L’équipe de techniciens viticoles de la Chambre d’agriculture de la Charente a initié depuis deux ans une démarche d’évaluation de la biodiversité au sein d’une propriété viticole située à Salles-de-Barbezieux. Cette expérimentation s’inscrit dans le prolongement de diverses initiatives de viticulture durable dont la finalité tend à concilier les méthodes de production à la préservation de la biodiversité. D’une manière générale, les paysages agricoles et viticoles de la plupart des régions française ont subi de profondes évolutions au cours des décennies 60 à 90. Le développement de structures d’exploitation rationnelles en phase avec les réalités économiques des filières a favorisé la transformation des méthodes de production dont l’organisation privilégie la productivité et la rentabilité. Les structures foncières ont donc beaucoup évolué pour favoriser le développement de la mécanisation qui représente un élément clé de la rentabilité de l’ensemble des filières. Le parcellaire historiquement très morcelé a cédé la place à des îlots de terre et de vignes de surfaces plus importantes et homogènes grâce aux remembrements et aux initiatives entre agriculteurs (échanges de parcelles). Les paysages agricoles et viticoles ont changé et un certain nombre de haies et de petits bosquets gênants vis-à-vis de la mécanisation ont été arrachés. Cette évolution a fait disparaître des habitats naturels pour la biodiversité, ce qui inquiète les agronomes et les défenseurs de l’environnement.
Dans la plupart des régions viticoles, les aspects de biodiversité ne sont pas actuellement une préoccupation prioritaire pour les viticulteurs et la plupart des responsables professionnels. Ce sont des sujets qui véritablement suscitent la curiosité et « captent » l’intérêt des viticulteurs et des techniciens qui vivent et travaillent quotidiennement au cœur des territoires viticoles. Quelques initiatives récentes confortent le fondement d’approches de gestion durable de la biodiversité des paysages viticoles. Cette thématique commence à émerger à côté du sujet prioritaire du moment : le plan Ecophyto 2018 avec son objectif de réduction d’utilisation des intrants phytosanitaires de 50 %. Cette démarche très ambitieuse, qui paraît aujourd’hui inaccessible en viticulture, a fait considérablement évoluer les réflexions techniques de la protection du vignoble. Le fait d’avoir formalisé l’objectif de – 50 % a créé un véritable électrochoc au sein de la filière viticole, compte tenu de la sensibilité de la vigne à de nombreuses maladies (excoriose, oïdium, black-rot, mildiou, botrytis, nécrose bactérienne) et ravageurs (vers de la grappe, cicadelles vertes et de la FD). Réduire l’utilisation des intrants phytosanitaires est bien sûr possible et sûrement souhaitable mais pas dans des proportions de – 50 %.
Trouver le juste équilibre vis-à-vis des réalités économiques
La pression du parasitisme dans nos régions viticoles rend nécessaire la mise en œuvre de stratégies de protection du vignoble cohérentes pour préserver la productivité et la qualité des raisins. Vouloir réduire l’utilisation des intrants phytosanitaires est un challenge qui mobilise l’intérêt de la grande majorité des viticul-teurs dans la mesure où la productivité et la qualité des raisins n’en sont pas affectées. Les exploitations viticoles sont devenues aujourd’hui des TPE et des PME confrontées à des réalités économiques qu’il n’est pas possible d’occulter. Trouver le juste compromis entre des méthodes de production efficientes sur le plan économique et respectant l’environnement semble plus facile à construire sur le papier qu’à mettre en pratique dans les vignobles. La prise de risque liée à des stratégies de réduction de traitements importantes en présence d’attaques conséquentes de mildiou, d’oïdium, de botrytis… est réelle ! Inévitablement, cela engendre des pertes de récoltes et un manque à gagner sur le plan économique. La résolution de l’équation « de traiter moins » n’est pas simple à mettre en place.
« Moins traiter » : la préoccupation majeure des dernières années
La thématique réduction des intrants phytosanitaires est devenue un axe de réflexion central au sein des organismes de recherche, de conseils, de développement de terrain et des fournisseurs. La volonté de certains acteurs de l’Administration de « verdir » la conduite des itinéraires culturaux a montré ses limites et, à l’inverse, les promoteurs du tout chimique ont mis « un peu d’eau dans leur vin ». Les débats entre viticulteurs, avec les fournisseurs et les techniciens ont intégré les aspects réduction d’intrants et prennent parfois une tournure polémique. Cela atteste des difficultés de dialogue pour proposer, tester et concevoir des initiatives concrètes et réalistes dans un domaine aussi sensible. L’un des points positifs du plan Ecophyto a été d’avoir relancé une dynamique de recherches et d’expérimentation. De nouvelles méthodes de protection des cultures souvent alternatives à la lutte chimique ont été testées. Certaines expérimentations paraissent parfois très éloignées (les produits de bio contrôles, les cépages résistants) des attentes pratiques actuelles alors que d’autres font réellement progresser les approches de raisonnement de la lutte (modulation des doses selon l’état végétatif, pulvérisation confinée). Au cours des dernières années, les méthodes de protection du vignoble semblent évoluer mais la pression de parasitisme lors de certains cycles végétatifs oblige à rester humble.
La biodiversité : un des axes de recherche du plan Ecophyto
Les aspects de biodiversité et de préservation des milieux naturels au sein des paysages viticoles représentent un des axes de réflexion du plan Ecophyto. La biodiversité se définit par la variété et la variabilité du monde vivant sous toutes ses formes : les écosystèmes terrestres, écologiques, aquatiques et marins. La notion de biodiversité ne se limite pas à la somme des différentes espèces d’un écosystème mais à l’ensemble des interactions des êtres vivants présents dans un même milieu. Des relations d’interdépendance entre les espèces existent et sont indispensables au « respect » de tous les écosystèmes. La diversité biologique des milieux atteste de l’équilibre et de la bonne santé des différentes populations constituant les écosystèmes. Des démarches scientifiques permettant de réaliser des inventaires biologiques ont été développées au cours des dernières années, des mesures et des inventaires de la biodiversité.
Apprécier l’incidence de l’aménagement du foncier et des pratiques viticoles
Dans l’univers viticole, l’impact des itinéraires culturaux sur la biodiversité des écosystèmes terrestres devient une véritable préoccupation. L’aménagement foncier des parcelles de vignes, les méthodes d’entretien du vignoble, les pratiques de protections du vignoble mis en œuvre depuis 25 ans ont-ils réellement eu une incidence négative sur la biodiversité des écosystèmes aériens ? Les équilibres naturels entre les populations de petits oiseaux, d’insectes volants, rampants, les insectes nuisibles, les prédateurs et les petits mammifères peuvent-ils être affectés ? Des travaux scientifiques de quantification de la biodiversité ont été menés entre 2011 et 2013 dans plusieurs vignobles pilotes en France (le projet européen Life-Biodivine), dans les vignobles de Saint-Emilion, de Saumur-Champigny, de Limoux, des Costières de Nîmes, de Bourgogne, dans le Douro au Portugal et dans le Penedes en Espagne. Les résultats de ces suivis sur une longue période ont permis d’obtenir des enseignements vis-à-vis des méthodes d’évaluation et des pratiques favorables à la biodiversité. Il a été démontré que l’implantation de zones écologiques protégées comme des haies en bout de parcelles pouvait s’avérer bénéfique vis-à-vis des équilibres entre insectes nuisibles et prédateurs.
Une expérimentation de longue durée à Salles-de-Barbezieux
Dans la région de Cognac, les techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente ont été très attentifs au déroulement du projet Life-Biodivine dans les appellations du conseil des vins de Saint-Emilion. Pourquoi ne pas se doter d’outils d’observation de la biodiversité dans le vignoble de Cognac ? Cette idée, qui avait germé dans l’esprit de quelques techniciens, a débouché sur la mise en place d’une expérimentation de longue durée pour quantifier la biodiversité d’un site viticole représentatif des pratiques culturales de la région. Le projet a « pris racine » au cours de l’année 2013 et les premières mesures de la biodiversité ont eu lieu pendant plus de deux mois au cours du printemps et de l’été 2014. Elles se poursuivent cette année. C’est une expérimentation lourde qui mobilise des compétences et des moyens financiers conséquents.
Connaître la richesse du milieu en « petites bêtes »
Le projet d’étude de la biodiversité a pour origine le souhait d’O. Sauvaître d’implanter des haies dans son vignoble. Le viticulteur, qui voulait introduire des haies dans l’îlot de vignes de Salles-de-Barbezieux, a pris contact avec la Chambre d’agriculture de la Charente pour s’entourer de compétences. Angélique Gaboriaud, la conseillère arbres, bois et aménagements paysagers de la Chambre d’agriculture de la Charente, a répondu à ses attentes techniques et réaliser un travail important en matière d’implantation et de choix des espèces d’arbustes. Le dialogue entres les deux acteurs a débouché sur la mise en place du projet d’étude de la biodiversité en viticulture. O. Sauvaître n’a pas été difficile à convaincre car il a été réceptif au fait que les deux premières années de travaux allaient permettre d’établir un état des lieux de la biodiversité présente dans les vignes et d’évaluer l’incidence des bandes enherbées (dans les rangs et au niveau des tournières) et de la proximité d’un bois. Au fond de lui-même, ce viticulteur s’est dit que c’était un moyen de connaître la richesse du milieu en « petites bêtes ».
Un site pilote de 15 ha de vignes avec trois blocs d’essais
L’essai est implanté dans un îlot de vignes d’une quinzaine d’hectares situé à Salles-de-Barbezieux. Le site présente une certaine diversité en matière de topographie et d’environnement qui le rende caractéristique des paysages viticoles de la région de Cognac. L’implantation de ce vignoble d’un sommet de coteaux à un fond de vallée est constituée de plusieurs îlots homogènes qui ont permis de mettre en place trois blocs d’essais. Le premier, en sommet de coteau qui est contigu à un bois bien déve-loppé, présente une bonne déclivité. Le second, à mi-coteaux, est implanté sur un versant en pente plus douce avec une jeune haie d’un an (de 90 m de long) sur un côté. Le troisième, dans la partie la plus basse, bénéficie d’une topographie plane qui est entourée sur une face d’un verger familial et sur une autre d’une haie d’un an longeant un fossé (avec à un endroit un point d’eau). Le vignoble est conduit avec des méthodes culturales identiques à celles de la très grande majorité des propriétés de la région. Les vignes larges établies en arcures hautes semi-palissées (assez jeunes, au maximum 15 ans) sont cultivées de manière conventionnelle avec des objectifs de productivité élevés de 10 à 11 hl d’AP/ha.
Étudier la biodiversité dans un site représentatif des vignes « charentaises »
Jean Christophe Gérardin, qui a en charge le suivi de l’expérimentation depuis cette année, explique que l’implantation de l’essai dans une propriété conduite de manière classique était essentielle : « Le souhait des techniciens qui ont porté ce projet était de réaliser un diagnostic de la biodiversité dans un site qui corresponde aux réalités des méthodes de production les plus fréquentes de la région. Avant de s’engager dans des réflexions paysagères contribuant à renforcer les habitats de la biodiversité, il nous a paru essentiel d’établir un état des lieux. Les vignes charentaises ne sont peut-être pas aussi appauvries que l’on ne l’imagine. On souhaitait avant tout essayer d’acquérir des données représentatives des conditions de production de la propriété moyenne. Le site d’Olivier Sauvaître incarne parfaitement les caractéristiques du modèle des vignes charentaises ac-tuelles sur le plan de la topographie, de l’environnement et des pratiques culturales. L’intérêt qu’il a manifesté pour ce travail et son implication, avec notamment la plantation de haies, a été aussi déterminant. Les vignes sont conduites dans l’optique de produire des rendements élevés et réguliers en mettant en œuvre des pratiques conventionnelles raisonnées sur les plans de l’agronomie et de la protection du vignoble. Ce viticulteur n’est pas un adepte des excès d’apports d’intrants. Il cherche toujours le bon compromis technique et économique. Les travaux manuels et la mécanisation sont abordés avec le souci permanent de travailler de manière cohérente au sein d’une propriété de taille importante (60 ha). L’implantation de ce même essai dans une propriété conduite en viticulture biologique n’aurait pas permis d’obtenir des résultats reflétant le niveau de biodiversité qui existe actuellement dans le vignoble charentais. Dans l’avenir, peut-être que nous conduirons d’autres essais dans des sites présentant une densité d’habitats naturels plus riche. »
Une réflexion technique sérieuse pour implanter les haies
L’accompagnement d’A. Gaboriaud pour implanter les haies chez O. Sauvaître a commencé par une réflexion sur les justes lieux d’implantation qui devaient à la fois ne pas engendrer de gêne pour la mécanisation et présenter de l’intérêt vis-à-vis de la biodiversité. En viticulture, les haies doivent être perméables à l’air en toute saison, pour éviter les risques de gel au printemps et les phénomènes de stagnation d’ambiances humides au prin-
temps et en été qui sont propices au déve-loppement du parasitisme. Le choix des espèces et leur densité de plantation (sur un ou deux rideaux) modifient le degré de perméabilité des haies. Sur le site de l’expérimentation, la première haie de 90 m de long a été implantée en bordure du bloc d’essais situé à mi-coteau sur un côté de la parcelle pour créer un corridor écologique sans bloquer la circulation d’air. La deu-xième haie, longue de 300 m, a été implantée en lisière de la parcelle basse de vigne parallèlement à un long fossé (effet de filtre vis-à-vis des eaux pluviales) et à proximité d’une petite mare.
Un choix d’essences propice au développement des prédateurs
Le choix des essences tient compte du type de cultures jouxtantes afin de favoriser le développement des faunes de prédateurs les plus adaptés et d’éviter les invasions d’hôtes indésirables. Une vaste étude du Conservatoire botanique national Sud Atlantique a permis de réaliser un inventaire des espèces d’arbres et d’arbustes spécifiques des écosystèmes
des régions Aquitaine et Poitou-Cha-rentes. Cet outil constitue un document de référence sur lequel A. Gaboriaud s’appuie pour adapter la nature des haies. D’une manière générale, les essences champêtres d’origine locale sont privilégiées aux essences horticoles ayant des feuillages panachés. Les haies sur le site d’O. Sauvaître sont constituées de noyers, de sureau noir, de prunellier et de cornouiller. Les arbres ont été plantés durant l’hiver 2013-2014 sur une seule ligne, sous un paillage biodégradable et avec des protections contre le gibier. Dès le printemps dernier, les arbustes ont connu un bon développement et la hauteur de la végétation actuelle dépasse 1,20 m. Les espèces locales ont démontré qu’elles possédaient de bonnes capacités d’implantation dans les deux parcelles et tout particulièrement dans la situation de mi-coteau. La plantation des haies dans le département de la Charente bénéficie de soutiens financiers de la part du conseil départemental qui s’élèvent à 3 €/m pour une plantation en double ligne et 1,50 €/m pour des plantations en simple ligne. Les aides permettent de financer l’intégralité des achats de plants d’arbres et d’arbustes. La Chambre d’agriculture est l’interlocuteur à contacter pour monter les dossiers de subvention.
10 à 11 semaines d’observations entre début mai et la mi-juillet
L’essai mis en place depuis deux ans s’inscrit dans la durée, car le développement et l’identification des populations d’insectes sont fortement liés aux conditions climatiques de chaque cycle végétatif. Durant la première année d’étude en 2014, l’expérimentation a été pilotée par Léa Duffau, une technicienne chargée des thématiques environnementales à la Chambre d’agriculture de la Charente. La mise en place du protocole d’étude de la biodiversité a nécessité un travail lourd pour réaliser l’inventaire exhaustif des populations d’insectes volants et rampants, et celles des prédateurs de la vigne. L’importance de chaque bloc d’essai (d’une surface moyenne de 4,5 ha) et la durée d’observation de plus de deux mois mobilisent beaucoup d’énergies et de compétences. Au cours du printemps et de l’été 2014, un jeune étudiant, Brieg Clodore, suivant un cursus de licence sciences de la vigne à l’université de Bourgogne, a été recruté pour suivre l’expérimentation. Cette année, l’action s’est poursuivie avec un protocole identique sous la tutelle de J.-Ch. Gérardin, technicien viticole à la Chambre d’agriculture de la Charente. Un autre jeune stagiaire, Quentin Mallet, qui prépare une licence en gestion durable des ressources agricoles de la faculté VetAgro de Clermont-Ferrand, poursuit l’étude en faisant preuve d’un fort investissement personnel. Le protocole d’observation de l’écosystème couvre une période longue de 10 à 11 semaines entre début mai et la mi-juillet. Le travail des deux étudiants débouche sur une analyse fine de la biodiversité qui, à l’issue de la première année, a déjà révélé des choses intéressantes.
Un dispositif de piégeage global et très rigoureux
Un dispositif de piégeage des arthropodes volants et rampants a été mis en place dans les trois blocs d’essais. Il est constitué au total de 40 pièges aériens et au niveau du sol. Les pièges aériens ont la forme d’un grand bol plastic jaune vif de 45 cm de diamètre installé à 1 m de hauteur au centre du palissage. Leur couleur attire les insectes qui sont capturés à l’intérieur des bols grâce à une solution d’eau salée additionnée de quelques gouttes de li-quide vaisselle. Les pièges au niveau du sol du type Pitfall se présentent sous la forme d’un pot de yaourt enterré sur toute sa hauteur dans le sol et recouvert d’une assiette en carton mobile. La présence au fond du pot d’une solution (identique à celle des pièges aériens) permet de capturer les insectes rampants et les araignées. Dans chaque modalité, 10 pièges aériens et 2 Pitfall sont répartis dans le cœur des parcelles et en lisière des tournières. Dans les deux blocs d’essais intégrant des haies (haies plantées ou la haie fruitière), quelques pièges ont été implantés au sein des arbres et des arbustes. La finalité du dispositif est d’établir une identification et un suivi des populations d’insectes volants, d’insectes rampants, d’araignées et de prédateurs sur une longue période. Les pièges sont relevés chaque semaine (le même jour et durant des plages horaires identiques) et les captures sont isolées pour permettre l’identification des espèces et leur quantification précise. A partir de juin, des prélèvements de 50 feuilles de vignes adultes (dans chaque bloc de l’essai) sont effectués pour dénombrer la présence des thyphlodromes et d’autres prédateurs spécifiques de la vigne. Un suivi herpétologique pour estimer les populations de reptiles (essentiellement de petits serpents) a été mis en place à partir de la mi-juin avec la pose de plaques à serpent. Il s’agit de plaques en fibrociment de plus d’un mètre carré qui sont posées sur le sol à des endroits propices aux déplacements des reptiles (à proximité des fossés, en lisière du bois et des haies). Les populations ornithologiques sont difficiles à dénombrer car elles ne sont pas spécifiques de la vigne. La diversité des espèces d’oiseaux évolue dans des milieux différents : semi-ouverts, buissonnants, forestiers ou ouverts.
Les premiers résultats de 2014 attestent d’une certaine richesse en arthropodes
Le suivi de l’expérimentation nécessite à la fois un gros travail d’observation chaque semaine sur le site et ensuite au laboratoire pour traiter les relevés des captures. Les captures d’insectes de chaque piège sont collectées séparément dans des tubes remplis de solutions alcoolisées et leur contenu fait l’objet d’une identification et d’un dénombrement précis. Chaque semaine, J.-Ch. Gérardin et Q. Mallet passent une grande après-midi sur le terrain pour relever et entretenir les pièges. Ensuite le dépouillement des résultats nécessite plusieurs jours de travail. La synthèse de tous ces éléments permet de caractériser la biodiversité des trois blocs d’essais qui présente un environnement paysager différent. À l’issue de la campagne 2014, B. Clodore a réalisé un premier inventaire de la biodiversité qui sera conforté cette année par le travail de Q. Mallet. D’une manière générale, le milieu présente une certaine richesse en arthropodes avec bien sûr des disparités selon les zones de piégeages. Les résultats de la première année d’observation n’ont pas permis de mettre en évidence l’incidence de l’environnement paysager. Par contre, les résultats des études récentes réalisées par Josépha Guenser, au sein du projet Life-Biodivine, ont mis en évidence que la relation entre la biodiversité et l’environnement paysager d’un parcellaire peut s’étendre jusqu’à 500 m. Le travail d’identification dans l’expérimentation de Salles-de-Barbezieux a permis de quantifier la présence assez fréquente de coléoptères (coccinelles, scarabées…), d’hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis…), de diptères (mouches, moucherons, syrphes…), de punaises, d’araignées… Au niveau des insectes volants, la grande famille des abeilles domestiques a été fréquemment capturée. L’exploitation d’O. Sauvaître est située au cœur d’une zone de lutte contre la flavescence dorée soumise à trois traitements. L’incidence de la première application d’insecticide (début juin 2014) n’a pas eu d’impact négatif alors que le deuxième traitement semble avoir été plus nocif. L’autre élément important ayant une influence sur la dynamique des populations d’arthropodes est la climatologie. Les périodes pluvieuses et froides ont gêné le développement des populations.
Des populations de typhlodromes nombreuses et actives
Au cours de l’été 2014, la réalisation de 5 bilans faunistiques a révélé en moyenne une présence de typhlodromes dense dans l’ensemble des modalités et une quasi-absence des espèces d’acariens nuisibles. Le seuil de traitement des acariens (établi par les Chambres d’agriculture de Charente et de Charente-Maritime) de 30 % d’occupation des feuilles par une forme mobile est loin d’être atteint. Cela revient à compter 15 acariens nuisibles pour 50 feuilles (0,3 acarien par feuille).
Dans l’expérimentation, leur quantité reste très nettement en dessous ce seuil (0,022 acarien/feuille). L’inventaire faunistique a quantifié une présence de 13 typhlodromes par feuille, soit un niveau de population élevé. Le seuil minimal de typhlodromes pour assurer une régulation naturelle des populations d’acariens nuisibles est de 0,5 individu par feuille. Les travaux de Gilles Sentenac, de l’IFV, ont mis en évidence que la consommation moyenne journalière d’une femelle adulte de Typhlodromus pyri se situe autour de 14,6 larves de Panonychus ulmi. Avec un taux de présence aussi fort de typhlodromes dans le site de l’expérimentation, la prédation des acariens nuisibles est assurée de façon quasi totale. Les effets secondaires dépressifs de certains produits phytosanitaires vis-à-vis des populations de typhlodromes ne semblent pas avoir été mis en évidence dans les parcelles du site d’expérimentation. D’autres observations sur la présence des reptiles et des oiseaux viennent conforter le diagnostic global de la biodiversité.
Une journée technique biodiversité en Charente le 30 juillet prochain
Le travail d’observation dans l’essai se poursuit cette année avec les mêmes approches et les mêmes méthodologies. Les données obtenues par Q. Mallet vont en quelque sorte cautionner et étayer les résultats de 2014. Après deux années consécutives d’études, le travail d’inventaire de la biodiversité va commencer à livrer des éléments plus pertinents. C’est une initiative pilote de suivi et d’étude de la biodiversité dans le vignoble charentais qui s’inscrit dans la durée. Les aménagements paysagers de plantations des haies vont faire l’objet d’un suivi dans le temps pour quantifier l’intérêt de l’introduction d’habitats naturels dans les paysages viticoles. L’îlot de 15 ha de vignes de Salles- de-Barbezieux est donc une vitrine pédagogique que l’équipe de techniciens de la Chambre d’agriculture de la Charente va dès cet été utiliser pour organiser une journée technique le 30 juillet prochain sur les aspects de biodiversité en viticulture. La manifestation permettra de présenter les méthodes d’évaluation de la biodiversité et plusieurs initiatives réalisées dans les vignobles de Limoux, de Saumur-Champigny et de Salles-de-Barbezieux. La matinée se déroulera sous la forme de conférences en salle (à la salle des alambics du complexe d’accueil de Barbezieux-Saint-Hilaire) en présence de divers intervenants : Josépha Guenser (Vitinnov), Marie-Anne Simoneau (Syndicat des producteurs de Saumur-Champigny), Olivier Sauvaître (viticulteur à Salles-de- Barbezieux), Jean-Christophe Gérardin (Chambre d’agriculture de la Charente) et Magdaléna Girard (Chambre d’agriculture de la Charente-Maritime). L’après-midi, des ateliers techniques pratiques auront lieu dans les parcelles de l’essai pour présenter l’intérêt des haies en viticulture, réaliser des bilans faunistiques, se familiariser à la mise en place des diagnostics de biodiversité et appréhender les aspects de parasi-tisme et de biodiversité fonctionnelle.
Bibliographie :
− Angélique Gaboriaud, de la Chambre d’agri-culture de la Charente.
– Equipe de techniciens viticoles de la Chambre d’agriculture de la Charente de l’antenne de Segonzac.
− Brieg Clodore et Quentin Mallet, les deux étudiants ayant travaillé sur l’essai de Salles-de- Barbezieux.
− Josépha Guenser, de Vitinnov.
Concilier une viticulture efficace et le respect de la nature
Olivier Sauvaître exploite un vignoble de 75 hectares répartis sur plusieurs secteurs dont 15 ha à Salles-de-Barbezieux. Ce jeune viticulteur ne cache pas qu’il a une approche rationnelle de la conduite de son vignoble. Il explique clairement qu’il ne s’est pas engagé dans cette expérimentation sur l’analyse de la biodiversité en raison de convictions personnelles fortes sur l’écologie et l’environnement. Il était simplement curieux de connaître l’état des lieux de la biodiversité de son vignoble qui est conduit de façon réaliste sur les plans technique et économique. L’ensemble de l’îlot de parcelles de vignes de Salles-de- Barbezieux a été implanté récemment (depuis 15 ans) dans une zone de grandes cultures, et c’est le souhait de ce viticulteur de vouloir implanter des haies sur le site qui est à l’origine de l’expérimentation.
Les haies, un écran naturel vis-à-vis des dérives de traitements
O. Sauvaître met en œuvre des méthodes de productions qui permettent de satisfaire les exigences actuelles de rende-
ments élevés. Il privilégie des itinéraires culturaux rationnels et équilibrés sur les plans économique et agronomique, et ses propos sur ce sujet sont pertinents : « J’essaie en permanence de trouver le juste compromis entre la recherche de bons niveaux de productivité et des coûts de production réalistes. Par exemple au niveau du travail du sol, les parcelles implantées sur des terres de champagnes sont enherbées et cultivées mécaniquement un rang sur deux. C’est un choix technique qui me semble adapté à un bon développement de la végétation même durant les étés secs. La protection du vignoble est abordée avec le même souci de recherche du meilleur compromis qualité/productivité/ économie. Nous essayons de concilier les contraintes de réalisation des traitements d’un vignoble de 60 ha à la recherche d’un bon raisonnement de chaque intervention. Je considère être un viticulteur conventionnel rationnel, soucieux de protéger et de conduire les vignes de façon efficace afin de pérenniser la rentabilité économique de la propriété. Cela ne si-gnifie pas que je privilégie les stratégies de traitements d’assurance. Bien au contraire, j’essaie seulement de traiter juste en tenant compte des contraintes propres de la propriété (dispersion du parcellaire, capacité de traitement dans la journée… ). Dès que nous avons planté les premières vignes sur le site de Salles-de-Barbezieux, je me suis dit que la réintroduction de haies au bout de certaines parcelles présenterait de l’intérêt. Ce serait sûrement le moyen le plus naturel de limiter les phénomènes de dérive de la pulvérisation dans l’environnement proche. La présence d’habitations à proximité de certaines parcelles de vigne nous amène à prendre des précautions lors des traitements. Les haies, quand elles seront suffisamment développées, représenteront un filtre naturel qui jouera le rôle d’écran de protection. »
S’entourer de compétences pour choisir les espèces adaptées
Le jeune viticulteur explique que son statut de gestionnaire rationnel ne lui a pas fait oublier ses racines paysannes : « Le fait d’aborder mon métier de viticulteur en ayant le sens des réalités économiques ne m’a pas conduit à renier mes racines paysannes. Depuis toujours je suis sensible à la présence des arbres et c’est l’envie de replanter des haies qui est à l’origine de l’expérimentation actuelle. Le territoire local du sud-Charente présente une diversité écologique avec la présence naturelle de bosquets et de bois. Les aménagements fon-ciers, qui ont permis de constituer de grandes parcelles, ont modifié le paysage par l’arrachage de haies et de bosquets. Il me paraît normal de réintroduire dans le paysage actuel des haies et des arbres. La manière dont nous avons abordé l’implantation des haies ne gêne pas la mécanisation. Leur implantation à la limite de larges tournières ou sur le côté de la parcelle ne perturbe pas du tout les manœuvres des tracteurs et de la machine à vendanger. Comme je n’avais pas de compétences suffisantes pour choisir les espèces d’arbres les plus adaptées à l’environnement, j’ai fait appel aux connaissances d’Angélique Gaboriaud, la spécialiste de ces problèmes à la Chambre d’agriculture. Elle nous a conseillé d’implanter des espèces d’arbres et d’arbustes champêtres d’origine locale. Cela m’a fait prendre conscience du rôle des haies en matière de biodiversité et, au fil des années, je vais sûrement découvrir les bienfaits des habitats naturels vis-à-vis des populations de prédateurs de la vigne. La nature, nous la vivons au quotidien. Aussi, l’étiquette “de viticulteur pollueur” que certains observateurs nous attribuent beaucoup trop facilement me gêne beaucoup. Ce sont des propos faciles à tenir quand on n’est pas confronté aux réalités économiques actuelles de nos propriétés. Il n’est pas honteux de faire son métier en ayant l’objectif de dégager des niveaux de revenus réguliers et suffisants, et d’être conscient des enjeux environnementaux. J’ai le sentiment de travailler tous les jours avec la nature sans chercher à l’abîmer. »
Les points clés de l’essai biodiversité de Salles-de-Barbezieux
l Un vignoble de 15 ha représentatif des méthodes de production actuelles de la région de Cognac.
l L’implication du propriétaire Olivier Sauvaître, soucieux de concilier la productivité économique et des pratiques culturales raisonnées et raisonnables.
l Un essai piloté par la Chambre d’agri-culture de la Charente.
l Un paysage viticole représentatif de beaucoup de situations régionales.
l Trois blocs dans l’essai : un premier en sommet de coteaux en lisière d’un bois, un second à mi-coteaux avec sur un côté une haie champêtre de 90 m et un troisième en situation basse, bordé sur un côté d’une haie fruitière adulte et sur un autre côté d’une haie champêtre de 300 m.
l Les deux haies champêtres ont été plantées au cours de l’hiver 2013-2014.
l Un protocole d’étude lourd pour identifier les populations d’arthropodes, de reptiles, d’oiseaux et les auxiliaires.
l Un réseau de 40 pièges d’insectes relevés pendant 11 semaines.
l Des travaux réalisés en 2014, en 2015 et qui vont se poursuivre.
l Dans un premier temps, une volonté d’établir un inventaire de la biodiversité dans chaque bloc d’essai.
l Dans un second temps, évaluer l’influence sur la biodiversité de la pré-sence des haies champêtres, de la haie fruitière, de l’effet lisière du bois…
l Un projet ambitieux qui est en quelque sorte une vitrine pédagogique.
l Une action soutenue par l’Onema, Eco-phyto, l’Agence de l’eau Adour-Garonne et le conseil général de la Charente.
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