Les domaines Jean Martell regroupent plus de 430 ha de vignes répartis sur quatre crus et trois entités de production. Depuis une quinzaine d’années, la gestion des vignobles a connu de profondes évolutions liées à la volonté de gérer les propriétés avec les mêmes exigences qualitatives et économiques que toutes les autres exploitations de la région. La répartition de l’ensemble du potentiel sur quatre zones de productions différentes à Criteuil-la-Magdeleine, à Ars avec le domaine de Toutvent, à Javrezac avec le domaine de Gallienne, à Cherves-Richemont, avait à l’origine permis d’installer 4 sites de production autonomes. A partir du début des années 90, une volonté de gérer plus efficacement les travaux manuels et mécaniques a amené les responsables de Martell à repenser cette organisation. Le site de Criteuil-la-Magdeleine a conservé une autonomie de fonctionnement avec une équipe de salariés et un parc matériels propre en raison de son éloignement des autres fermes. Par contre, les vignobles de Toutvent et des Charbonnières ont été regroupés sur le site de Gallienne, du fait de leur proximité. La démarche de rationalisation a ensuite concerné les infrastructures de vinification avec la création d’un vendangeoir unique sur le site de Gallienne où les infrastructures permettaient une extension plus facile des installations. Le site de production de Rouillac a toujours eu un fonctionnement autonome car il appartenait à l’origine au groupe Pernod Ricard au travers de sa filiale Renault Bisquit. Depuis 2002, le vignoble a été intégré au domaine Jean Martell. Par ailleurs, la surface importante de la propriété, 185 ha de vignes, rendait indispensable la mise en place d’une structure de production globale.
15 années d’expérience en matière d’impact environnemental
Bernard Pineau, le responsable des domaines Jean Martell, est bien sûr l’initiateur des principales évolutions qu’a connues le vignoble depuis 1998. Toutes les démarches mises en place depuis cette époque ont intégré un volet concernant l’impact des pratiques culturales et de vinification sur l’environnement. Il a été au départ sensibilisé à ces aspects environnementaux par les équipes de Martell pour qui ce sujet est majeur.
B. Pineau ne cache pas que, au départ, il regardait ces sujets avec une pointe de réticence mais en s’investissant dans les dossiers, il a rapidement changé d’avis : « J’avoue que la montée en puissance des aspects environnementaux m’a paru une nouvelle contrainte qui risquait de pénaliser la productivité des propriétés. Les faits m’ont fait rapidement changer d’avis et aujourd’hui je considère qu’intégrer la notion d’impact environnemental dans tous les projets est un facteur de progrès. L’une des premières initiatives qui m’a conduit à changer d’avis a concerné les pratiques d’entretien des sols dans les terres de Borderies à Gallienne. Jusqu’au milieu des années 90, un désherbage de toutes les allées chaque printemps était pratiqué pour tenir propre les sols jusqu’à la fin des relevages, et ensuite on cultivait mécaniquement les interlignes. On a souhaité, dès cette époque, à la fois utiliser moins d’herbicides et simplifier les itinéraires culturaux. L’introduction de l’enherbement a été la réponse pour laquelle nous avons opté. Les vignes dans ces sols profonds supportent bien la présence d’un couvert végétal et cela a permis de diminuer fortement l’utilisation d’herbicides qui désormais concerne uniquement le dessous des rangs. Forts de la réussite de cette pratique à Gallienne, nous l’avons ensuite généralisé (en tenant compte du type de sol) sur les autres unités de production. A partir de ce moment, j’avoue que dans tous les projets que l’on a mis en œuvre, penser environnement a été un facteur de progrès. »
La pratique de l’enherbement a continué de faire l’objet de réflexion au niveau de son entretien. Comment fallait-t-il apporter les fumures pour nourrir la vigne sans faire trop pousser l’herbe ? La réponse est venue d’une astuce à la sortie du diffuseur des semoirs traditionnels qui permet de localiser les engrais minéraux uniquement sous le rang pour un investissement de quelques euros. Ensuite l’entretien de vignes parfaitement tondues tout au long du cycle végétatif nécessite de nombreuses interventions et cela ne se justifie pas toujours sur le plan agronomique. Au moment du débourrement, on effectue un broyage vis-à-vis des risques de gel mais, par la suite, l’herbe peut pousser. Le développement d’un couvert végétal important pose des problèmes après la floraison à partir de la mi-juin. B. Pineau considère que laisser pousser l’herbe dans les interlignes jusqu’à cette époque ne crée pas de phénomène de concurrence sur le plan de l’alimentation hydrique de la vigne. Alors pourquoi tondre ras ! Cela nécessite du temps et ne mobilise pas du matériel et du personnel à bon escient.
Actuellement, de nouvelles réflexions sont à l’étude pour aborder l’entretien du cavaillon en utilisant moins d’herbicides. Revenir à du travail du sol intégral ne paraît pas réaliste. Limiter le désherbage chimique à une seule intervention au printemps sur le cavaillon et cultiver mécaniquement au cours de l’été semble un bon compromis.
Des aménagements et des engagements techniques cohérents
Au début des années 2000, les enjeux autour de la protection du vignoble sont devenus, au sein des vignobles Jean Martell, une préoccupation majeure. A l’époque, traiter moins n’était pas « un leitmotiv » comme aujourd’hui mais tout de même adapter le rythme des interventions aux risques réels dans les parcelles commençait à intéresser. B. Pineau et son équipe ont décidé de se doter de différents moyens et outils d’observations dans les vignobles. La première initiative a concerné la mise en place d’un suivi de thyphlodromes (avec le SRPV de Cognac) sur l’ensemble des propriétés. La première année, l’identification d’un nombre limité d’acariens utiles a été un véritable déclic : « On a pris conscience que dans le choix des produits, les critères d’efficacité directe sur un parasite devaient désormais intégrer les effets secondaires. En choisissant des fongicides et des insecticides plus doux vis-à-vis des auxiliaires, les populations de thyphlodromes ont recolonisé nos vignes et nous avons arrêté de faire des traitements contre les acariens. »
Fort de cette expérience, des stations météorologiques ont été installées sur les vignobles et un partenariat entre les vignobles Martell et le groupe de modélisation a été mis en place. Des suivis internes de la phénologie et de l’allongement de la végétation sur quelques souches sont effectués sur chaque site depuis plusieurs années. A partir de 2006, des témoins non traités ont été aussi implantés pour suivre précisément le développement des épidémies de parasites comme le mildiou, l’oïdium… et au cours des années 2007 et 2008, cela a permis de caler beaucoup plus judicieusement les premiers traitements. Dans le même temps, l’application des traitements a fait l’objet d’une profonde remise en cause. Le parc de pulvérisateurs présents sur l’ensemble des domaines utilise divers principes, des aéroconvections, des pneumatiques avec mains et canons qui, dans l’ensemble, ne permettaient pas de localiser suffisamment le flux de la pulvérisation sur la végétation. La volonté de mieux cibler la protection du vignoble sur la végétation s’est concrétisée par la généralisation des traitements face par face avec des pendillards. L’efficacité de ces systèmes a permis également d’envisager de pratiquer des réductions de doses raisonnées et raisonnables en tenant compte des niveaux de risques. Là aussi, la prise en compte de plus d’environnement a débouché sur une réduction de l’utilisation des intrants sans prise de risque supplémentaire au niveau du potentiel de production.
Dans la construction des programmes de traitements, le choix des produits est raisonné en tenant compte des phrases de risque, des délais de ré-entrées et des ZNT. Des aires de lavages équipées de phyto-bacs ont été construites sur les trois sites. Des astuces ont été trouvées pour limiter la production d’effluents, un lavage des pulvérisateurs tous les 3 ou 4 traitements, l’application d’une huile alimentaire sur le matériel pour créer un film protecteur, un fonctionnement des laveurs HP à 110 bars au lieu de 130 bars…
Les Domaines Jean Martell ont obtenu la triple certification en mars 2010
Tous ces efforts sont intervenus de manière progressive sur une quinzaine d’années et quand Martell a obtenu la triple certification qualité (ISO 9001), sécurité (OHSAS 18001) et environnement (ISO 14001), B. Pineau a commencé à réfléchir sur l’opportunité de conduire la même démarche sur les domaines Jean Martell. Dans un premier temps, l’équipe d’encadrement des vignobles a suivi une formation pour découvrir la norme environnementale ISO 14001. A l’issue de cette étape, il a été décidé de franchir un palier supplémentaire : « Lors de cette formation, on s’est rendu compte de l’importance du travail que l’on avait accompli depuis 10 ans. La norme ISO 14001 ne nous a pas paru inaccessible et on a décidé d’ouvrir un nouveau chantier pour justement formaliser tous nos efforts. En mars 2008, les vignobles Jean Martell se sont engagés dans une démarche de triple certification qualité, sécurité et environnement. Il a fallu mobiliser l’ensemble du personnel sur ce projet et j’avoue que mes chefs de culture et moi avons dû faire face une certaine réticence du personnel au départ. Le fait de décrire et d’écrire nos méthodes de travail a été très positif sur le plan du dialogue et de l’organisation. Les échanges sur tous les sujets au sein de l’équipe nous ont beaucoup apportés et avec le recul cela a permis de faire le point sur nos méthodes de travail en intégrant tous les aspects liés à la sécurité, à la qualité et à l’environnement. La fonction, le degré de responsabilité et l’implication de chacun ont été précisés et au final un dialogue beaucoup plus constructif s’est instauré au sein de l’ensemble de l’équipe. L’engagement dans la démarche de triple certification a nécessité un gros travail de diagnostic : l’impact environnemental et de gestion de tous les déchets. Le fait d’avoir analysé et reconstruit toutes nos méthodes de travail a été lourd à réaliser et à la fois riche d’enseignements. Au final, cela nous permet aujourd’hui de travailler dans un cadre défini propice à une communication et au développement d’attitudes plus responsables. Nous sommes dans une démarche d’amélioration continue sans pour autant chercher à aller vers des méthodes compliquées. La démarche de certification a été justement conduite en tenant compte des réalités concrètes des propriétés et c’est pour cela que l’on a pu la mener à son terme dans des délais assez courts ».
Au mois de mars dernier, l’audit de l’ensemble des domaines Jean Martell a débouché sur l’obtention de la triple certification sécurité, qualité et environnement, une première dans la région de Cognac. L’ensemble du personnel a vécu cet événement comme l’aboutissement d’un projet ambitieux et porteur d’une véritable ouverture sur les enjeux futurs de la conduite de la filière de production Cognac. B. Pineau ne nie pas que les mises aux normes et la réalisation de l’étude globale ont engendré des charges supplémentaires, lesquelles ont été intégrées dans le budget de fonctionnement habituel qui n’a pas subi un euro d’augmentation.
Le Développement durable et l’environnement font leur apparition dans les contrats
Le développement durable et le respect de l’environnement vont-il être une thématique qui va concerner les engagements d’achats contractuels de Martell ? Lorsque l’on pose cette question à Benoît Fil, il y répond avec beaucoup de facilité : « Nous n’allons pas demander à nos livreurs de s’engager dans des démarches de certification environnementale de type 14001. L’initiative qui a été conduite sur les domaines Jean Martell s’inscrit dans la volonté d’utiliser les vignobles comme un banc d’essais et une vitrine technique régionale. Néanmoins, l’engagement dans les démarches de développement durable fait partie de la charte d’entreprise du groupe Pernod Ricard. Martell, comme toutes les autres marques stratégiques, est donc complètement associé à cet engagement depuis un certain nombre d’années. Les objectifs reposent sur une volonté de réduire l’impact environnemental de toutes les activités de production. Notre souhait est de simplement sensibiliser les viticulteurs à la montée en puissance des exigences environnementales et à la réglementation à venir sur ce sujet dans le cadre du deuxième volet du Grenelle de l’environnement. Dans le courant du mois de juin, nous avons réuni l’ensemble des livreurs de vins et d’eaux-de-vie à la distillerie de Gallienne pour leur présenter les nouveaux engagements contractuels. Martell a proposé des contrats sur trois ans glissant avec renouvellement tous les ans pour une durée triennale. Cela correspond à une double volonté de sécuriser ses approvisionnements pour l’entreprise et d’apporter aux viticulteurs plus de lisibilité à long terme. Nous avons la volonté de sensibiliser les livreurs aux aspects environnementaux et dans les contrats une clause supplémentaire concernant le respect de l’environnement et le développement durable a été introduite. Dans le cadre des audits de sécurité alimentaire que nous réalisons tous les 3 ans chez l’ensemble des livreurs, notre souhait est dans un premier temps de faire un inventaire des pratiques des viticulteurs. On est convaincu que certains livreurs ont déjà pris des initiatives intéressantes dans ce domaine. Avant de s’engager dans une démarche plus précise, le souhait de Martell est que le dossier de politique environnementale soit abordé dans un état d’esprit de cohérence régionale en s’appuyant sur les travaux en cours au BNIC (dans le cadre d’un groupe de travail). Sur cette thématique environnementale, travailler dans un état d’esprit se référant à l’ensemble du vignoble de Cognac nous paraît important ».