Jean Vincent Coussié s’est éteint en juin dernier. Il avait 95 ans. Directeur de la coopérative UNICOOP de 1965 à 1983, il aura marqué la région de Cognac de bien des façons. Comme par exemple en tenant quelque temps sous sa signature une rubrique dans la revue Le Paysan Vigneron – « La Chronique de Jean Vincent Coussié ». Anecdotique dans son parcours, cela lui tint pourtant à cœur. Mais son « grand œuvre » fut sans conteste son ouvrage « Le Cognac et les aléas de l’histoire ». Paru en 1990 puis réédité en 1996 et 2010 dans des versions retravaillées, la publication continue de faire référence pour tous ceux qui s’intéressent un peu sérieusement au Cognac.
J V Coussié débute ses recherches à l’entame de sa retraite. Il obtient des maisons de commerce l’autorisation de puiser dans leurs fonds d’archives. Il se nourrit des séries statistiques longues de la bibliothèque de Cognac, du Bureau national du Cognac.
J V Coussié a un avantage sur ses compagnons de plume. Il sait ce qu’il cherche. On ne passe pas impunément 40 ans de sa vie professionnelle dans le milieu du Cognac sans en maîtriser les arcanes. Et puis J V Coussié n’a jamais oublié sa formation initiale, l’agronomie qui, pour lui, rime avec économie et géo-politique. Ainsi son ouvrage sera économique, basé sur le temps long du Cognac.
En de grandes séquences – XVII, XVIII, XIX ème siècle… il brosse l’évolution du produit régional, sans jamais oublier d’être informatif et précis : prix d’achat à la viticulture de 1800 à 1815, eaux-de-vie expédiées aux Etats-Unis de 1888 à 1891, évolution des rendements de 1945 à 1989…son ouvrage est une mine.
Sa familiarité avec le commerce – il représente la coopérative sur les marchés – le conduit à établir toujours le lien entre une économie agricole, forcément rigide, à une activité commerciale adepte de la souplesse et de l’anticipation. Naturellement, l’auteur s’attarde sur les époques qu’il a vécu de près, inscrites dans sa chair pourrait-on dire : premier choc pétrolier de 1973, deuxième choc pétrolier de 1979… « J’ai vécu dix ans de crise intense » disait-il souvent. Durant ces périodes particulièrement mouvementées, il sera de tous les groupes d’études et de toutes les réunions : SARES, interprofession.
Jean Vincent Coussié n’était pas un enfant du Cognac. Ni fils de négociant ni fils de viticulteurs. Ses racines l’inscrivaient plutôt du côté du Béarn, de l’Ariège, du Lot et Garonne. Ses parents, enseignants, migrent vers Bordeaux, où Jean Vincent intègre le lycée Montaigne. Après math. Sup, « un peu court pour Polytechnique » il choisit de candidater à Agro-Paris via la classe préparatoire du lycée parisien Henri IV. Il passe le concours d’entrée en 1944, après avoir connu les affres des voyages Paris-Bordeaux sous les bombes, les immeubles effondrés, les personnes en détresse…
Diplômé en 1947, à la recherche d’une situation, le jeune Agro déboule à Cognac et se présente devant Pierre Lucquiaud, directeur de la Coopérative de Cognac – « Ah c’est vous l’Agro ! Vous qui savez tout mais qui n’êtes bon à rien ? » – « Votre opinion, Monsieur, est aussi sévère que flatteuse » – « C’est vrai…allons visiter les chais ». Il fera son entrée à Unicoop en septembre 1947.
Ingénieur frais émoulu, il n’a de cesse de répéter – et d’écrire dans Le Paysan – « que la qualité du Cognac dépend de celle des vins ». Il sera entendu. Jean Vincent Coussié se plaisait à revendiquer l’initiative d’un « compte dépôt » créé lors de l’importante récolte 1965. Un système de financement qui forgera l’identité des coopératives associées au commerce. Lors de cette même année 1965, l’interprofession vote le report de la date de commercialisation des eaux-de-vie jeunes, sous l’effort conjugué d’un P.J Noël et d’un J V Coussié.
Intellectuel, Jean Vincent Coussié l’était à coup sûr. Après une carrière où pragmatisme, sens des réalités et du commerce tinrent la rampe, comme il sied à Cognac, J V Coussié se révèlera au tournant de sa vie un auteur prolixe et inspiré. On ne reviendra pas sur ses ouvrages liés au Cognac mais au gré de conférences, souvent caritatives, il « commettra » un François 1 er, un Jean Monnet, un Montesquieu. Son cher Montesquieu, auteur de l’Esprit des lois, dont il citait de mémoire de multiples aphorismes – « Une monarchie corrompue, ce n’est pas un Etat ; c’est une cour. » ou encore – « Un laboureur sur ses jambes est plus haut qu’un gentilhomme à genoux. » Montesquieu philosophe mais aussi propriétaire viticole à La Brède, dans les Graves où les parents de Jean Vincent avaient acquis le château La Blancherie, si cher à son coeur.
En 1996, à un âge déjà honorable, J V Coussié soutient une thèse de doctorat à l’Institut national agronomique Paris-Grignon, sur le thème du Cognac. Ainsi sera-t-il « Docteur », un titre dont il n’était pas peu fier.
Après avoir été un pilier du Lyons Club de Cognac-Jarnac, Jean Vincent Coussié pratIquait le golf encore à un très grand âge. L’occasion de retrouver ses amis qui passaient le prendre allée Bernard Guionnet puis, plus tard, aux Jardins de Louise. Le décès de son épouse Monique l’avait beaucoup affecté. Mais il était entouré de ses filles Françoise et Nadine.
Nous garderons le souvenir ému d’un Jean Vincent Coussié d’une très grande alacrité d’esprit, toujours présent, toujours disponible pour mobiliser sa mémoire et ses analyses pénétrantes. Il nous conseillait – « A Cognac, il faut pianoter, pianoter ! » En clair, dire les choses mais avec les formes. Merci Monsieur Coussié.
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