurs « regardent dépérir » leurs ceps de vigne.

Que fait la recherche ? Elle travaille beaucoup mais depuis peu de temps !

Les maladies du bois sont aujourd’hui le sujet de préoccupation majeur des viticulteurs charentais et de beaucoup de leurs collègues des autres régions viticoles françaises, italiennes, espagnoles… Une question revient souvent : « Que fait la recherche ? ». Eh bien, elle s’est mise au travail mais il n’y a pas très longtemps ! Un projet d’études national sur les maladies du bois a été mis en place il y a trois ans. Les acquis scientifiques au cours des décennies 80, 90 et du début 2000 étaient très « maigres » car seulement une ou deux équipes d’ingénieurs (de 2 à 3 personnes) de l’INRA travaillaient sur l’esca, l’eutypiose ou le BDA. Les maladies du bois étaient considérées comme une thématique de recherche marginale au niveau de la filière viticole nationale, car la situation était maîtrisée avec l’utilisation de l’arsénite de soude. Son interdiction, qui était de toute façon inévitable, n’a pas été du tout anticipée. Trouver une démarche de lutte efficace et rationnelle contre l’eutypiose, l’esca et le BDA mobilise aujourd’hui toute la communauté scientifique, mais le chantier est « énorme ». L’eutypiose, l’esca, le BDA, sont des maladies dont on connaît bien peu de chose par rapport au mildiou, à l’oïdium et au botrytis. En plus, ce sont des maladies complexes du fait de l’implication de plusieurs champignons et de leur cycle de développement long. Actuellement, l’IFV est chargé de coordonner l’ensemble des travaux de recherches des différentes équipes (sur des axes différents et complémentaires) à Angers, Bordeaux, Cognac, Colmar, Dijon, Montpellier, Reims… Une dynamique de partage des connaissances s’est aussi mise en place entre toutes les équipes scientifiques en France et en Europe. Les moyens nettement plus importants qui sont investis dans les divers projets de recherche vont porter leurs fruits à moyen terme, mais 3 ans d’efforts intenses ne sont pas en mesure de compenser le temps perdu durant deux décennies.

Deux handicaps majeurs : une mauvaise connaissance des maladies et des cycles de développement longs

p18.jpgPhilippe Larignon, le responsable des recherches maladies du bois à l’IFV, estime qu’actuellement la difficulté à proposer des méthodes de lutte est liée d’une part à une mauvaise connaissance des maladies et d’autre part à la durée longue des expérimentations pour révéler leur efficacité. L’eutypiose est sans aucun doute la maladie la mieux connue et la plus simple. Sa découverte à la fin des années 70 avait mobilisé à l’époque des moyens scientifiques plus conséquents qui ont permis de développer divers moyens de lutte prophylactique. L’esca est une maladie très ancienne présente dans tous les vignobles. Son incidence a été pendant très longtemps attribuée à deux champignons, Fomitiporia punctata et Stereum hirsitum, qui pénètrent par les voies aériennes au niveau des plaies de taille. Des recherches plus récentes ont mis en évidence que d’autres champignons, Phaeoacremonium aleophilium (pal), Phaeomoniella chlamydospora (Pch) et Eutypa lata, sont aussi à l’origine de son développement. Les connaissances biologiques sur le cycle épidémique de l’esca et le rôle des différents agents infectieux sont pour l’instant insuffisantes pour proposer une stratégie de lutte préventive vis-à-vis de cette maladie très complexe. Le BDA, qui a été longtemps assimilé à l’esca, a été identifié en 1999 comme une maladie à part entière. Un volet de recherche spécifique a été engagé sur le BDA et certaines avancées récentes sont porteuses d’espoirs.

Les deux champignons responsables du BDA identifiés par des chercheurs portugais

p20a.jpgLes travaux de recherche de l’Institut supérieur d’agronomie de Lisbonne au Portugal (le laboratoire de pathologie végétale « Vérissimo de Almeida ») ont permis d’identifier les deux agents infectieux du BDA, des champignons de la famille des Botryosphaeriacées, le Neofusicoccum parvum et le Diplodia seriata. L’inoculation séparée de ces deux champignons sur des boutures cultivées en serres a permis d’obtenir sur les jeunes rameaux des chancres caractéristiques de la maladie au bout de deux mois. Les travaux de l’équipe de chercheurs portugais ont été conduits avec succès durant trois ans sur quatre cépages, le Tempranillo, le Castelao, le Chardonnay et le Gewurztraminer. Cette avancée est importante car elle met en évidence que le BDA est une maladie simple liée à une seule famille de champignon. La méthode d’inoculation a été transférée en 2011 en France à l’unité de recherche vignes et vins de Champagne de l’université de Reims. Dès cette année, les chercheurs vont mettre en place des expérimentations pour d’une part étudier les interactions entre la plante et les deux champignons, et d’autre part évaluer l’efficacité de diverses méthodes de lutte. Le fait d’être en mesure d’innoculer les maladies et d’obtenir des symptômes foliaires dans des délais courts va permettre de faire progresser les recherches plus rapidement.

Les champignons responsables du BDA, de l’esca et de l’eutypiose pas transmis par les outils de taille

p20b.jpgUne autre avancée concerne les contaminations des plaies de taille par l’un des champignons responsables du BDA. L’étude conduite par l’IFV Rhône-Méditerranée dans les vignobles du Sud-Est met en évidence que les outils de taille ne provoquent pas la transmission du champignon Diplodia seriata. Les analyses microbiologiques n’ont jamais montré une présence plus importante du champignon dans les coursons en absence de pluie. Le champignon a été le plus souvent trouvé dans les tissus sous-jacents aux plaies de taille après une période pluvieuse. L’étude a montré que les contaminations se déroulent le plus souvent après la période de pleurs durant une période pluvieuse où les niveaux de températures se situent entre 10 et 16 °C. Les contaminations ont lieu à partir du réservoir d’inoculum présent sur les bras et les troncs (au niveau des anciennes plaies de taille) et sur les sarments laissés au sol. La présence du champignon dans les rameaux non taillés aurait comme origine les blessures herbacées occasionnées lors de différentes pratiques culturales durant la période végétative de la vigne jusqu’à la chute des feuilles. Le champignon se développerait dans les tissus ligneux pour atteindre les rameaux herbacés ou les sarments à partir du vieux bois. D’autres études conduites par l’IFV et l’INRA de Montpellier et de Bordeaux avaient déjà montré que les champignons associés à l’esca et à l’eutypiose ne se propageaient pas par les outils de taille. Aujourd’hui, l’aboutissement des travaux sur le BDA va dans le même sens. Il n’est donc pas nécessaire de désinfecter les outils de taille pour lutter contre le BDA et les autres maladies du bois. La désinfection des outils de taille ne se justifie que dans les parcelles infestées par la nécrose bactérienne. Par contre, l’élimination du bois mort (souches mortes et bras de ceps) avant la taille contribue à réduire les sources d’inoculum qui, après des pluies, sont en mesure de libérer des spores et de contaminer les plaies de taille.

Eutypiose : les mastics à base de goudron de pins performants au niveau des plaies de taille

La protection des plaies de taille avec divers produits est-elle en mesure d’empêcher les contaminations de l’agent responsable de l’eutypiose ? Ce sujet avait déjà été travaillé au début des années 80 au moment du développement de divers traitements, l’Atemicep et l’Escudo. Ces produits ont été retirés du marché depuis de nombreuses années et aucune solution de remplacement n’a été proposée, car la phase d’application est lourde à mettre en œuvre. A la demande des professionnels, l’IFV Rhône-Méditérannée a relancé un programme d’étude de l’efficacité de divers produits et méthodes de protection de taille. Diverses expérimentations de protection des plaies de taille par une pulvérisation (avec des panneaux récupérateurs) de substances actives aussitôt la taille se sont révélées très décevantes. La pulvérisation ne permet pas de positionner suffisamment de matière active sur les plaies de taille pour empêcher le développement de l’agent responsable de l’eutypiose. Les concentrations de produit apportées déjà faibles au niveau des tissus sous-jacents aux plaies de taille s’amenuisent encore au moment des périodes de pluie. Les précipitations provoquent un effet de dilution du produit, au point qu’il en devient inefficace. L’application par badigeonnage des plaies de taille est toujours beaucoup plus efficace. Les essais de l’IFV conduits durant les hivers 2010 et 2011 sont riches d’enseignements. Les expérimentation ont permis de tester trois catégories de produits : des goudrons de pin, des lasures et des huiles végétales associées à des résines en comparaison avec l’Escudo. Les applications ont été effectuées au pinceau à deux périodes de taille différentes, l’une précoce en décembre et l’autre plus tardive fin février.

Aussitôt la taille, les plaies protégées par les divers badigeons ont été contaminées de manière artificielle durant une période pluvieuse par l’Eutypa lata. Les résultats confirment la très bonne efficacité des goudrons de pins (2 produits testés, ceux des sociétés Géolia et Scotts) vis-à-vis des contaminations d’eutypiose. Les tailles tardives, et plus particulièrement celles réalisées en période de pleurs, limitent aussi les contaminations. L’application des goudrons de pins au pinceau ou avec une spatule nécessite bien sûr du temps et, dans nos régions, ces protections peuvent être réservées aux jeunes vignes jusqu’à 8 à 10 ans. Les températures froides entre 0 et 5 °C rendent l’application de ces produits plus difficile.

Quelles sont les étapes clés de la contamination des plants

L’apparition de symptômes de maladie du bois sur des jeunes vignes de 6 à 8 ans suscite aussi beaucoup d’interrogations au niveau de la qualité sanitaire des plants de vigne mis en terre. Des recherches ont été conduites dans les régions PACA et en Midi-Pyrénées par l’IFV en collaboration avec les pépiniéristes et les chambres d’agriculture. Les travaux ont permis de mettre en évidence la présence des champignons à la surface du matériel végétal et de définir les étapes clés de contamination des plants au cours de leur élaboration. La phase de stratification représente une étape clé de contamination au cours de laquelle se produit la callogénèse, la formation de la soudure entre le greffon et le porte-greffe. Une fois que les greffons et les porte-greffes sont assemblés, les greffes-boutures sont placées dans des caisses avec de la sciure humide dans une chambre chaude à 28 °C. Le maintien des boutures greffables dans cette ambiance à la fois chaude et humide pendant 10 à 25 jours favorise la formation du cale entre le greffon et le porte-greffe et l’émission des premières radicelles. Durant toute cette phase, les champignons responsables des maladies du bois colonisent la surface des greffes-boutures et pénètrent aussi dans les futurs plants par diverses blessures effectuées lors du greffage, des opérations d’éborgnages des PG et de débitage des bois. La pratique de la stratification à la sciure en chambre chaude n’est pas nouvelle puisqu’elle est couramment pratiquée depuis le début des années 60. La deuxième étape clé de contamination est la phase d’élevage au champ des greffés-soudés, ce qui suscite de nombreuses interrogations sur l’origine des contaminations observées. Proviennent-elles des plants ou du milieu environnant, c’est-à-dire des vignes voisines ou d’autres plantes ?

L’efficacité partielle du traitement à l’eau chaude pas encore confirmée au vignoble

L’obtention de matériel végétal exempt de champignon responsable des maladies du bois a mobilisé l’énergie des chercheurs au cours des dernières années. Les différents traitements envisagés (essais de divers produits chimiques de désinfection des boutures avant le greffage et ensuite des greffés-soudés) se sont révélés nettement insuffisants au niveau de l’amélioration de la qualité des plants en sortie de pépinière. Seul, le traitement à l’eau chaude (trempage des greffés-soudés 45 minutes à 50 °C) effectué dans le cadre de lutte contre la flavescence dorée a une efficacité partielle concernant seulement deux champignons (le Phaeomononiella chlamydospora de l’esca et le Diplodia seriata du BDA). Dans diverses régions viticoles françaises, des essais de plein champ de réceptivité aux maladies du bois avec plants traités à l’eau chaude ont été mis en place depuis le début des années 2000 et, malheureusement, pour l’instant aucun résultat probant ne s’en dégage (les suivis vont se poursuivre).

Le greffage herbacé, un outil pour faire progresser les recherches

p21.jpgAu cours des années 2010 et 2011, les équipes de l’IFV ont décidé de tester une nouvelle approche d’élaboration des plants, le greffage en vert. Le résultat de ces expérimentations a permis d’obtenir des greffes-boutures herbacées élevées en serres exemptes de tous les champignons responsables des maladies du bois. Les plantes ont été produites à partir de vignes mères de greffons et de porte-greffes cultivées en serres qui n’étaient pas soumises aux contaminations dans le vignoble. Cette situation est très éloignée des conditions réelles de production dans des ateliers de pépiniéristes qui seraient en mesure de pratiquer du greffage herbacé. Les chercheurs vont continuer d’exploiter cette voie du greffage herbacé pour implanter des greffés-soudés sains dans diverses situations de vignoble au printemps 2013. Un tel dispositif va permettre à la fois de mieux connaître le rôle des jeunes plants dans l’épidémiologie des maladies du bois et de mesurer la vitesse à laquelle un jeune plant sain est contaminé une fois qu’il est mis en terre.

Les Trichoderma, pas efficaces au niveau de la protection des plaies de taille

Depuis un certain nombre d’années, l’utilisation de produits de protection des plaies de taille à base de Trichoderma est présentée par certains acteurs commerciaux comme une réponse pour empêcher la colonisation des blessures par le champignon Eutypa lata. Un produit commercial, l’Esquive, a même obtenu une homologation contre cette maladie, ce qui a grandement surpris la très grande majorité des chercheurs. L’autorisation d’un tel produit a été principalement fondée sur des tests réalisés sur des plaies de taille. Les Trichoderma sont des composés biologiques naturels utilisés pour lutter contre certains agents pathogènes grâce à divers mécanismes, le mycoparasitisme, l’antibiose et la compétition. L’IFV a conduit au cours des dernières années des expérimentations pour évaluer l’efficacité de plusieurs souches de Trichoderma atroviride et harzionum envers l’eutypiose dans les conditions d’application réelles au vignoble. L’incidence des pluies après la période de taille joue un rôle majeur sur la dissémination des spores et leur pénétration dans les tissus sous-jacents aux plaies. Les chercheurs ont mené leurs travaux en se posant trois types de questions. Les Trichoderma se développent-ils dans les tissus ligneux ? Les Trichoderma colonisent-ils les tissus ligneux sous-jacents aux plaies de taille ? Les Trichoderma empêchent-ils la colonisation du bois par Eutypa lata ? L’étude a montré que les souches de Trichoderma T4, T7 et T10 retardent la colonisation les premiers mois mais, après un délai de 11 mois, cette efficacité a disparu. Ensuite, l’efficacité directe des Trichoderma sur l’Eutypa lata n’a pas été mise en évidence. Au final, Ph. Larignon estime que les expérimentations durant deux années successives d’application en protection des plaies de taille de produits biologiques à base de diverses souches de Trichoderma ne se sont pas montrées efficaces. D’autres travaux conduits en Alsace sur l’application en pulvérisation foliaire d’engrais contenant des oligo-éléments ou des Trichoderma n’ont pas non plus permis d’entrevoir des perspectives de lutte à court terme.

Les porte-greffes 333 EM, Rupestris du Lot et 41 B moins sensibles à l’esca

Dans la période actuelle de plus fort renouvellement des plantations, beaucoup de viticulteurs s’interrogent aussi sur le degré de sensibilité des divers porte-greffes utilisés dans la région. Chacun y va de son commentaire à partir d’observations de terrain présentant à la fois de l’intérêt et aussi certaines limites. Les résultats obtenus localement sur une propriété sont-ils extrapolables à l’ensemble de l’aire délimitée. Les premiers résultats des recherches sur les maladies du bois confirment qu’une multitude de facteurs sont en mesure de favoriser les contaminations et l’extériorisation des symptômes. Les aspects liés au contexte de production de chaque aire de production semblent également amplifier ou minimiser l’expression des maladies (effet cépage, climat, pratiques culturales…). Ce n’est donc pas un hasard si la mise en œuvre des nouveaux travaux de recherches se déroule de manière simultanée et coordonnée dans la plupart des grandes régions viticoles. En Charentes, les expérimentations viticoles de longue durée menées par la Station Viticole du BNIC au niveau des systèmes de conduite, des fumures, de l’entretien des sols et de l’adaptation des porte-greffes aux différents sols de la région… représentent un capital de connaissances unique. V. Dumot et ses collaborateurs ont mobilisé leur énergie pour exploiter les acquis issus des divers essais viticoles, dont certains sont implantés depuis plus de 30 ans. La synthèse de l’ensemble des travaux a débouché sur la mise en œuvre de plusieurs tendances au niveau de l’implantation et de la conduite du vignoble qui seraient en mesure de limiter l’impact de l’esca. Les modes de conduite en taille longue de type Guyot limitent l’expression des symptômes mais semblent fragiliser les pieds à long terme. Les résultats confirment l’intérêt de limiter les grosses plaies de taille que les outils de taille assistés permettent de réaliser avec facilité. Les études en cours des chambres d’agriculture de Charente et Charente-Maritime sur les soins apportés lors de l’établissement des jeunes souches (respect des courants de sève, coupes pas arasées et présentant des onglets de desséchement assez longs) seront sûrement riches d’enseignements dans les années à venir. Ensuite, l’intérêt d’un recépage précoce des souches pour assainir les troncs et prendre en quelque sorte de vitesse l’esca est confirmé. Envisager le recépage systématique de vignes de 10 à 15 ans est peut-être un moyen de retarder la descente des champignons responsables de l’esca dans les souches. Les observations au niveau de la vigueur des vignes ont aussi révélé que plus celle-ci augmente, plus la mortalité s’accroît. Enfin, certains porte-greffes comme le 333 EM, le Rupestris du Lot et le 41 B semblent conférer aux souches une moindre sensibilité à l’esca. Paradoxalement, le 41 B est assez sensible à l’eutypiose et sur certains sites, le 33 EM l’est également.

Bibliographie :
Philippe Larignon, chef de projet Maladies du Bois à l’IFV.
Vincent Dumot, ingénieur chargé des expérimentations viticoles à la Station Viticole du BNIC.
Patrice Rétaud, de la chambre régionale d’agriculture Poitou-Charentes.

L’impression de forte pression « confirmée » par les comptages
p16.jpgL’Observatoire régional des maladies du bois en Charentes a été mis en place depuis 2003 sur un réseau de 29 parcelles d’ugni blanc. Les observations sont réalisées par les techniciens régionaux des chambres d’agriculture de Charente et Charente-Maritime, de la Fredon de Cognac, de la FD Ceta, de la coopérative Charente Alliance et de la société Fortet Dufaud. Chaque année, l’évolution des maladies est suivie sur plus de 12 000 ceps de vignes, et Patrice Rétaud, qui a en charge la rédaction du BSV Charentes, publie la synthèse des résultats.
Le bilan de la situation 2012 très alarmant confirme les observations des viticulteurs. et les comptages réalisés par la Station Viticole du BNIC. Indéniablement, les maladies du bois ont atteint un niveau de nuisance dans la région de Cognac qui a une incidence très significative sur la productivité.
Les résultats de 2012 attestent de la forte montée en puissance des symptômes d’esca-BDA dont la fréquence moyenne atteint 13 %. C’est la première année que la fréquence des symptômes dépasse la barre des 10 %, ce qui constitue une source d’inquiétude pour l’avenir. Les niveaux de mortalité annuels en 2013, 2014 ne vont-ils pas eux aussi exploser ? La valeur moyenne d’expression des symptômes d’esca-BDA masque de fortes disparités puisque 8 parcelles sont touchées à plus de 20 % et 7 à moins de 5 %. La forte remontée des symptômes d’eutypiose s’explique par le contexte très pluvieux et frais du printemps dans les semaines suivant le débourrement. Le taux de ceps morts ou absents, qui se situe autour de 7 %, peut paraître être la seule bonne nouvelle de l’année. Or, il n’en n’est rien car c’est l’augmentation des entreplantations (3 % en 2012 au lieu de 2 % en 2012) qui stabilise le taux de ceps manquants ou absents Le comptage de ceps jeunes ne tient compte que des plants mis en terre en 2012 et non pas de l’ensemble des jeunes ceps en non production (de 2e, 3e, 4e et parfois 5e feuille). L’intensité des dégâts en 2012 fait craindre le pire pour les prochaines années.

 

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